Appel à contributions ARDD-2-2022 Biodiversité et développement durable

Appel à contributions

Actes de la recherche sur le développement durable

Revue scientifique pluridisciplinaire éditée
par l’Institut Universitaire du Sud (Univ-Sud),
Jacqueville, Côte d’Ivoire
ISSN : 2790-0355

Numéro 2 – 2022

« Biodiversité et développement durable »

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Pour son second numéro à paraître en novembre 2022, Actes de la recherche sur le développement durable souhaite aborder la question de la biodiversité, dans sa relation avec le développement durable.

Le terme biodiversité (contraction de biological diversity) a fait son apparition avec la première grande alerte lancée par des scientifiques à la fin des années 1980 sur la menace d’une extinction massive des espèces ; et cela dans le contexte des premières élaborations internationales de la notion de développement durable, prenant en compte la nécessité de préservation de l’environnement et des ressources naturelles. La notion de biodiversité est donc d’emblée liée à ces deux idées qui la placent au cœur des débats sur le développement durable : une menace sur la diversité du vivant provoquée par l’expansion des activités humaines et un impératif de sauvegarde.

Dès le moment où le terme a été énoncé, la biodiversité s’est trouvée au cœur d’enjeux économiques, (géo)politiques, idéologiques et éthiques considérables qui n’ont cessé de s’aiguiser au fil des années. La notion elle-même paraît indissociable de ces enjeux. Les connaissances scientifiques sur la biodiversité ne sont donc pas « neutres » : elles sont inscrites dans une pluralité de positions, et sont notamment prises entre plusieurs pôles : d’un côté leur constitution en « sciences de la conservation » qui se mobilisent pour faire face à une situation de crise ; de l’autre côté leur enrôlement comme facteur de production sur un nouveau front de l’expansion du capitalisme globalisé (biotechnologies, pharmacologie, marché des « droits à polluer » et de la préservation, etc.) ; ou bien encore leur investissement dans l’analyse de l’impact des activités humaines sur les milieux naturels à des fins de régulation écosystémique et de gestion durable des ressources naturelles.

La biodiversité apparaît comme un aspect fondamental de l’existence et de la dynamique du vivant. Les sciences naturelles évaluent la biodiversité sur trois niveaux : celui des espèces (coexistence de différentes espèces au sein d’un même écosystème), celui des écosystèmes (différenciation des écosystèmes en fonction du support de vie) et des gènes (variabilité du patrimoine génétique au sein d’une même espèce). C’est l’interdépendance entre ces trois niveaux qui est constitutive d’écosystèmes dynamiques (adaptabilité du vivant). Mais ceux-ci sont eux-mêmes en interdépendance avec des activités humaines en constante évolution, à l’échelle microlocale de situations singulières (organisation sociale, politique, économique à l’origine des logiques pratiques et idéelles du rapport à l’environnement et aux ressources qui en sont extraites), comme à l’échelle planétaire du changement climatique et de la transition écologique.

Du côté des sciences sociales et de la philosophie, la prise en compte de la biodiversité renouvelle les approches classiques des relations des sociétés à leur environnement naturel, et cela à plusieurs niveaux. Comment la question de la biodiversité (et les enjeux complexes qu’elle condense) est-elle introduite institutionnellement, socialement, politiquement, économiquement ? Quelles significations en sont produites par les sociétés et de quelle manière ? Comment sont fabriquées les normes internationales en matière de préservation de la biodiversité ? Comment sont-elles traduites dans les règlementations nationales et mises en application ? Que transforment-elles des relations entre différentes catégories d’acteurs, aux intérêts souvent divergents voire ouvertement conflictuels : communautés locales, groupes militants, États, ONG, entrepreneurs locaux, investisseurs nationaux ou transnationaux, experts, scientifiques ? La question des inégalités (sociales, économiques, politiques, etc.) et des rapports de force se niche au cœur de la question.

Ces perspectives complexifient également les oppositions classiques entre différentes approches des finalités et des moyens des politiques et réglementations à mettre en œuvre : préservation, conservation ou protection des espaces naturels ? Les recherches de ces dernières décennies ont largement montré le caractère illusoire des visions forgées sur des milieux auparavant décrits comme « naturels », « vierges » ou « primaires », à l’instar des forêts tropicales. Ces milieux jusqu’alors considérés comme « sauvages » ont en réalité été de longue date investis et transformés par l’action humaine qui, selon les circonstances, a contribué à appauvrir ou à enrichir leur biodiversité.

Ces constats confèrent toute son acuité, mais aussi son ambivalence et ses limites, à la notion de service écosystémique. Élaborée dans une visée pragmatique, souvent critiquée pour son anthropocentrisme voire son utilitarisme (i.e. la biodiversité doit être préservée parce qu’elle constitue la condition d’une gestion durable des ressources, voire un gisement de ressources non encore exploitées), cette notion peut néanmoins être mobilisée à des fins pédagogiques, pour faire prendre conscience de l’importance de la préservation d’espèces singulières ou d’écosystèmes particuliers dans la perspective de pérenniser des ressources naturelles et/ou écologiques au niveau local, ou dans l’urgence globale de la lutte contre le changement climatique. Elle peut ainsi contribuer à modifier les représentations pour faire évoluer les pratiques lorsque celles-ci s’avèrent destructrices (surexploitation, défrichage et transformation des habitats naturels, usages de produits éco-toxiques comme les pesticides, pollutions urbaines et industrielles, effets induits des industries d’extraction, gestion des déchets, introduction d’espèces invasives, etc.). La notion de service écosystémique est elle-même plurielle : elle peut se décomposer en quatre grands faisceaux pour signifier les services d’approvisionnement rendus à l’homme par les écosystèmes (culture, exploitation, prédation, extraction), les services de régulation (climat, qualité de l’eau ou de l’air, pollinisation, érosion, gestion des risques naturels etc.), les services culturels (détente, loisirs, inspiration artistique, éducation, activités religieuses etc.) et les services de support nécessaires à la (re)production des trois autres (formation des sols, cycle de l’eau etc.).

La pandémie de covid-19 a récemment donné une nouvelle actualité à l’ensemble de ces questions, alors même que la problématique des maladies émergentes (épizooties pour l’essentiel) est portée par les scientifiques depuis une cinquantaine d’années. Les questions de santé publique, et notamment la perspective « une santé unique » impliquent de s’intéresser d’un même mouvement à l’ensemble des interactions entre communautés humaines et leur environnement naturel, dans un contexte de globalisation des échanges internationaux.

Ce second numéro de la revue ARDD a l’ambition de fournir un aperçu de la manière dont ces questions complexes sont abordées dans les différents champs disciplinaires qu’elles mobilisent, quelles que soient les aires géographiques.

La notion de biodiversité est-elle opératoire d’un point de vue scientifique ou bien en termes de politique publique ? Comment est-elle problématisée dans les sciences naturelles, les sciences sociales ? Comment ces différents champs de connaissance peuvent-il collaborer, et à quelle fin ? Selon les cas, quels problèmes épistémologiques cela soulève-t-il ? Quelles méthodologies peuvent être mises en œuvre pour interroger cet objet complexe ?

Ce numéro pourra accueillir des articles qui abordent la question du point de vue théorique, épistémologique et méthodologique, sous un angle global comme du point de vue de l’étude de cas particuliers, de démarches expérimentales localisées, dans tous les espaces géographiques et relevant de toutes les disciplines scientifiques. La problématique concerne les recherches dites fondamentales ou appliquées (agronomie, sciences de l’ingénieur, architecture, urbanisme, paysagisme, aménagement, etc.).

Les auteur.e.s sont invité.e.s à illustrer comment elles/ils mobilisent la notion de biodiversité sous trois aspects : au plan des connaissances, au plan pratique de l’expérience, et en explicitant la forme que prend l’implication de la/du chercheur.e dans l’expérience qu’elle/il observe. Nous souhaitons recueillir un éventail très large de modalités de mise en œuvre des recherches : expériences de recherche-action, engagement du/de la chercheur.e auprès des acteurs de son terrain, ou recherche distanciée visant à alimenter la réflexion sur l’action, la pratique, les normes, etc.

Les articles doivent être rédigés dans une langue accessible, avec un souci de pédagogie, et demeurer suffisamment synthétiques pour ne pas dépasser 40 000 signes.


Calendrier

– Les propositions d’article (résumés) sont à adresser avant le 31 janvier 2022 à l’adresse de la rédaction

– Les articles complets (40 000 signes) doivent parvenir au plus tard le 30 avril 2022.

– La parution du numéro est prévue en novembre 2022.


Appel à articles : autres rubriques

La revue ARDD publie également :

– des articles hors-thème (varia)

– des articles consacrés à la biographie et à l’action de personnages emblématiques, d’Afrique ou d’ailleurs (tels René Dumont, Wangari Muta Maathai).

– des articles présentant des institutions, organisations, associations dont l’action (recherche, enseignement, diffusions de connaissances, etc.) se situe dans le champs du développement durable.

– Des comptes rendus d’ouvrage et notes de lecture.

Hans Jonas : un penseur du développement durable

SIALLOU Kouassi Hermann
Philosophe, Université Alassane Ouattara (UAO), Bouaké, Côte d’Ivoire


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Portraits, biographies, œuvres


Pour citer cet article

SIALLOU Kouassi Hermann : « Hans Jonas : un penseur du développement durable », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/577/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

Hans Jonas : un penseur du développement durable

par Kouassi Hermann SIALLOU

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Hans Jonas (1903-1993) est un philosophe allemand du XXe siècle né dans une famille juive en Allemagne, à Mönchengladbach. Sa philosophie est certes audacieuse et libre, mais trouve son enracinement métaphysique dans l’influence déterminante de trois grands maîtres : Edmund Husserl, Martin Heidegger et Rudolf Bultmann. Il fut précisément influencé par la phénoménologie husserlienne et par la théologie de Bultmann à partir de la philosophie des religions et séduit par l’ingéniosité des idées de Heidegger. Ses études universitaires sont couronnées par l’obtention d’un doctorat sur la gnose qu’il soutient sous la direction de Heidegger. Il poursuit plus tard ses travaux en orientant sa réflexion, en tenant compte de la réalité du moment et des expériences vécues, sur la vie et le vivant saisis du point de vue d’une éthique de la technique, appliquée aux avancées des biotechnologies, mais aussi aux enjeux écologiques. Ainsi, Jonas bâtit une réputation philosophique exceptionnelle en Europe en reliant la phénoménologie et l’existentialisme de la première moitié du XXe siècle avec une sensibilité environnementale toute nouvelle. Pour ses œuvres, il a été abondamment récompensé en Allemagne. Aujourd’hui, plusieurs instituts de recherche allemands portent son nom. Ses idées sont même connues au-delà des enceintes universitaires (Whiteside, 2020). En Allemagne, Jonas est devenu une figure publique, si bien qu’à Mönchengladbach, sa ville natale, il est mémorialisé par une statue. Son nom est devenu un terme régulièrement employé dans les discussions allemandes sur l’environnement.

Jonas est donc considéré comme un bioéthicien, un écophilosophe, une figure emblématique dont la pensée éthique a suscité la conscience écologique et la nécessité de donner une nouvelle orientation à la dynamique du développement. L’originalité de sa pensée écologique fait de lui une référence mondiale dans le domaine de l’éthique environnementale et du développement durable. Éric Pommier (2013), à juste titre, fait de lui « le premier, et le seul philosophe d’envergure, à avoir mis au cœur de sa réflexion le souci de la nature et de la vie » orientée vers l’avenir, qui aiguise le sens de la responsabilité et de la prise en compte de l’avenir de l’humanité. Jonas, en effet, pense que le mode de production et de consommation des sociétés calqué sur le modèle occidental menace l’équilibre global de la nature et la pérennité de la vie sur terre. Pour lui, un tel mode de vie s’accompagne de risques multiples et rend incertain l’avenir de l’humanité.

Qu’est-ce qui fonde l’intérêt de Jonas pour la protection de la nature ? En quoi sa réflexion éthique dans le champ de l’écologie politique prend-elle en compte les enjeux et les exigences du développement durable ? Comment peut-on mettre en œuvre, de façon pratique, le concept de développement durable pour garantir l’avenir de l’humanité ? L’argument qui justifie le souci de Jonas pour la préservation de la nature est que la destruction de cette réalité peut entrainer l’anéantissement de la vie humaine et provoquer la fin de l’humanité. Or, le mode de vie des sociétés modernes, marqué principalement par la dynamique technoscientifique et l’économisme triomphant, semble évoluer en marge du principe de continuité de la vie sur terre qui innerve l’ensemble de sa pensée.

L’objet de cette contribution est de présenter les enjeux et les implications du développement durable à la lumière de l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas. Notre approche consiste, pour ce faire, à dévoiler les raisons de la demande d’un développement durable en nous appuyant sur la pensée écologique de l’auteur. Cette contribution s’attache également à présenter l’éthique du futur de Hans Jonas comme une compréhension du développement durable. À travers une démarche axée sur la biographie et la présentation de la pensée écologique de l’auteur, nous articulons notre réflexion autour de trois axes. Le premier tente de mettre en évidence les déterminants écologiques et politiques d’un développement durable à la lumière des considérations jonassiennes sur les fondements et les finalités de la société moderne. Le deuxième cherche à établir le rapport de conformité entre les principes de l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas et le concept de développement durable tel que présenté par le rapport Brundtland. Le troisième axe montre la dimension pragmatique ou pratique dans la réalisation du développement durable.

La crise du modèle de développement occidental et l’intérêt jonassien pour la préservation de la nature

Dans son projet de société, Francis Bacon (1561-1626) fait la promotion du savoir comme moyen pratique de maîtrise intégrale de la nature afin d’améliorer la situation de l’homme sur terre. Pour lui, il faut rendre la science active au lieu de la maintenir, à la manière des anciens, dans une simple contemplation des phénomènes naturels. Hans Jonas s’appuie sur cette conception baconienne de la science moderne pour décrire la différence radicale entre le rôle de la connaissance dans l’esprit antique et celui qu’elle a dans l’esprit moderne. Il fait remarquer que dans la vision baconienne, l’objectif de la connaissance est « d’acquérir la maîtrise de la nature. Le royaume de l’homme est celui d’une nature qu’il domine grâce à laquelle la misère de notre dépendance vis-à-vis de ses maigres trésors cède la place à l’abondance que nous pouvons lui arracher » (Jonas, 2005). L’objet de cette domination de la nature par le savoir est l’amélioration du sort humain. Partageant les mêmes convictions, René Descartes (1596-1650) ajoute plus tard que la science et la technique, en tant qu’instruments opératoires, peuvent rendre les hommes « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes, 2000). Avec la maîtrise de l’homme sur les processus naturels, l’avenir devient prévisible et l’existence plus aisée à travers l’exploitation sans limite des ressources naturelles. Ainsi, l’on assigne une finalité libératrice à la science et la technique en tant qu’outils incontournables de développement des sociétés.

L’universalisation de cette pensée occidentale conduit à la croyance en un meilleur avenir qui repose uniquement sur la croissance économique fortement consommatrice des ressources naturelles. Dès la fin du XIXe siècle et pendant la majeure partie du XXe siècle, sous l’impulsion du progrès technique, scientifique et industriel, le monde va connaître un développement prodigieux fondé sur le seul critère économique. La recherche effrénée du profit, le culte de l’argent et la croissance économique sont, dès lors, érigés en principes de développement. Il nait une conception du monde qui repose essentiellement sur le fait que le développement économique, comme accroissement de la production matérielle, est la panacée aux maux de l’humanité. De là, s’accélère la diffusion du mode de vie occidental qui aboutit à la mondialisation de l’économie qui se révèle à double face. Elle a permis, d’une part, par le développement industriel des pays, d’améliorer les conditions de vie des populations, et de faciliter leur accès à l’éducation, à la santé, et à des biens dont elles étaient privées, et de réduire la pauvreté pour de nombreuses personnes. D’autre part, cette mondialisation de l’économie n’étant pas équitable, a créé plus d’inégalités en accordant la priorité à une concurrence sans cadre d’intérêt général, à la recherche d’un profit toujours plus grand. Bien plus, elle a favorisé le pillage des ressources, « déstabilisé des États et des systèmes de production, fragilisé des systèmes de protection sociale existants et provoqué des crises de tous ordres mêlant de manière indissociable aspects écologiques, sociaux, culturels, économiques et politiques » (Cancussu Tomaz Garcia et al., 2012 ).

Finalement, le développement qui était censé libérer l’espèce humaine de sa condition précaire et de la pauvreté en lui apportant bien-être, richesse et confort, a engendré un monde dominé par l’idéologie marchande et dépouillé de valeurs dans lequel le mode de vie des hommes ne garantit pas l’avenir de tous. Au contraire, il entraine l’exploitation outrancière des ressources naturelles et produit des effets nocifs pour la biosphère. D’ailleurs, c’est pour cette raison que Jonas voit dans la volonté de domination de la nature et son humanisation une forme d’appropriation illégitime de cette dernière ou encore une stratégie qui aboutit à un « pillage toujours effronté de la planète » (Jonas, 1990). Les ressources naturelles n’étant pas inépuisables, la soumission de la nature, destinée au bonheur humain, conduit l’humanité « plus près de l’issue fatale » (Jonas, 1990). L’être humain, par son ambition et par sa possibilité illimitée de satisfaire ses désirs, met en cause les conditions de sa propre survie. Les problèmes que connait l’humanité aujourd’hui, d’après Jonas, proviennent en majorité des avatars de notre conception matérialiste du monde où la nature a seulement une valeur marchande.

Visiblement, la modernité supposée apporter un réel espoir à l’humanité a développé une conception instrumentaliste de la nature et engendré une société productiviste et consumériste qui dégrade les données naturelles de base, indispensables à notre survie. « En détruisant ainsi le monde naturel, nous rendons la planète de moins en moins vivable » (Goldsmith, 2002). Il est évident que demeurer dans une telle forme de développement serait conduire le monde vers un écocide. Il devient, dès lors, nécessaire de trouver des stratégies de reliance entre le développement technico-économique et les besoins réels des populations. Pour Jonas, cette situation d’urgence appelle à repenser les impacts globaux du mode de vie et de développement occidental. À cet effet, dans Le Principe responsabilité, ouvrage qui propulse l’auteur sur la scène internationale et dans lequel il exprime son inquiétude pour l’avenir, Jonas indique que la réflexion éthique ne doit plus concerner uniquement les rapports interhumains. Elle doit aussi interroger la manière dont nous pouvons vivre avec la nature ou comment celle-ci peut subsister avec nous.

L’intérêt que le philosophe accorde à la nature tient au fait que celle-ci est indispensable à notre survie. Chez Jonas (1990), c’est « la nature en général qui porte la vie ». En tant que biosphère, elle est le lieu où se déroule la vie, le socle de l’existence, le seul réservoir de ressources vitales dont dispose l’humanité pour sa survie. Sa préservation est donc indispensable à la perpétuation de la vie sur terre. De ce point de vue, il y a lieu de dire que le destin de l’homme dépend de l’état de la nature. Il revient à l’homme, en tant qu’être raisonnable, de prendre des dispositions nécessaires en vue de protéger la nature et garantir l’avenir de l’humanité. C’est dans cette logique que Jonas place au centre de son discours du Prix de la paix « la responsabilité que détient l’homme en tant que maître de la terre » (Jonas, 2005). Dans ce discours, Jonas présente non seulement les crises auxquelles pourrait conduire la mauvaise gestion de la nature, mais développe également l’idée selon laquelle nous les humains, qui agissons avec connaissance et liberté, sommes responsables de l’avenir. Cela sous-entend que la qualité et les conditions de vie futures de l’humanité dépendent de nous et que, désormais, nous avons intérêt à évaluer les conséquences à long terme de nos décisions et notre manière d’habiter la terre.

L’éthique du futur comme appel à un développement durable

L’idée de développement durable est venue du constat de la finitude des ressources naturelles et de l’impact hautement perturbateur des activités humaines sur la biosphère. Dans le rapport Brundtland Notre futur commun, le développement durable est défini comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (CMED, 1988)[1]. Deux concepts sont inhérents à cette notion. Il y a, d’une part, le concept de besoins et plus particulièrement les besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité. D’autre part, il y a l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent à la capacité de l’environnement à satisfaire les besoins actuels et à venir. La sauvegarde du futur évoquée dans cette définition traduit la vision intergénérationnelle du développement en termes d’équité et implique d’évaluer dès à présent les impacts à long terme de nos décisions et actions dans notre manière de vivre et de construire le monde. Le développement durable revendique, de ce point de vue, un modèle de développement plus responsable qui, en plus de créer les conditions favorables pour une vie plus prospère, porte le souci de la continuité de la vie sur terre et de la garantie d’une meilleure condition de vie future. Toutes ces notions qui constituent le ciment du développement durable se retrouvent implicitement chez Jonas notamment à travers l’éthique de la responsabilité qui nous dresse des obligations envers la vie, la nature et les générations futures.

Le concept de développement durable implique également des limites. Comme le précise le rapport Brundtland, « il ne s’agit pourtant pas de limites absolues mais de celles qu’imposent l’état actuel de nos techniques et de l’organisation sociale ainsi que de la capacité de la biosphère de supporter les effets de l’activité humaine » (CMED, 1988). Chez Jonas, cette limitation suppose une minimisation de l’impact de l’agir humain sur la biosphère car il considère que nous avons une obligation à l’égard de l’avenir. L’obligation de préserver l’humanité de toute disparition constitue un impératif catégorique qui structure la pensée du philosophe. Dans Le Principe responsabilité, l’un des ouvrages importants de la réflexion contemporaine sur l’écologie, Hans Jonas pose les bases d’un développement durable. Il interroge notre responsabilité morale à l’égard de toutes les formes de vivant et nous invite à la plus grande prudence à l’égard du progrès. L’auteur y propose une nouvelle éthique à la dimension des défis de notre époque. Cette éthique est une éthique prospectiviste, c’est-à-dire tournée vers l’avenir. Comme Jonas le dit lui-même, cette éthique est « une éthique d’aujourd’hui qui se soucie de l’avenir et entend le protéger pour nos descendants des conséquences de notre action présente » (Jonas, 1998). La pensée de Hans Jonas s’insère dans une perspective humaniste et futuriste qui met en évidence notre responsabilité à l’égard des générations présentes et futures.

La question du futur, chez Jonas, concerne en premier lieu et surtout la nécessité de l’existence des générations futures. Jonas craint la disparition de l’espèce humaine et des ressources naturelles au regard du productivisme et du consumérisme des sociétés industrielles et technologiques de plus en plus endoctrinées par l’idéologie capitaliste. Tant par ses écrits, ses enseignements que par sa vie, Jonas se soucie de la continuité de la vie sur terre. Il postule que « nous n’avons pas le droit d’hypothéquer l’existence des générations futures à cause de notre simple laisser-aller » (Jonas, 2000). C’est pourquoi il faut nécessairement imposer des contraintes à notre liberté au risque de condamner l’humanité à la destruction. L’éthique de Jonas, en nous montrant notre obligation et notre responsabilité, a pour but de nous enseigner comment nous comporter vis-à-vis du monde. C’est ce qu’il recommande à travers son impératif catégorique suivant : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » (Jonas, 1990). Il est clair que l’idée d’un développement durable chez Hans Jonas s’enracine ontologiquement dans son éthique du futur. La préservation de l’humanité suppose de protéger la nature et de limiter le pouvoir d’action des hommes sur la biosphère. En d’autres termes, « dans les décisions actuelles, il faut veiller à ce que les coûts induits par les activités d’une génération ne viennent pas compromettre les chances des générations futures, sachant qu’il est parfois très difficile de rétablir certaines caractéristiques importantes des systèmes écologique et social une fois qu’elles ont été endommagées » (OCDE, 2001).

De façon pratique, la mise en œuvre de l’éthique de Jonas consiste à repenser les impacts globaux du mode de vie et de développement occidental en vue de construire une société soutenable tant du point de vue environnemental, économique que social. Jonas fait de l’avenir un concept décisif dans sa pensée. Il appelle à inclure les conséquences à long terme qui découlent de nos choix actuels afin de ne pas compromettre les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre. La dimension écologique de l’éthique de Hans Jonas qui s’oriente vers le futur est essentiellement mue par une nouvelle vision de notre rapport à la nature. Jonas ressent la nécessité de guider et de contrôler le développement des nouvelles possibilités d’intervention sur l’environnement et l’être humain. C’est la mise en œuvre de cette responsabilité qui se trouve au cœur de l’idée de durabilité dans le développement.

La durabilité dans le développement : plus qu’une éthique, un principe comportemental

De ses réflexions générales d’ordre ontologique, Jonas passe à une éthique concrète et pratique, pouvant réguler l’agir de l’homme. Désormais, pour lui, la philosophie doit s’aventurer sur des questions importantes d’un point de vue pratique. Elle doit intervenir dans la vie et fournir des lignes de conduite directrices pour montrer comment nous devons vivre, ce que nous devons faire ou ne pas faire afin de garantir une vie de qualité et permanente sur terre. Jonas s’engage, en d’autres termes, dans des problèmes plus pratiques, vastes et urgents qui concernent l’ensemble de l’humanité. Dans cette perspective, il oriente désormais sa réflexion en vue d’« une contribution aux choses du monde et aux affaires humaines » (Jonas, 2005). Cette nouvelle orientation qu’il assigne à la philosophie et son affirmation pour une responsabilité globale de l’homme lui valut le Prix de la paix des libraires allemands en 1987, année où nait officiellement le concept de développement durable. Dorénavant, la question du comportement que l’homme doit adopter vis-à-vis de la nature en vue de garantir une meilleure condition de vie future, qui resta étrangère à la philosophie classique, fait l’objet de la réflexion éthique du philosophe. C’est à ce titre que Traoré et Siallou (2019) n’hésitent pas à conclure que « toute la philosophie de Jonas est donc la détermination d’un cadre qui rend possible l’action éthique et morale en faveur de la nature et des générations futures. Pour lui, le sentiment de responsabilité qui est motivé par la présence d’un objet qui repose sur une valeur immanente doit impulser les individus à l’action ». Cette réflexion s’inscrit dans la recherche d’un monde viable et prospère dans lequel le bien-être économique et social des individus est garanti sur la base d’une équité intra et intergénérationnelle.

L’impératif jonassien invite à évaluer nos actions d’aujourd’hui afin que leurs conséquences futures ne soient pas destructrices pour l’homme et la nature. Jonas propose, à cet effet, une heuristique fondée sur la peur pour rendre plus opératoire son éthique : « La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n’est pas celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir » (Jonas, 1990). Cette démarche qui consiste à envisager le pire pousse, selon Jonas, à l’action et permet de limiter les dégradations majeures de la nature. Les générations présentes ont le devoir d’anticiper les menaces qui découlent de leur toute puissance afin de ne pas compromettre la vie des générations futures. Au-delà de son aspect théorique, l’impératif catégorique de Hans Jonas est pratique dans la mesure où il invite à un changement radical qui consiste à récuser tout programme de développement qui n’accorde pas de sens et de valeur véritable à l’existence de l’humanité dans le futur. Le postulat de la nécessité de l’existence des générations futures détermine donc l’action responsable chez Jonas. Hermann Siallou (2017) considère que la transition à laquelle l’on aspire ne peut s’opérer sans une éducation qui intègre les valeurs environnementales, de durabilité et d’humanité. C’est pourquoi il recommande, « au-delà de toutes les mesures de protection de l’environnement, la culture à l’écocitoyenneté comme une nécessité fondamentale ». En d’autres termes, la perspective envisageable est donc celle qui consiste à « aiguiser le sens de la responsabilité individuelle et collective pour parvenir à une véritable conscience écologique » (Traoré & Siallou, 2019). La responsabilité éthique doit être conçue et envisagée, de ce fait, comme un principe de vie pour déterminer les pratiques écocitoyennes susceptibles de favoriser la promotion d’un développement durable. Elle concerne tout individu, les industriels, les scientifiques, les politiques. Chacun, à son échelle, doit faire sa part.

Le développement durable « fait désormais partie des perspectives sous lesquelles les sociétés contemporaines se représentent, au moins en partie, leur avenir commun » (Burbage, 2013). Tous les États en font un référentiel incontournable dans leur politique de gestion socioéconomique. Considéré comme absolument nécessaire, il s’impose aujourd’hui comme une finalité. En termes de balise, le type de développement visé est de se préoccuper des besoins fondamentaux, d’éviter de dépasser la capacité de support des systèmes naturels, de répartir équitablement les bénéfices du progrès scientifique, technique et social, d’agir avec précaution et de penser à long terme. De ce point de vue, la réalisation d’un développement durable ne s’opère pas seulement à partir d’une éthique qui prescrit uniquement des lignes de conduite à suivre. C’est un projet humain à la recherche d’un monde meilleur et prospère pour tous, qui prend en compte toutes les générations.

Au-delà de toutes les solutions envisagées, le développement durable est un processus qui exige des engagements, des sacrifices et des changements profonds dans notre société sur les plans individuel, collectif, scientifique et institutionnel. Pour atteindre des résultats probants en matière de développement durable, il faut une planification stratégique pratique. Le développement durable constitue « une démarche progressive visant à réduire, et ce indéfiniment, tout ferment de destruction » (Bourg, 2002). Il n’est donc pas un ensemble de normes à atteindre absolument. Il s’agit de repenser nos modes de production et de consommation en élaborant des pratiques optimales capables d’établir l’équilibre entre le progrès économique, le progrès social et la préservation de l’environnement. Cela implique nécessairement l’optimisation de l’utilisation des ressources naturelles, la sobriété et le partage dans l’usage des ressources et le respect des limites de la planète et des écosystèmes.

Conclusion

Hans Jonas est une référence majeure dans le mouvement écologique mondial et l’un des grands penseurs du développement durable. Étant donné que la dynamique du développement, sous l’impulsion technologique et économique, a dorénavant la capacité de transformer nos conditions d’existence, voire de les détruire, pour Jonas, une éthique capable de limiter la démesure de ce pouvoir prométhéen est nécessaire. Il s’agit concrètement de repenser l’action humaine dans la nature de sorte à ne pas compromettre la qualité et la perpétuation de la vie sur terre. Jonas pense qu’aucun être humain n’a la capacité de prévoir avec certitude l’avenir, ni à court terme ni à long terme. Ce qui veut dire qu’on ne sait vraiment pas à quoi ressemblera notre monde demain. Nous ne disposons d’aucune connaissance, d’aucune technologie, d’aucun pouvoir gigantesque capable de nous situer, avec exactitude, sur les problèmes auxquels le monde fera face demain. Seulement une chose est certaine. Nous pouvons entrevoir comment notre comportement d’aujourd’hui aura des impacts sur la qualité de la vie future. C’est pourquoi il est judicieux d’évaluer les choix liés au destin de l’humanité et d’orienter notre modèle de développement de sorte à ne pas hypothéquer les conditions de vie future. Les principes de respect des générations futures, de responsabilité à l’égard de l’environnement et de l’humanité, de précautions qu’il nous faut prendre en vue d’éviter des catastrophes qui affecteraient aussi bien l’homme que la possibilité de la vie en général et l’ensemble des théories qui structurent la philosophie de Jonas, surtout dans le champ de l’écologie, dévoilent sa contribution active à l’émergence du concept de développement durable.

Bibliographie

Bourg Dominique (2002). Quel avenir pour le développement durable ? Paris, Le Pommier.

Burbage Franck (2013). Philosophie du développement durable. Enjeux critiques. Paris, PUF.

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Notes

[1] Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement.


Auteur / Author

Docteur en philosophie, Siallou Kouassi Hermann est un chercheur qui s’intéresse à la bioéthique, à l’éthique environnementale et au développement durable. À côté de sa thèse de doctorat qui a analysé l’utilité des biotechnologies dans le processus de mise en œuvre du développement durable à la lumière des pensées de Hans Jonas et Gilles-Éric Séralini, il a mené des réflexions qui ont donné lieu à des communications et publications sur ces thématiques. Il est également titulaire d’une licence en sociologie, et est actuellement inscrit en master de sociologie où ses études s’inscrivent essentiellement dans la sociologie de l’environnement et du développement.

Siallou Kouassi Hermann has a PhD in philosophy and is a researcher interested in bioethics, environmental ethics and sustainable development. In addition to his doctoral thesis, which analysed the usefulness of biotechnologies in the process of implementing sustainable development in the light of the thoughts of Hans Jonas and Gilles-Éric Séralini, he has conducted reflections that have given rise to communications and publications on these themes. He also holds a Bachelor’s degree in sociology, and is currently enrolled in a Master’s degree in sociology where his studies focus mainly in the sociology of the environment and development.


Résumé

Le développement actuel, produit réel de l’universalisation du mode de vie consumériste de la société occidentale repose, selon Hans Jonas, sur une perspective à courte vue dans la mesure où il favorise la destruction des ressources naturelles qui garantissent la survie ou l’avenir de l’humanité. L’éthique de la responsabilité qu’il propose pour pallier cette situation et qui se fonde sur les notions d’avenir, de continuité, de survie, de futurisme, indique qu’il s’engage résolument sur la voie du développement durable. Pour lui, l’obligation que nous avons envers l’humanité exige de rompre avec le modèle de développement occidental fondé uniquement sur le critère économique pour faire naître un nouveau type de développement qui crée les conditions favorables à une existence plus prospère dans une perspective intergénérationnelle. Cette contribution vise à dévoiler toute la quintessence de sa philosophie qui ferait de celui-ci un penseur du développement durable.

Mots clés

Développement durable – Environnement – Éthique du futur – Générations futures – Hans Jonas – Responsabilité.

Abstract

Current development, the real product of the universalization of the consumerist lifestyle of Western society, is based, according to Hans Jonas, on a short-sighted perspective insofar as it favors the destruction of natural resources that guarantee survival or the future of humanity. The ethics of responsibility that he proposes to remedy this situation and which is based on the notions of the future, continuity, survival and futurism, indicates that he is resolutely committed to the path of sustainable development. According to him, the obligation we have towards humanity requires breaking with the Western development model based solely on the economic criterion to give birth to a new type of development that creates the conditions favorable to a more prosperous existence from an intergenerational perspective. This contribution aims to unveil all the quintessence of his philosophy which would make him a thinker of sustainable development.

Key words

Sustainable development – Environment – Ethics of the future – Future generations – Hans Jonas – Responsibility.

Portrait d’un précurseur de la décroissance : Nicholas Georgescu-Roegen et la bioéconomie

SLIM Assen
Économiste, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), Centre de recherche Europes Eurasie (CREE – EA 4513), Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA – UMR 245), France.


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Portraits, biographies, œuvres


Pour citer cet article

SLIM Assen : « Portrait d’un précurseur de la décroissance : Nicholas Georgescu-Roegen et la bioéconomie », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/571/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

Portrait d’un précurseur de la décroissance : Nicholas Georgescu-Roegen et la bioéconomie

par Assen SLIM

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Physicien, devenu économiste, Nicholas Georgescu-Roegen a proposé ni plus ni moins qu’un changement de paradigme en science économique pour réfléchir à la durabilité. Au paradigme qu’il nomme « mécaniste », il s’est employé à substituer un paradigme « thermodynamique » et à remettre, pour ainsi dire, les économistes les pieds sur terre. Tout projet de transformation radicale de la société commence par une révolution de la pensée et c’est bien ce à quoi nous invite Nicholas Georgescu-Roegen. Son œuvre a inspiré les pionniers de l’économie de l’environnement et de l’écologie industrielle et irrigue aujourd’hui les grands débats sur la durabilité.

Des sciences exactes aux sciences sociales

Né en Roumanie en février 1906, Nicholas Georgescu-Roegen ressent très tôt une vocation pour les mathématiques et les statistiques. Après l’obtention de son doctorat de statistiques à la Sorbonne en 1930, il passe deux années à Londres auprès de Karl Pearson. En 1932, il rentre en Roumanie ou il entame une carrière de professeur à l’Institut de Statistique de l’Université de Bucarest.

De 1934 à 1936, il séjourne aux États-Unis où il rencontre Josef Aloïs Schumpeter. Ce séjour décide de sa future orientation vers la discipline économique. De retour en Roumanie, il occupera différents postes dans la fonction publique jusqu’en février 1948 où il est amené à émigrer avec sa femme (mathématicienne) aux États-Unis. Il y retrouve ses amis économistes et devient professeur de cette discipline à l’Université Vanderbilt, à Nashville (Tennessee). Il ajoute alors « Roegen » à son nom pour dire : « Român e Georgescu Nicolae » ce qui signifie « Nicolae Georgescu est Roumain ». Durant sa carrière, il est invité dans de nombreux pays pour y enseigner et exposer son approche originale de l’économie. C’est ainsi qu’il enseigne, par exemple, à l’Université de Strasbourg en 1977-1978.

La révolution « bioéconomique » envisagée par Nicholas Georgescu-Roegen tient en trois livres clés : Analytical Economics (1966), The Entropy Law and the Economic Process (1971) et Energy and Economics Myths (1976). Ses textes clés, rassemblés et traduits en français par Jacques Grinevald et Ivo Rens, paraissent en 1979 sous le titre Demain la décroissance, puis sont réédités en 1995 sous le titre La Décroissance. Ils ont depuis un retentissement sans cesse croissant sur les mouvements écologistes européens.

Pourquoi les économistes ont tort

« Ceux qui croient à une croissance infinie dans un monde fini sont soit fous, soit économistes » ! C’est par cette formule que Kenneth Boulding (Président de l’American Economic Association en 1968) résumait le décalage entre la pensée économique et le monde réel. Et c’est précisément sous cet angle que Nicholas Georgescu-Roegen entreprend de refonder la science économique. Il part des croyances des économistes, c’est-à-dire de la base sur laquelle ils déterminent leurs représentations du monde. Et, assurément, Nicholas Georgescu-Roegen ne voit pas le monde de la même manière qu’eux, ne croit pas aux mêmes choses et, en un mot, ne partage pas le même paradigme que ces derniers. Il faut entendre ce terme ici au sens de Weltanschauung (vision du monde) tel que défini par Thomas Kuhn, c’est-à-dire comme un ensemble de références, de croyances, d’expériences et de valeurs largement adoptées par la communauté scientifique à une époque donnée (Kuhn, 1970). Le paradigme influence la façon dont les individus perçoivent le monde réel. Et précisément, les économistes ont leur manière bien à eux de considérer la réalité. Leur pensée suit des « rails » propres au paradigme dominant dans leur discipline.

Nicholas Georgescu-Roegen s’interroge alors sur ce qui se trouve au cœur du paradigme des économistes. Il y trouve des croyances directement reliées à la mécanique newtonienne (ou mécanique classique). C’est pour cette raison qu’il décide de le nommer paradigme « mécaniste ». Nicholas Georgescu-Roegen s’étonne de ces croyances dans la mesure où le dogme mécaniste a été largement remis en cause non seulement dans les sciences de la nature (et en particulier la physique), mais également dans de nombreuses sciences sociales (à commencer par la philosophie). Les croyances des économistes lui apparaissent donc d’un autre âge, basées sur un paradigme largement dépassé dans les autres sciences. Rappelons que la mécanique newtonienne décrit le mouvement des corps selon les principes formulés par Newton dans son fameux Principa Mathematica (1687), au premier rang desquels on peut citer les principes d’inertie (le mouvement de tout corps est la résultante des forces qui s’applique à lui), de translation (l’accélération d’un corps est proportionnelle à la résultante des forces qu’il subit et inversement proportionnelle à sa masse), des actions réciproques (deux corps en interaction exercent l’un sur l’autre des forces de sens opposés). Ces principes amènent à l’adoption d’une vision du monde qui admet les notions de conservation (de la quantité de mouvement des systèmes), de réversibilité ou encore de déterminisme (puisque tout mouvement est le résultat de forces quantifiables). C’est précisément ce que reproche Nicholas Georgescu-Roegen à ce paradigme qui conduit les économistes à croire que l’ensemble du processus économique serait comparable à un système autonome, déconnecté de la biosphère et se suffisant à lui-même : « preuve en est – et elle est éclatante – la représentation dans les manuels courants du processus économique par un diagramme circulaire enfermant le mouvement de va-et-vient entre la production et la consommation dans un système complètement clos ». (Georgescu-Roegen, 1995, 65). Il suffit en effet d’ouvrir un manuel d’économie pour s’en convaincre. Le circuit économique y est généralement représenté par un diagramme « fermé » (ne tenant pas compte des interactions avec l’énergie et la matière) allant de la production à la consommation en passant par les investissements, les revenus, l’épargne, etc. C’est en ce sens, par exemple, que le courant néoclassique prétend faire de la science économique « la mécanique de l’utilité » (Jevons, 1871). C’est en ce sens également que Marx représente son fameux diagramme de reproduction comme un mouvement parfaitement circulaire et déconnecté de l’écosystème naturel (Marx, 1867).

Partageant le même paradigme, les économistes (tous courants confondus) auraient donc la fâcheuse tendance à penser « hors sol » (Cheynet, 2008). Le projet de Nicholas Georgescu-Roegen consiste justement à refonder le paradigme de la science économique afin de reconnecter la pensée des économistes à la nature. Il entreprend alors d’y substituer la thermodynamique à la mécanique.

Il y a des limites physiques à l’expansion économique

Suivant l’invitation de Sir W. Petty à considérer que « le travail est le père et la nature la mère de toute richesse », N. Georgescu-Roegen propose tout d’abord de mesurer en termes physique les ressources physiques absorbées par la production. Il rappelle alors les deux lois de la thermodynamique s’appliquant à la matière et à l’énergie. La « loi stricte de conservation », tout d’abord, garantit que dans tout système isolé (comme l’est la Terre par exemple) la quantité de matière et d’énergie reste constante. En d’autres termes, rien ne se perd, rien ne se crée et tout se transforme… Selon cette loi, tout processus (y compris économique) peut « avoir lieu dans un sens ou dans l’autre, de telle sorte que tout le système revienne à son état initial, sans laisser aucune trace de ce qui est advenu » (Georgescu-Roegen, 1995). La loi de l’entropie, ensuite, permet de distinguer entre énergie et matière « utilisables » et énergie et matière « inutilisables ». En vertu de cette seconde loi, tout processus (y compris économique) rendu possible par la première loi, transforme inexorablement de l’énergie et de la matière utilisables (dites de basse entropie) en énergie et matière inutilisables (dites de haute entropie). L’entropie de tout système isolé augmente alors continuellement et irrévocablement jusqu’à atteindre une situation où toute l’énergie et la matière utilisable et accessible ont complètement disparu. « En conséquence, le destin ultime de l’univers n’est pas la “mort thermique” (comme on l’avait d’abord cru), mais un état plus désespérant : le chaos. » (Georgescu-Roegen, 1995).

Un tel paradigme thermodynamique impose d’emblée à envisager qu’il existe des irréversibilités, des limites et des contraintes physiques à tout processus vivant.

Penser la durabilité en économie

Placer le paradigme thermodynamique au cœur de la science économique reviendrait à refonder tous les grands concepts économiques, toutes les théories, tous les grands agrégats macroéconomiques, toutes les notions de base (rendement, productivité, efficacité, etc.). Tout processus économique pensé en termes physiques ne pourrait plus être envisagé dans le cadre d’un diagramme circulaire et isolé, mais au contraire en prenant nécessairement en compte ses multiples interactions avec son environnement. Dans l’approche bioéconomique suggérée par Nicholas Georgescu, l’ensemble du procès économique devient une vaste machine à transformer de l’énergie et de la matière de basse entropie (utilisable) en énergie et matière de haute entropie (inutilisable) : « non seulement l’entropie de l’environnement augmente à chaque litre d’essence dans le réservoir de votre voiture, mais encore une part substantielle de l’énergie libre dans cette essence, au lieu d’actionner votre voiture, se traduira directement par un accroissement supplémentaire d’entropie » (Georgescu-Roegen, 1995). En ce sens, le circuit bioéconomique établit toujours une relation entre la production et la consommation, mais tient compte également des ponctions énergétiques et matérielles réalisées sur la nature utilisable et des déperditions (chaleur et particules de matières devenues inutilisables) tant du côté de la production que de la consommation et de toutes les autres étapes du processus économique (investissements, revenus, etc.).

La pensée économique, une fois sur les rails du paradigme thermodynamique, ne pourrait plus envisager l’existence d’une croissance infinie dans un monde fini. Le progrès technique ne serait plus perçu comme une simple augmentation de la production pour une quantité constante de facteurs de production. Au contraire, il serait compris comme un élargissement de la gamme « accessible » d’énergie et de matière utilisables (de basse entropie). En effet, le progrès technique, loin de repousser les limites physiques et de soustraire le procès économique à la loi de l’entropie, ne fait que rendre accessible la matière et l’énergie utilisables qui étaient jusqu’alors inaccessibles. Rien ne saurait désormais être soustrait à la loi de l’entropie. La pensée bioéconomique de Nicholas Georgescu-Roegen amène à repenser toute l’économie de l’environnement ouvrant la voit à des pratiques nouvelles permettant la réinsertion du système économique dans les écosystèmes naturels (écologie industrielle, économie de la fonctionnalité, économie de matière et d’énergie). En ce sens, la bioéconomie est à l’économie ce que la révolution copernicienne fut pour l’astronomie. Elle est d’ailleurs si novatrice pour les économistes qu’elle ne leur laisse guère que deux options possibles : l’adopter ou la rejeter…

Nicholas Georgescu Roegen meurt le 30 octobre 1994, dans l’indifférence de ses contemporains. Il lègue pourtant un immense héritage scientifique et philosophique offrant les outils pour penser la complexité du monde contemporain. Dans un chapitre intitulé « How long can neoclassical economists ignore the contributions of Georgescu-Roegen ? », Herman Daly se demande si le trop peu d’attention portée à la bioéconomie ne serait finalement pas lié au fait que cette dernière est trop en avance sur son temps (Daly, 2007). D’autres encore, ont rejeté la bioéconomie, lui reprochant son inaptitude à saisir les effets permanents d’auto-organisation et d’adaptabilité qui caractérisent l’économie dans son ensemble. Reste une interrogation : pourquoi, après tant d’années le paradigme thermodynamique n’arrive pas à s’imposer sur le paradigme mécaniste en science économique. Son pouvoir explicatif serait-il plus faible ? La corroboration de ses prédictions serait-elle plus dure à réaliser ? Serait-il plus rétif à l’expérimentation ? Imre Lakatos, rappelle que l’histoire des sciences est remplie de combats entre programmes de recherche rivaux et qu’il faut souvent beaucoup de temps avant que la postérité dégage l’intérêt heuristique d’un éventuel abandon de telle ou telle vision du monde (Lakatos, 1986). Nicholas Georgescu-Roegen, en nous invitant à réfléchir sur les conditions d’un changement de paradigme en science économique, nous engage dans une de ces grandes révolutions scientifiques, probablement celle qui sera en mesure de réconcilier l’humanité avec son environnement.

Chronologie des publications de Nicholas Georgescu-Roegen

1935. « Fixed Coefficients of Production and the Marginal Productivity Theory ». Review of Economics and Statistics, 3(1), pp. 40-49. DOI : doi.org/10.2307/2967570.

1936. « The Pure Theory of Consumer’s Behavior ». Quaterly Journal of Economics, 50(4), pp. 533-539. DOI : doi.org/10.2307/1891094.

1966. Analytical economics. Issues and Problems. Cambridge (États-Unis), Harvard University Press. La Science économique : ses problèmes et ses difficultés. Paris, Dunod, 1970.

1971. The Entropy Law and the Economic Process. Cambridge (États-Unis), Harvard University Press. Traduction du chapitre 1 en français dans La décroissance. Entropie, écologie, économie (ch. I, pp. 63-84).

1975. « Energy and Economic Myths ». The Southern Economic Journal, 41(3), pp. 347-381. Traduction française dans La décroissance. Entropie, écologie, économie (ch. II, pp. 85-166).     
URL : https://www.uvm.edu/~jfarley/EEseminar/readings/energy%20myths.pdf

1977. « The Steady Sate and Ecological Salvation : A Thermodynamic Analysis », in BioScience, avril 1977, 27(4) : 266-270. Traduction française dans La Décroissance. Entropie, écologie, économie (ch. III, pp. 167-190).

1978. « De la science économique à la bioéconomie ». Revue d’économie politique, 88(3), pp. 337-382.

1979. Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie. (Traduction, présentation et annotation par Jacques Grinevald et Ivo Rens). Lausanne, éd. Pierre-Marcel Favre, 1979. [2e édition revue et augmentée : La décroissance. Entropie, écologie, économie. (Traduit et présenté par Jacques Grinevald et Ivo Rens). Paris, Sang de la Terre, 1995 ; rééd. 2008].

1983. « La Loi de l’Entropie et l’évolution économique », Congrès des économistes de langue française, Strasbourg, 7 juin 1983.

Bibliographie

Cheynet Vincent (2008). Le choc de la décroissance. Paris, Seuil.

Daly Herman (2007). Ecological Economics and Sustainable Development: Selected Essays of Herman Daly. Cheltenham (Royaume-Uni) et Northampton (États-Unis), Edward Elgar Publishing.

Georgescu-Roegen Nicholas (1995). La décroissance. Entropie, écologie, économie. Paris, Sang de la Terre [édition de 2008].

Lakatos Imre (1986). Histoire et méthodologie des sciences. Paris, PUF [édition de 1994].

Jevons William Stanley (1871). The Theory of Political Economy. New York (États-Unis), Palgrave Macmillan [édition de 2013].

Kuhn Thomas (1970). Structures des révolutions scientifiques. Paris, Flammarion [édition de 2008].

Marx Karl (1867). Le Capital – livre I. Paris, Flammarion [édition de 2008].


Auteur /Author

Assen Slim est économiste, professeur et directeur de recherche à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) à Paris, France. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses centres de recherche sont le CREE (EA4513) et le CESSMA (UMR245). Les thèmes de recherche du Dr Slim portent sur la transition post-socialiste, l’économie internationale, l’économie de l’environnement et la durabilité.

Assen Slim is an economist, professor and director of research at the National Institute of Oriental Languages ​​and Civilizations (INALCO) in Paris, France. He holds a PhD in Economics from the University of Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Its research centers are CREE (EA4513) and CESSMA (UMR245). Dr Slim’s research themes focus on post-socialist transition, international economics, environmental economics and sustainability.


Résumé

Nicholas Georgescu-Roegen, physicien et économiste, s’est employé à penser la durabilité dans le cadre de la bioéconomie. Dénonçant la vision circulaire de l’économie dans laquelle toutes les réversibilités sont permises, il a proposé de substituer au paradigme « mécaniste » un paradigme « thermodynamique ». Selon cette approche, tout processus vivant (y compris économique) rencontre nécessairement des limites physiques indépassables et des irréversibilités qu’il convient de ne plus ignorer. L’auteur invite ainsi à repenser tout le procès économique et, au-delà, à refonder la discipline économique de manière à la reconnecter à la nature. Nicholas Georgescu-Roegen laisse un immense héritage scientifique et philosophique dont on commence à reconnaître progressivement la pertinence.

Mots clés

Développement durable – Bioéconomie – Paradigme – Entropie.

Abstract

Nicholas Georgescu-Roegen, physicist and economist, viewed sustainability as a component of bioeconomy. Denouncing a circular vision of the economy according to which all reversibilities are possible, he proposed to substitute a « thermodynamic »  paradigm for a « mechanistic »  one. According to this approach, any living process (including economic) necessarily encounters unsurpassable physical limits and irreversibilities that should no longer be ignored. The author thus invites us to rethink the entire economic process and, beyond that, to overhaul economic discipline so as to reconnect it to nature. Nicholas Georgescu-Roegen leaves an immense scientific and philosophical legacy, the relevance of which is gradually beginning to be recognized.

Key words

Sustainable development – Bioeconomy – Paradigm – Entropy.

Abidjan et Grand-Bassam à l’épreuve de la résilience aux inondations (Côte d’Ivoire)

TAGRO NASSA Marcelle-Josée
Sociologue, Institut d’ethno-sociologie, Université Félix-Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire

MIAN Anick Michelle Etchonwa
Docteure en sociologie de Université Félix-Houphouët-Boigny, Abidjan, Côte d’Ivoire

N’GORAN Konan Guillaume
Ministère de l’environnement et du Développement durable, Abidjan, Côte d’Ivoire


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Analyses : politiques, pratiques, mobilisations


Pour citer cet article

TAGRO NASSA Marcelle-Josée, MIAN Anick Michelle Etchonwa, N’GORAN Konan Guillaume : « Abidjan et Grand-Bassam face à la résilience aux inondations (Côte d’Ivoire) », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/565/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

Abidjan et Grand-Bassam à l’épreuve de la résilience aux inondations (Côte d’Ivoire)

par Marcelle-Josée TAGRO NASSA, Anick Michelle Etchonwa MIAN & Konan Guillaume N’GORAN

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L’augmentation croissante de la population urbaine dans le monde et la complexité croissante des villes (Godschalk, 2003) font de ces territoires un enjeu de la gestion des risques et des crises. Ceci fait émerger des réflexions autour de la fabrication de la « ville durable ».

Dès lors, les enjeux autour de la « ville durable » se reflètent dans les agendas des organismes de développement (ONU-Habitat, Unesco) avec le onzième objectif de développement durable de l’agenda 2030. La Politique Nationale de la Ville (PNV) adoptée par le Conseil des ministres du 19 février 2020 met l’accent sur la promotion des villes résilientes à même de prévenir des risques. La résilience urbaine constitue ainsi le nouveau paradigme en matière de gestion des risques.

Ce concept a déjà fait l’objet de nombreuses discussions sémantiques au fil du temps (UNISDR, 2005, 2015). La notion de résilience urbaine intègre initialement l’idée d’adaptation à une perturbation par une phase d’absorption des modifications induites sur le système puis une phase de réorganisation ou retour à la normale.

Reposant sur les approches systémiques et socioécologique, la résilience urbaine se définit, d’une part, comme la capacité des villes à absorber une perturbation et à se réorganiser. Elle s’inscrit, d’autre part, dans un processus d’amélioration continue visant à mettre à profit les capacités d’apprentissage et d’adaptation du système urbain pour maintenir ou renforcer les facteurs de protection de la population (Toubin et al., 2012 ; Laganier & Serre, 2017).

Cette approche permet de proposer de nouvelles manières de faire face aux catastrophes, quand les approches précédentes, axées sur l’aléa et la vulnérabilité se limitent à des solutions structurelles de protection et à des actions préventives visant à limiter la vulnérabilité (Toubin et al., 2011).

La Côte d’Ivoire face aux inondations

En Côte d’Ivoire, les fortes précipitations ont régulièrement causé des inondations avec des conséquences graves dans les quartiers de la ville d’Abidjan et certaines villes de l’intérieur traversées par des cours d’eau.

En juin 2018, avec la montée des eaux (2,50 mètres)[1], 34 personnes dont 19 à Abidjan[2] ont perdu la vie suite aux inondations causées par les pluies diluviennes. Près de 3 115 ménages ont été affectés.

Les inondations n’affectent pas que les quartiers précaires. Elles touchent également ceux dits « huppés » dans la commune de Cocody (les quartiers Akouédo, Allabra, Palmeraie, Riviera 3). Ceci occasionne des dégâts matériels et des déplacements de populations (Office National de la Protection Civile, 2018).

A l’issue des inondations de 2018, l’évaluation des besoins (pertes et dommages) post-catastrophe (PDNA)[3] en tant qu’outil d’évaluation des effets et de l’impact, a permis de quantifier les dommages et de définir les besoins financiers pour le relèvement et la reconstruction.

Ces pertes et dommages s’estiment à près de 17 milliards de FCFA et le relèvement à plus de 200 milliards (Ministère de l’Environnement et du Développement Durable, 2018).

La ville de Grand-Bassam n’échappe pas non plus aux inondations. En 2019, elle a subit la crue du fleuve Comoé à cause de la forte pluviométrie. En effet, les 5 et 6 octobre, ainsi que du 11 au 13 octobre, de fortes précipitations ont entrainé de nombreux dégâts humains et matériels. Plusieurs quartiers notamment Oddos, Phare, Petit Paris, France et Moossou ont été inondés, impactant ainsi plus de 119 ménages (Mairie de Grand-Bassam, 2019).

Photos 1 et 2 : Images de quartiers inondés à Abidjan et Grand-Bassam

L’une des entrées du quartier Allabra à Cocody après les pluies des 18-19 Juin 2018. Source : Rapport Annuel Croix-Rouge de Côte d’Ivoire, 2018
Inondation dans le quartier Odoss de Grand-Bassam après les pluies du 11 au 13 Octobre 2019. Source : Archives Mairie de Grand-Bassam, 24 octobre 2019

Les populations sinistrées ont reçu les visites et le soutien du gouvernement, des élus locaux, d’organisations non gouvernementale (ONG), d’organismes humanitaires, de communautés religieuses. Elles ont bénéficié, pour la plupart, de dons en vivres et non vivres, certaines d’une assistance psychologique ou ont été recueillis dans des centres d’accueil provisoires.

Cependant, face à la recrudescence du phénomène des inondations ces dernières années, comment Abidjan et Grand-Bassam prennent en compte les risques de catastrophes pour éviter une accumulation de nouveaux risques ? Comment alors se construit la résilience par les acteurs étatiques et non étatiques dans ces zones urbaines? Comment se fait l’appropriation durable des risques d’inondations par ces acteurs ?

« La résilience » : une représentation diversifiée et évolutive

La plupart des travaux de recherches en sciences humaines et sociales sur les inondations se focalisent sur la période de la crise, la catastrophe, ou celle de la post-crise. Ils abordent la question en termes de « perceptions des inondations » (Dourlens, 2003 ; Gilbert & Bourdeaux, 2007 ; Dupont et al., 2008).

Selon Desbordes (1997), une culture fataliste du risque d’inondation ne saurait être la seule réponse à apporter à des populations urbaines de plus en plus obsédées par des questions d’ordre sécuritaire. Bertrand et Richard (2012), renchérissent cette posture, en raison des incertitudes liées à la variabilité climatique, qui contraignent les territoires à s’adapter et à assurer l’ajustement des sociétés au changement climatique. Car, comme le souligne Gilbert (2003), la définition du risque induit une relation de cause à effet, la cause étant l’aléa, les effets sont appliqués sur les objets vulnérables.

Toutefois, selon Andres et Strappazzon (2007), si à première vue le développement durable promeut la prise en compte des risques naturels, dans la mise en œuvre des projets urbains, la portée du développement durable pour restreindre l’exposition aux risques est très limitée. Car les différentes présences de l’eau en ville suscitent des effets contradictoires, dans la mesure où elles évoquent le danger de l’inondation, mais constituent surtout un gage de qualité environnementale au sein de la ville. Dès lors, Barroca et Hubert (2008) expliquent que le développement durable dépend de la mise en place d’organisations sociales capables de penser le risque et l’aménagement urbains dans ses multiples dimensions sociales, culturelles, techniques, économiques et environnementales, mais aussi d’organisations sociales capables de mettre en place des procédures à même de faire émerger des compromis ou des consensus durables. Cet avis est quelque part partagé par Toubin et alii (2011) qui proposent une approche transdisciplinaire comme réponse à la résilience urbaine face aux risques.

Il ressort de ces travaux une diversité de représentations du concept de résilience, une complexité de la manière d’en fournir une estimation et les conditions de sa prise en compte dans l’aménagement durable des villes. Par ailleurs, ils invitent à ne pas se limiter aux réponses lors des catastrophes mais aussi à prendre en compte l’appropriation du facteur de risque chez les acteurs tant au niveau local qu’institutionnel.

Ainsi, la résilience urbaine est la capacité des villes, sous l’impulsion des besoins sécuritaires et de la variabilité climatique, à pouvoir planifier, en tenant compte de l’adaptation et de l’anticipation des risques qui représentent le croisement entre les aléas et les objets « vulnérables ».

Finalement, aborder notre sujet revient à analyser les actions au niveau individuel, communautaire et institutionnel de résilience face aux inondations.

Cadre méthodologique de l’étude

La démarche se veut empirique et intègre une approche qualitative de collecte des données. Le choix des villes à l’étude se fonde sur la récurrence des sinistres et leurs fonctions respectives, Abidjan en tant que capitale économique et Grand-Bassam en tant que ville historique. La majorité des quartiers sinistrés en 2018 et 2019 sont surtout des quartiers résidentiels, avec des plans de lotissement et d’assainissement, et même localisés sur le territoire du patrimoine historique de l’UNESCO.

La collecte et l’analyse des données ont été menées en 2018 et 2019 au travers d’une recherche documentaire, d’observations directes ainsi que d’entretiens semi-structurés individuels et de groupe.

La revue documentaire a mobilisé des travaux scientifiques et techniques, des articles de presse, des rapports d’activités de diverses institutions.

44 entretiens ont ainsi été conduits dont 29 auprès d’habitants sinistrés des deux villes et 15 référents. Il s’agit entre autres de représentants municipaux, ministériels, religieux dont les locaux ont servi de centre d’accueil des ménages sinistrés, d’ONG et d’organisation humanitaire comme la Croix-Rouge. Par ailleurs, quatre entretiens collectifs de huit personnes en moyenne avec des ménages sinistrés ont été réalisés. Les entretiens ont porté sur l’impact des inondations sur le quotidien des populations, les pratiques au niveau individuel, communautaire et institutionnel de protection contre les inondations, la gestion locale de l’inondation, les représentations sociales du risque d’inondation et leur prise en compte dans les plans de développement urbain des villes.

Des visites de terrain des aires sinistrées, de certains centres d’accueil et la participation à certaines remises de dons ont permis d’avoir accès au quotidien des sinistrés et de voir certains dégâts. Cette observation a été complétée par le visionnage de certaines vidéos et images sur les inondations publiées sur les réseaux sociaux, les chaînes nationales et internationales.

Les informations recueillies ont été retranscrites, croisées et soumises à une analyse de contenu thématique. L’analyse a permis de saisir les réactions des acteurs au lendemain des inondations, le rapport aux risques des communautés et les mécanismes qui participent à la construction de la résilience d’Abidjan et de Grand-Bassam.

Une diversité de stratégies de protection dans une synergie d’action « limitée » face aux inondations

Les populations ont une capacité de réaction locale avant toutes interventions extérieures lors des inondations. Les travaux montrent que les interactions sociales à l’œuvre dans le champ d’étude produisent une diversité de stratégies mais sont limitées par l’insuffisance de coordination et de fédération.

Une mobilisation communautaire comme ressource sociale de résilience aux inondations

Les actions de résiliences sont portées aussi bien par les acteurs institutionnels que communautaires.

1. La solidarité comme ressource sociale à l’aléa subi

Face à l’inondation, les préoccupations matérielles passent au second plan et la priorité des citadins devient leur propre survie. La solidarité de voisinage est activée. Elle consiste à prendre en charge les victimes de l’environnement immédiat et de les installer dans des endroits plus sécurisés que sont les résidences des voisins non inondées. La solidarité se manifeste aussi par l’hébergement des sinistrés chez des tuteurs, parents ou amis. Ainsi, l’inondation se construit comme un catalyseur de rapports de solidarité s’inscrivant dans des dynamiques ponctuelles et d’urgence. Toutefois, les mécanismes de pérennisation de ces interventions, qui se construisent dans la spontanéité, ne sont pas garantis. Elles ne donnent pas lieu à la mise en place d’un dispositif « formel » d’intervention au niveau local ni surtout d’un cadre de préparation aux inondations.

En référence aux précédentes inondations, les populations essaient de s’accommoder à l’exposition aux risques. A l’approche des inondations, elles procèdent aux réaménagements de leurs locaux ou aux déplacements provisoires dans des zones « plus sûres » : déplacements des meubles du rez-de-chaussée au 1er étage, changement de parking, déplacement des enfants ou personnes âgées vers d’autres lieux de résidence.

2. Le réseau religieux, un capital social de résilience aux inondations

Dans certaines religions révélées, la solidarité est construite comme une vertu qui permet au croyant d’entretenir sa relation avec la divinité. C’est dans ce cadre que des structures d’entraide sont instituées au sein des différentes communautés religieuses. Elles participent à porter secours aux « sinistrés » au travers de l’accueil, des dons, des actions d’écoute, etc. A cet effet,  l’ONG méthodiste Le réservoir de Siloé, a offert des dons aux membres de la communauté religieuse victimes des inondations. En effet, son discours sur l’implication se structure autour des infrastructures. Cela transparaît dans les propos d’un enquêté :

« Aux 62 familles sinistrées des pluies diluviennes de juin 2018, l’ONG Le réservoir de Siloe, a remis, à chacune des 22 familles ayant perdu au moins un être cher, une enveloppe de 100 000 FCFA et aux 40 autres familles sinistrées un kit composé d’un sac de riz de 25 kg, d’un carton de savon liquide, d’un carton de savon solide, d’un carton d’huile de 12 bouteilles et des boîtes de flocons d’avoine pour un coût global de 5 400 000 FCFA. Notons que le don a été fait sous la supervision de la Croix Rouge et de l’ONG catholique Citoyenneté Entraide, qui ont enregistré ces 62 familles venues d’Abidjan, Aboisso, Ouragahio et Tiassalé » (SKG, bénéficiaire des dons).

Ainsi, en vue de surmonter les altérations, les institutions religieuses prennent en charge les sinistrés. En outre, certains paroissiens ont accueilli des victimes chez eux. Par ailleurs, l’une des formes d’expression de solidarité envers les sinistrés a été de les recueillir dans les églises en attendant les interventions des autorités administratives. Ces églises ont parfois aidé à l’organisation des remises de dons. Ainsi, la paroisse Sainte Famille de la Riviera 2 a recueilli 101 personnes pendant une période de 3 mois durant laquelle elles ont reçu trois repas journaliers organisés par les services de la Caritas avec les vivres offerts par la municipalité et d’autres bienfaiteurs.

Par ailleurs, 1 100 personnes ont été hébergées à la paroisse Cœur immaculé de Marie du quartier Impérial de Grand-Bassam. Des dons d’une valeur de 15 millions de FCFA ont été remis le 19 octobre par l’État aux sinistrés de Grand-Bassam. En témoigne un homme de 37 ans, victime des inondations en 2019, résidant au quartier Odoss : « Arrivé un vendredi avec ma femme et notre fille, l’église nous a bien accueillis ». Des différentes expériences ont conduit au lancement d’opérations de mobilisation de ressources en prélude à la saison de pluies.

Mais face aux inondations, il a été observé que les communautés ne disposent pas de plan d’actions préétabli. Les actions se limitent au renforcement de l’assistance habituelle par la mobilisation de ressources auprès des fidèles ou de structures extérieures. L’absence de la culture du risque d’inondation rend difficile la pérennisation et l’anticipation des actions. Bien que ces communautés religieuses constituent des organes sur lesquels les institutions municipales et administratives peuvent s’appuyer, on remarque qu’elles ne sont pas associées à la gestion des risques et ne sont pas préparées à répondre « aux catastrophes ».

3. La Croix-Rouge de Côte d’Ivoire et des ONG comme acteurs de résilience face aux inondations

En tant qu’auxiliaire des pouvoirs publics, la Croix-Rouge de Côte d’Ivoire (CRCI) mène des activités de secours pendant les zones d’incertitude. Depuis 2015, le projet Réduction des risques de catastrophes en milieu urbain (RRCU), initié par la CRCI, contribue à la réponse aux inondations dans les zones affectées.

Photos 3 et 4 : Volontaires au service de ménages sinistrés à Grand-Bassam et Cocody

Source : Archives de la Croix-Rouge de Côte d’Ivoire, 29 octobre 2019

120 secouristes ont été déployés sur le terrain pour mener les opérations de secours d’urgence et une évaluation rapide dans la ville d’Abidjan. Ainsi la CRCI a curé des caniveaux d’évacuation des eaux pluviales des villes, nettoyé trois sites inondés (le centre de santé communautaire de la Riviera Palmeraie, le centre de santé Mère Marie Notre Dame Réparatrice et la cité Allabra à Cocody) avec l’appui financier de la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR). Elle a aussi mis en place quatre cliniques mobiles dans la commune de Cocody.

En outre, comme réponse immédiate aux problèmes de subsistance, 400 ménages ont bénéficié de moyens financiers via cash-transfert (paiement numérique par téléphone).

A cela s’ajoutent des dons aux victimes grâce à l’appui des ONG qui préparent également les communautés aux prochaines inondations par des actions de sensibilisation dans les communautés sur leur exposition aux risques.

Les actions des ONG et de la Croix-Rouge sont mises en œuvre de façon unilatérale. Ce manque de coordination avec celles des pouvoirs publics occasionne des doublons au niveau des assistés.

4. Des dynamiques impulsées par les acteurs institutionnels : des dons à la réalisation d’infrastructures socioéconomiques comme ressources de résilience urbaine

La résilience des acteurs est construite autour des dons aux victimes, des pratiques de relocalisation des populations sur des sites non inondables. A Grand-Bassam, il a été noté le relogement provisoire des sinistrés au sein du lycée professionnel artisanal ainsi que la distribution de kits alimentaires et sanitaires. De plus, les acteurs étatiques lient la résilience aux inondations à la disponibilité et à l’accessibilité des infrastructures socioéconomiques. En effet, le lundi 11 novembre 2019, lors du lancement officiel des travaux de l’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé à Grand-Bassam,  Monsieur Jean-Louis Moulot, maire de ladite ville affirme :

« Le lancement des travaux de l’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé à Grand-Bassam vient comme une panacée pour cette ville qui vit à chaque saison pluvieuse un véritable calvaire. »

Dans cet extrait de discours, la logique équipementière est présentée comme une stratégie de prévention du risque en dépit du fait qu’une telle pratique ne parvient pas toujours à traiter les aspects des villes à l’épreuve des inondations.

La réponse aux inondations comme une gestion improvisée de l’urbanisme

Les réponses apportées sont souvent sectorielles et ne prennent pas suffisamment en compte la complexité des systèmes urbains. En effet, si les actions des municipalités et ministérielles tentent d’évaluer la vulnérabilité des espaces urbains face aux inondations, on observe qu’établir des plans de secours par anticipation reste difficile. En effet, les représentants de l’État lient ce fait à l’insuffisance de moyens matériels logistiques d’intervention et à la déficience de la synergie d’actions au niveau des organes publics et privés.

1. Une résilience retardée à l’aune d’une connaissance limitée et de la politisation du risque d’inondation

Les entretiens montrent que les réponses sociales des riverains face à l’inondation s’expliquent par leurs représentations du risque. Celle-ci se construit sur un sentiment modéré de vulnérabilité, qui peut s’expliquer par l’irrégularité des inondations ou leur faible probabilité dans certaines zones, tant en termes d’intensité que de fréquence de pluie, mais aussi par la méconnaissance du risque et en particulier de la possibilité d’inondation de la zone d’habitation et des scénarios d’inondation potentiels.

En effet, pendant longtemps des quartiers résidentiels comme Cocody ont été construits comme des zones à l’abri de tel aléa. Les victimes des précédentes inondations étant le plus souvent celles vivant dans des secteurs décrits comme à risques (quartiers exposés à des glissements de terrains). En outre, la fréquence des inondations contribue à construire une représentation sociale du risque qui ne motive pas la mise en œuvre de mesures préventives, tant chez les citoyens (potentiels sinistrés) que parmi les acteurs institutionnels. Dans cette situation, la survenue d’une crue au quartier France de Grand-Bassam ou d’une inondation au quartier Allabra de Cocody n’étant pas un phénomène habituel, la stratégie de résilience des populations se limitera à des interventions à court terme ou ne saurait être envisagée comme une alternative de protection. Ce que révèlent les propos ci-joints.

« Je n’ai jamais vu ça de ma vie ! Cela fait près de 20 ans que je vis ici… Ma voiture a été emportée à 600 mètres de mon domicile. Certaines rues sont devenues de véritables torrents. Non je n’ai jamais vu ça ! » (Homme, 56 ans, juge, sinistré résident du quartier Allabra-Cocody).

Toutefois, pour d’autres enquêtés, les interventions post-crise répondent à une logique de clientélisme des autorités et relèvent donc d’une politisation du risque. Une commerçante exprime ainsi sa frustration face à l’intervention jugée tardive des autorités publiques :

« L’expérience des inondations répétitives nous apprend que nos politiciens préfèrent attendre que les crises éclatent pour réagir plutôt que d’anticiper les décisions. En réagissant face à une crise, ils savent en effet qu’ils peuvent obtenir l’adhésion populaire alors en attirant l’attention du public en perspective de futures élections. »

2. L’incohérence des pratiques en matière d’aménagement urbain, une contribution à l’ignorance du risque d’inondation

Les quartiers de Cocody-Allabra (Abidjan), Impérial ou France (Grand-Bassam), en raison de leur caractère résidentiel, véhiculent une image très avantageuse des conditions de vie. Mais les populations sont parfois confrontées à un défaut d’aménagement des espaces urbains. En effet, l’aménagement des zones inondables est autorisé par les élus aux sociétés immobilières ou propriétaires immobiliers en l’absence d’études prospectives rigoureuses en amont. De plus, les populations sont peu informées sur leur exposition au risque, comme en témoigne cette sinistrée de 2018 à la Riviera 3 près de Cap-Nord :

« On ne pouvait pas penser qu’un jour on serait concerné par un tel risque. Ni les ministères de l’assainissement, de la construction, ni la mairie n’en ont jamais parlé. Quand on entendait à la télé les spots qui demandaient aux populations de quitter les zones à risques à cause des pluies, nous, on ne se comptait pas parmi. »

Aussi, l’exposition au risque d’inondation est interprétée comme le produit de l’action de l’Etat du fait de la détention de documents formels d’installation par les propriétaires, l’existence des plans de lotissement et d’assainissement. A cela s’ajoute la cohabitation avec des bâtiments publics et des voisins dont le statut social constitue chez certaines personnes enquêtées un gage de sécurité. Ces autorisations formelles sont interprétées comme un déni du risque par les élus locaux et comme l’incapacité de l’État à communiquer sur les risques d’inondation. Une femme de 43 ans, sinistrée résidente du quartier Impérial à Grand-Bassam l’exprime ainsi : « On est allé dormir et on a été surpris dans la nuit de voir que l’eau est rentrée partout et à un tel niveau. »

Toutefois, certaines populations mènent des actions d’anticipation sur les prochains événements. Des propriétaires d’habitation et de magasins commerciaux des zones de Riviera Allabra et de Riviera Palmeraie ont construit des « remparts de fortune » matérialisés par des murets et des sacs de sable dans un besoin de protection et d’adaptation face aux inondations.

Ces initiatives individuelles s’inscrivent dans la logique d’anticipation et d’atténuation de l’impact des inondations. Quand elles regagnent leurs habitations après les inondations, les ex-victimes renforcent les anciennes défenses de fortune qui ont prouvé « leur efficacité » face aux inondations.

Discussion et conclusion

L’article s’est intéressé aux formes de réaction des acteurs face aux inondations et à leur rapport aux risques à Abidjan et Grand-Bassam dans une perspective de résilience urbaine. Il ressort une diversité d’actions développées tant au niveau communautaire qu’institutionnel mais limitées par l’insuffisance de synergie des actions. La réaction des individus et des communautés est ponctuelle et s’inscrit plus dans une logique de survie que de prévention et d’anticipation. Ainsi, les villes à l’étude sont « peu » résilientes du fait d’une connaissance limitée de la présence du risque, de l’incohérence des pratiques en matière d’aménagement urbain avec des installations sans études préalables. Ce qui occulte parfois les risques d’inondation et contribue à l’ignorance du risque d’inondation.

Au regard de ce qui précède, il convient de souligner que cette étude à des traits de similitudes avec les thèses avancées par Durand (2014). Pour ce dernier, le maintien d’une « culture du risque » est un enjeu capital pour entretenir un « sens du danger » et ainsi limiter les conséquences en cas d’inondation. A ce titre, Langumier (2006) et Revet (2009) montrent la nécessité de s’intéresser, outre aux territoires portant encore les stigmates de catastrophes, aux temporalités à distance des crises liées aux inondations. De ce fait, pour « mieux » préparer les communautés, il est nécessaire de prendre en compte le risque même sur des espaces où il n’existe pas de souvenirs d’événements « graves » —parfois effacés par le temps — mais où il est cependant difficile de penser qu’il ne se passera jamais rien.

C’est d’ailleurs ce que Barroca et alii (2006) légitiment. Pour ces auteurs la participation locale ne peut s’établir que par une prise en compte des représentations du risque par l’ensemble des acteurs. De ce fait, admettre que la gestion des risques n’est plus une simple politique de prévention portée par l’État mais qu’elle devient un élément central du processus de décision collective ouvre la porte à des transformations de l’action publique.

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Notes

[1] Laurent Ribadeau Dumas : « Côte d’Ivoire : les inondations catastrophiques de la saison des pluies à Abidjan », FranceTVinfo, 20 juin 2018.

[2] Plateforme humanitaire du secteur privé de Côte d’Ivoire (2019).

[3] PDNA : Post Disaster Needs Assessment.


Auteurs / Authors

Marcelle-Josée TAGRO épouse NASSA, est docteure en sociologie urbaine et enseignante-chercheure à l’Institut d’ethno-sociologie de l’Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, Côte d’Ivoire. Elle fut la directrice du Développement Urbain Durable du ministère de la Ville de 2019 à 2021. Ses réflexions portent de façon générale sur les interactions autour de la construction de l’espace urbain  notamment le foncier industriel, l’espace public et les  procédures sociales par lesquelles se construit l’appartenance à la ville.

Marcelle-Josée TAGRO épouse NASSA, a doctor of urban sociology is lecturer and researcher at the Institute of Ethno Sociology of the University Félix Houphouët-Boigny in Abidjan, Ivory Coast. She was the Director of Sustainable Urban Development of the Ministry of the City from 2019 to 2021. Her reflections generally relate to interactions around the construction of urban space, in particular industrial land property, public space and social procedures by which one builds belonging to the city.

Anick Michelle Etchonwa MIAN, est docteure en sociologie économique, membre Laboratoire de Sociologie Economique et d’Anthropologie des Appartenances Symboliques (LAASSE) de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Ses centres d’intérêt de recherches portent sur les formes de disqualifications sociales en milieu urbain, la pauvreté , la précarité de résidence, la consommation des ménages vulnérables et le genre.

Anick Michelle Etchonwa MIAN is a doctor in economic sociology and a member of the Laboratory of Economic Sociology and Anthropology of Symbolic Belongings (LAASSE) at the University of Félix Houphouët Boigny in Abidjan. Her research interests include forms of social disqualification in urban areas, poverty, residential insecurity, consumption of vulnerable households and gender.

Konan Guillaume N’GORAN est employé au ministère de l’Environnement depuis 20 ans. Depuis 2012, il est en charge des questions d’évaluation post et pré-catastrophe, notamment l’évaluation des impacts des inondations. Il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en science informatique et fonde ses recherches sur l’usage de l’observation de la terre (télédétection, systèmes d’information géographique et photographies aériennes) et la collecte de données d’occupation du sol pour prévoir et quantifier l’impact des catastrophes naturelles.

Konan Guillaume N’GORAN has been employed by the Ministry of Environment for 20 years. Since 2012, he has been in charge of post and pre-disaster assessment issues, including the assessment of the impacts of floods. He holds an engineering degree in computer science and bases his research on the use of earth observation (remote sensing, geographic information systems and aerial photographs) and of land use data to predict and quantify the impact of natural disasters.


Résumé

L’objectif de développement durable n°11 (ODD11) de l’Agenda mondial 2030 est de faire en sorte que les villes soient ouvertes à tous, sûres, résilientes et durables. Ainsi, la résilience urbaine constitue un critère de la durabilité globale des villes mais aussi un nouveau paradigme en matière de gestion des risques. Au regard des objectifs du développement durable, face à la recrudescence des inondations annuelles et au caractère plutôt actif que préventif des interventions, le présent article questionne la résilience d’Abidjan et de Grand-Bassam à partir des inondations de 2018 et 2019. La capacité de réaction des acteurs à surmonter les altérations provoquées par les catastrophes liées aux inondations pour trouver des solutions durables ou même locales, mérite d’être analysée. Les investigations s’appuient sur une démarche qualitative. Il ressort des résultats que l’atteinte de la résilience urbaine est fragilisée par des réponses communautaires et étatiques limitées et non coordonnées.

Mots clés

Risques d’inondation – Résilience urbaine – Développement durable – Villes durables – Abidjan – Grand-Bassam – Côte d’Ivoire.

Abstract

The Sustainable Development Goal 11 (SDG11) of the 2030 Global Agenda is to make cities inclusive, safe, resilient and sustainable. Thus, urban resilience constitutes a criterion of the overall sustainability of cities but also a new paradigm in terms for risk management. In the light of Sustainable Development Goals, the resurgenge of annual floods and the active rather than preventive nature of the interventions, this article questions the resilience of Abidjan and Grand-Bassam based on the floods of 2018 and 2019. The reaction capacity of actors to overcome the alterations caused by flood disasters in order to find sustainable or even local solutions, deserves to be analysed. The investigations are based on a qualitative approach. The results show that the achievement of urban resilience is undermined by limited and uncoordinated community and state responses.

Key words

Flood risks – Urban resilience – Sustainable development – Sustainable cities – Abidjan – Grand-Bassam – Ivory Coast.

Le développement durable crée-t-il du lien social ? Un cas d’application depuis l’Algérie

BENBEKHTI Omar
Sociologue, Faculté des sciences sociales, Université d’Oran 2, Algérie


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Analyses : politiques, pratiques, mobilisations


Pour citer cet article

BENBEKHTI Omar : « Le développement durable crée-t-il du lien social ? Un cas d’application depuis l’Algérie », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/545/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

Le développement durable crée-t-il du lien social ? Un cas d’application depuis l’Algérie

par Omar BENBEKHTI

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Nous essaierons de répondre à cette question à partir d’une expérience réalisée en 2019 en Algérie à travers la mise en œuvre d’un projet de la Direction Générale des Forêts (DGF), soutenu par la FAO[1], dénommé « Projet de développement durable d’une filière de Produits Forestiers Non Ligneux » (PFNL). Ce projet est censé inscrire une action de développement durable dans le cadre du développement rural. Nous tâcherons de comprendre ce que peut signifier « développement rural » dans un ensemble plus global appelé « développement durable » (Benbekhti, 2004).

Ce projet, auquel l’auteur a participé pour le compte de la FAO en tant que consultant socio-économiste, pose la problématique de l’engagement des populations à ce que l’on appelle le développement durable[2]. Autrement dit, l’espace démocratique d’intervention, la capacité de créer du lien social et d’assurer la pérennité des actions menées. D’un point de vue académique, celui-ci exige une approche multidisciplinaire enveloppant tous les secteurs d’activité. Mais sa planification est basée sur une vision stratégique politique, élaborée consensuellement, bâtie sur la complémentarité, la convergence, la solidarité, et le partenariat. Ce mode opératoire est indispensable pour une politique d’aménagement du développement durable ajustée à une économie de territoire.

Ceci nous interroge sur l’action politique à mener quant aux choix à opérer, et partant, de la démocratie. Au-delà d’une problématique qui touche à la décentralisation, voire la régionalisation du pouvoir, cela reste un leurre, probablement lié au libéralisme capitaliste pour détourner l’attention de l’enjeu politique. En effet, le développement durable pose la question de ce qui justifie la concentration des pouvoirs et leur centralisation. Des plans sont conçus par des bureaucrates, coupés des besoins des régions et sans cohérence. Les exemples foisonnent parmi les plans de développement rural, l’intérêt général s’exprimant comme une vague promesse, un mot de fortune.

Les enjeux du développement durable

L’expression « développement durable » s’est généralisée depuis le Sommet de la Terre tenu à Rio 1992 après la publication en 1987 du rapport Notre avenir à tous. Sa définition apparaît dans le rapport Brundtland. Elle peut paraître tautologique, car le développement est, de par sa propre dynamique, durable. Pourtant, elle est utilisée depuis par les experts-bureaucrates des institutions internationales, et s’est généralisée à tous les domaines de l’activité humaine sans que des résultats probants conséquents ne soient reconnus à travers le monde. Au-delà des actions menées ici et là, dans des pays pauvres et sous-développés, le concept est demeuré vague, diffus et son emprise sur le terrain incertaine. Aujourd’hui on y adjoint le vocable d’environnement, sans prendre en considération la dynamique d’une nature qui impose ses lois à ce couple « environnement et développement durable ». Dès lors, il est légitime de se demander de quels actes de gestion on peut se prévaloir lorsqu’on avance une telle expression.

Pour de nombreux pays en quête de développement durable, ce qui semble être recherché c’est le passage d’une économie administrée à une économie en transition vers le marché. En somme un pas vers le libéralisme ; car il s’agit de s’adapter au marché. À travers le développement durable, ce serait donc un nouvel ordre, une nouvelle dimension dans le temps économique par la réalisation d’activités préalablement identifiées. Le concept de développement local, adossé à la décentralisation, se concrétise par la gestion participative.

Est-ce pour autant la bonne méthode pour réduire les inégalités, la pauvreté et le désordre ? Sous prétexte de mise à niveau, on est tenté de suivre les modèles importés qui risquent en réalité de creuser davantage le fossé des inégalités, et privilégier les relations marchandes. La pandémie déclarée du Covid-19 a généré un sentiment d’insécurité alimentaire et des mutations drastiques dans les économies riches et pauvres. Les gouvernants ont été contraints de redimensionner leurs rapports avec les citoyens. Il s’agit dès lors d’évoquer le développement durable sans se perdre dans les méandres conceptuels surgis depuis la mise en vogue de cette expression. Lorsqu’on évoque la durabilité, ce qui est en cause c’est le temps qui est un facteur de peur. Hier est passé, c’est une mémoire. Demain est incertain, même si ce peut être un investissement. Mais le temps peut devenir un ennemi. Le processus qu’aborde le développement durable s’inscrit dans le temps. Cela exige donc qu’il prenne en compte le « maintenant », autrement dit ce qui est. On ne peut faire l’impasse sur la situation telle qu’elle est, et non telle qu’elle devrait être. Dans son acception actuelle c’est cette vision qui s’est imposée : ce qui devrait être. On va souvent vers les descriptions et explications, mais rarement vers les racines de l’existant. Et l’on met en œuvre des « stratégies », des « politiques », des méthodologies pour atteindre le développement durable. Les termes développement et durable sont tous deux liés au temps. Ils sont de ce fait identiques. Alors pourquoi cette expression ?

Ce qui est probablement utile dans le développement durable c’est sa capacité à créer du lien social. Il paraît être en mesure de recréer ce lien social tellement malmené par la centralisation excessive de l’État jacobin. N’est-il donc pas nécessaire de tout remettre à plat ?

« Les notions de décentralisation ou de développement par le “bas” sont […] largement médiatisées, mais faiblement mis en œuvre » (Sahli, 2021)[3]. Ce qui demeure une problématique floue à ce jour, c’est le mode opératoire du développement durable. Pour mettre en place une décentralisation de la gestion et une mobilisation des acteurs locaux, il faut enclencher des initiatives qui ont du mal à se construire dans la durée. Il s’agit donc de revoir les fondements du développement local et durable. Ce mode opératoire a mis l’accent sur le « localisme », à savoir que les actions de développement devaient associer les acteurs locaux dans les démarches de conception et de mise en œuvre des processus et des objectifs à fixer. Cette démarche s’est cantonnée en général, et quel que soit le lieu, à « l’approche participative » que l’on a tenté de codifier comme une « Bible » du développement durable.

Les contenus du développement durable

Le développement local durable est pensé comme processus de croissance des ressources et de génération de revenus basé sur les conditions du milieu et de l’espace. Diverses actions seront donc mises en œuvre. Elles sont censées être portées par les acteurs locaux sur la base d’initiatives économiquement viables, c’est-à-dire génératrices de revenus, avec maîtrise locale des activités de croissance. L’espace socioéconomique local devient ainsi l’outil pour mobiliser les ressources et les acteurs locaux. On dira qu’aménager le territoire local, c’est prendre en compte la « territorialité » des habitants en tant que communauté. Cette formulation est accolée à de nombreux intitulés, dans divers champs d’activité, sans que l’on décèle les liens entre la durabilité et le champ d’activité. Car rien n’est précisé concernant l’apport d’un marché porteur de ces activités, ni qui sera en mesure de le réguler : sera-ce la loi de l’offre et de la demande, ou une « main invisible » que personne ne connait ? Quels contenus dès lors accorder aux pratiques liées à cette expression ?

Apprendre à développer durablement ne signifie pas appliquer des connaissances universelles, ni obéir à un modèle de gouvernance. Apprendre est un processus interminable, il ne s’inscrit pas dans une durée. Tout ce qui vit est appelé à se développer, à évoluer, à se transformer et à disparaître. Tout ce qui vit est limité par le temps et a une fin. C’est un cycle qui se renouvelle indéfiniment.

L’objectif de ce développement serait de repenser les rapports entre les êtres humains, autrement dit de créer du lien social ; et entre eux et la nature. Ce mode de développement est appréhendé comme facteur de croissance harmonieuse de l’économie, de la création d’emplois, de la richesse équitablement partagée. Cela peut aller de l’économie sociale et solidaire, l’économie circulaire (réemploi, réparation, recyclage), le commerce équitable, la relocalisation d’activités industrielles, les énergies renouvelables, l’écoconception, l’agriculture « bio », etc. Il existe comme un effet de récupération de la formule « développement durable » pour soutenir parfois les investissements d’un business sans rapport avec une optique de développement. Et cela peut se transformer soit en une remise en cause du capitalisme, et donc d’une croissance qui devrait se poursuivre en permanence ; soit en un recommencement, qui en vérité, n’est pas dans l’ordre de l’économie humaine appelée à s’adapter continuellement.

Construire durable ça se comprend, développer durable semble antinomique avec l’idée même du développement par définition arythmique. Le développement durable n’est pas une affaire de recettes standard à saupoudrer sur n’importe quel territoire. C’est avant tout un engagement politique pour laisser le choix aux habitants d’un espace d’être capables de produire les moyens de leur existence selon l’écosystème local et en harmonie avec leurs besoins. Cette action suppose une implication des acteurs locaux, une connaissance des territoires et de la population, et une décentralisation de la décision. Ceci est censé se produire à travers l’approche participative. C’est quoi au juste l’approche participative, devenue panacée du développement durable ? Le développement durable est-il indissociable d’une approche globale, une approche qui n’appréhende pas la réalité du développement de façon parcellaire, divisée par une vision atomisée des effets des transformations d’une société sur des secteurs éclatés ?

Histoire d’une chaîne de valeur

La FAO définit les produits forestiers non ligneux comme « des biens d’origine biologique autres que le bois, dérivés des forêts, des autres terres boisées, et des arbres hors forêts. » (FAO, 1999). Leur statut sauvage ou semi-domestiqué les distingue de cultures agricoles bien établies. Les PFNL peuvent être distingués selon leur destination : les usages domestiques et/ou la vente. Ils connaissent un regain d’intérêt, dû selon la FAO, à « une prise de conscience accrue de leur contribution à l’économie des ménages et à la sécurité alimentaire, à quelques économies nationales, et à certains objectifs écologiques, tels que la conservation de la diversité biologique » (ibid.). À l’échelon local, les produits forestiers non ligneux fournissent la matière première pour des opérations de transformation industrielle à grande échelle, pour la fabrication de produits commercialisés à l’échelle internationale : aliments et boissons, confiseries, arômes, parfums, médicaments, peintures ou vernis. L’exploitation raisonnée des produits forestiers constituerait donc une manière de protéger la biodiversité, en offrant des possibilités de développement.

Trois espèces particulières de PFNL ont été sélectionnées pour l’étude : le romarin, le pin pignon et surtout le caroubier. Les outils méthodologiques ont été basés sur des entretiens avec les parties gravitant autour de la filière : Conservation des forêts, Direction des services  agricoles, Direction de l’emploi, Comités intersectoriels, Assemblées populaires de wilaya[4], des éleveurs, des chercheurs et enseignants universitaires, des collecteurs, des regroupeurs et des exploitants (distilleurs et transformateurs associations de femmes rurales, riverains des forêts visitées). D’autres entretiens ont eu lieu avec les responsables administratifs des communes (présidents et membres d’Assemblées populaires communales), avec les agents forestiers des districts et avec des groupements de paysans riverains. Enfin, des personnes ressources ont été entendues : des jeunes, des femmes présidentes d’associations rurales et des cultivateurs (DGF/FAO, 2021).

L’approche de la filière se focalise sur trois points : le potentiel physique existant censé constituer le socle d’une amélioration des revenus des populations locales, leur rôle de préservation des ressources de la forêt et leur rôle de gestion d’une filière de PFNL. L’objectif est de promouvoir des petites entreprises afin d’organiser un marché « déjà là » dominé par des pratiques informelles préjudiciables à un épanouissement normalisé de la filière. Cette vision crée des obstacles d’ordre social, institutionnel, commercial et de gestion qui freinent un développement durable de la filière. Pourquoi ?

La pensée a formaté les objets du développement en secteurs différenciés, voire en opposition : l’agriculture, l’industrie et les services, ouvrant la voie à des approches fragmentées. Or ces activités sont liées, intégrées, complémentaires ; elles forment un ensemble qui ne souffre aucune division. D’où la nécessité d’appréhender le développement sous une forme globale. Cela exige évidemment une pensée intégratrice.

Le développement durable est une vision globale de l’humain, non segmenté, non divisé, non fragmenté. Il n’est pas seulement basé sur la connaissance, qui n’est que de la mémoire et des expériences. Il s’agit de créer une coopération entre la production et les services incluant une vision de préservation des terroirs et l’aménagement des écosystèmes. C’est le système coopératif qui est à promouvoir. Les chiffres ci-après donnent la mesure du pouvoir de la coopération : en 2015 en Europe, 180 000 entreprises coopératives avec 140 millions de membres employaient 4,5 millions de salariés et généraient 1 000 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Au Kenya, la part de marché des coopératives est de 70% pour le café, 76% pour les produits laitiers, et 95% pour le coton. En 2005, la Coopérative laitière indienne, qui compte 12,3 millions de membres, représentait 22% de la production laitière de l’Inde. Au Brésil, les coopératives pèsent 40% du PIB agricole.

La liberté d’organisation de la société civile et des coopératives apparaît ainsi incontournable si l’on veut voir s’épanouir un développement local. Mais cela ne va pas de soi. Leur faiblesse organisationnelle est due, en partie, à la fébrilité des pouvoirs publics jaloux de leurs prérogatives.  La société civile est considérée comme mineure et incapable, ce qui renforce la gouvernance jacobine, centralisée, autoritaire et hégémonique. Décentraliser la gouvernance permettra de libérer les initiatives ; une autre organisation de la société se mettra en place. Les programmes gouvernementaux consacrés au développement rural, avec de gros budgets, n’ont jamais été évalués. Réhabiliter les coopératives de production et de services doit ouvrir de nouveaux espaces de proximité comme l’étaient les Coopératives Polyvalentes de Services (CAPCS) des années 1970. Celles-ci, en Algérie, avaient été dissoutes sous la pression du FMI et de la Banque mondiale lors du plan d’ajustement structurel des années 1990.

Laisser l’initiative aux acteurs locaux, c’est leur permettre de se prendre en charge pour peu que les richesses soient équitablement réparties au profit des territoires. En vérité, c’est cela l’approche participative ; et c’est de cette façon que se développe le lien social. Durant l’épidémie de Covid-19, les agriculteurs et autres travailleurs du monde rural, en approvisionnant les marchés sans discontinuer, ont donné une leçon de responsabilité, de conscience et de courage aux habitants, gouvernants, citadins et hommes politiques. Pourtant, les coopératives de distribution restent soumises à une réglementation qui limite leurs activités et celles des agriculteurs. Il devient donc  nécessaire de mettre à jour le rôle et les activités du secteur coopératif avec les besoins des agriculteurs et les exigences du marché.

Dans le cadre du projet à mettre en œuvre pour la FAO et la Direction générale des forêts, il s’agissait de répondre concrètement aux questions suivantes :

– Quelles sont les actions pour valoriser les PFNL, au niveau des politiques publiques ainsi qu’au niveau des acteurs, afin de promouvoir des petites entreprises ?

– Quelle stratégie adopter, quel plan d’action pour une filière professionnelle ?

Gestion des forêts et exploitation de PFNL sont deux choses différentes. Ceci ramène à la problématique centrale : l’exploitation à grande échelle de certains PFNL est un facteur pour la diversification de l’économie mais peut présenter un risque pour la préservation des ressources dans la mesure où les acteurs qui les exploitent dans l’illégalité ne prennent pas en considération les dégradations causées aux espèces et aux espaces forestiers par une récolte anarchique menaçant la protection de ces ressources.  Les commerçants impliqués dans l’exploitation de PFNL ont une vision égoïste et à court terme car les forêts ne sont pas leur propriété ; ils les considèrent comme une source d’enrichissement et une ressource à exploiter sans état d’âme. La DGF est une administration dédiée à la gestion et la préservation du patrimoine forestier, or promouvoir une filière professionnelle des PFNL exige le respect d’une démarche entrepreuneuriale. Comment dès lors concilier les deux ?

Lorsqu’on évoque la filière, il est nécessaire de prendre en compte l’obligation de disposer des filières professionnelles adjacentes qui supposent la création d’une industrie agroalimentaire, pharmaceutique, cosmétique et autres industries de certification, marketing et de distillation. De ce fait, il y a nécessité d’alimenter une base de données sur les opérateurs agissant dans ces secteurs. L’économie forestière ce n’est pas seulement l’arbre. C’est le riverain qui est capable de protéger la forêt, sa durabilité est basée sur l’exploitation raisonnée des PFNL. Pour les agents forestiers, l’important c’est la préservation de l’écosystème ; mais si l’on veut assurer la protection de l’écologique, il faut aussi développer l’économique et le social dans le même temps. En vérité, les paysans et riverains sont faiblement enclins à l’entretien du caroubier par exemple. Les riverains déclarent que cet arbre leur a été légué par les ancêtres. « Ce sont nos pères qui les ont plantés, c’est un don de Dieu… Nous n’avons rien apporté. »

On observe par ailleurs que les acteurs institutionnels sont peu branchés sur les PFNL. La génération de revenus issus des PFNL dans le commerce illicite et informel passe inaperçue aux yeux des institutions. Le manque à gagner pour celles-ci est très élevé, en premier lieu pour la Direction générale des forêts qui est l’acteur institutionnel de la politique nationale des PFNL. Son intervention est relayée par les services de la Conservation des forêts de chaque wilaya du pays, 48 au total. Quant aux communes et collectivités territoriales, elles ont peu d’impact sur la gestion des forêts. Les ressources financières échappent donc à une planification opérationnelle des investissements consacrés aux projets forestiers. Les informations recueillies auprès des services forestiers sur les PFNL révèlent la faiblesse des études réalisées, la quantification, la régénération, les méthodes de récolte et l’impact de ces méthodes sur la survie des ressources, aboutissant à une méconnaissance du fonctionnement de ces filières.

Typologie des acteurs locaux

Les profils des acteurs de cette filière professionnelle rassemblent tout autant des riverains qui assurent, sporadiquement, l’entretien des plantations, des cueilleurs, saisonniers, recrutés lors de la saison de cueillette, jeunes chômeurs et adolescents, des collecteurs-regroupeurs qui assurent le stockage, rassemblent les récoltes dans un hangar pour un donneur d’ordre. En général ce donneur d’ordre est l’intermédiaire-mandataire qui assure la liaison entre regroupeurs et commerciaux sous l’égide d’une poignée d’opérateurs qui dominent le « marché ». Quelques rares distillateurs qui ont acquis de l’expérience font partie du lot. L’essentiel de leur production est exporté. Enfin, on trouve aussi de rares exportateurs qui font fait main basse sur la récolte disponible soit pour la traiter, soit pour la revendre en l’état à l’étranger.

La majorité des matières premières issues des PFNL est fournie aux unités de transformation par des intermédiaires privés composant des réseaux informels importants. Le transport et l’acheminement, souvent illégal, des produits se développent par une mainmise sur l’étape de commercialisation et par un détournement des réglementations. Les principaux réseaux de commercialisation se caractérisent par une grande opacité. On relève ainsi un informel contraignant et une administration dépassée par des dispositions réglementaires archaïques, appliquées de façon aléatoire et peu respectées. Ce laisser-aller et une absence d’encadrement aboutissent à une évaluation inconsistante des concessions d’adjudication et des « itinéraires » des récoltes. Cela conduit à une complicité, parfois intéressée ou par crainte de représailles, avec les acheteurs extérieurs et peu d’encouragement aux potentiels locaux et riverains des forêts.

Le droit d’accès constitue la cheville ouvrière du droit d’usage. La jouissance du droit d’usage peut être restreinte en fonction de l’espace forestier où il est exercé. C’est le cas lorsqu’une zone est mise en défens, ou lorsqu’elle devient une zone de conservation particulière. On ne peut interdire aux populations riveraines l’accès aux PFNL. La reconnaissance d’un droit d’usage particulier aux riverains a pour objectif une forme d’équité sociale. Ce droit doit permettre à ces riverains de valoriser leurs savoirs traditionnels à travers des activités de transformation de ces ressources forestières.

La difficulté réside dans l’intitulé « populations riveraines des forêts ». Il ne suffit pas de vivre à l’intérieur ou à proximité d’une forêt pour être habilité à y exercer le droit d’usage. Dans la pratique, le droit d’usage est reconnu au riverain traditionnel, c’est-à-dire celui qui a un lien particulier avec la terre où se trouve le produit. La gestion non intégrée de cet espace fragile, aussi bien par les populations, cultivateurs ou pasteurs ou les deux à la fois, que par les acteurs institutionnels, rend la concrétisation du développement difficile, accélérant la dégradation des ressources forestières.

Pour réussir la stratégie en termes de durabilité et sortir la filière de son caractère illégal et informel, le plus important est la création, à l’instar des eaux minérales, d’une obligation d’agrément de l’administration forestière pour toute personne désireuse de procéder à l’exploitation d’un PFNL. Est-ce que cela créera davantage de lien social dans les périmètres qui offrent des opportunités à cette exploitation ? Quelles conclusions tirer de cet exemple ?

Que faire pour une durabilité à cette exploitation

La valorisation durable des PFNL semblerait exiger, dans un premier temps, une coordination entre les départements ministériels intervenant dans le domaine. Si l’on revient à la base, la commune en tant qu’opérateur économique, peut s’attribuer un titre d’exploitation des produits forestiers non ligneux. Celle-ci peut devenir le cadre idoine incluant les jeunes comme agents de collecte et les petites entreprises capables de sous-traiter (avec un opérateur national, transformateur ou distillateur) l’une des activités de transformation ou de commercialisation. Il est donc impératif de bannir l’attitude dirigiste décidée « d’en haut » et impliquer les populations pour la mise en œuvre d’un « contrat-programme ». D’où la nécessité d’une approche partenariale.

Le plus apte à protéger la forêt demeure le riverain dès lors qu’il se sent impliqué, reconnu et trouvant un intérêt à le faire. L’administration des forêts est appelée à déléguer aux populations riveraines une partie de la gestion forestière. En effet, on fait porter deux casquettes au forestier : protéger en tant qu’agent de répression ; encadrer en devenant agent de développement. L’idéal serait qu’il existe une volonté politique de promouvoir et d’encadrer la filière avec une stratégie nationale de valorisation de ses produits. Un partenariat public/public entre administration des forêts et Direction de l’emploi (ANEM, ANSEJ), entre forestiers et services agricoles peut faciliter une gouvernance intégrée ; mais aussi un partenariat public/privé entre services publics et coopératives locales, et/ou un consortium de coopératives national pour jeter les fondements d’une gestion intégrée de la filière PFNL et du patrimoine forestier.

L’objectif global est de freiner le déclin des écosystèmes sensibles. Pour ce faire, les riverains seront appelés à identifier le potentiel forestier dont la mise en valeur, préservant sa régénération, se fera à partir de programmes consensuels de type coopératif. Car les massifs forestiers peuvent valoriser l’artisanat, développer l’écotourisme et les activités de transformation des produits. Les coopératives seront ainsi un moyen d’accès au progrès technique pour les agriculteurs et exploitations familiales ; et faciliteront cette promotion de l’artisanat et du tourisme vert. Car il s’agit d’éviter le risque écologique, le pillage de la ressource et la généralisation de la délinquance forestière.

Pour assurer la pérennité des reboisements, l’entretien des espaces forestiers et le captage de source, la construction de bassins est nécessaire. Cela aussi crée du lien social, même s’il peut s’avérer parfois conflictuel. De même, la mise en application d’un plan de cueillette des PFNL exige la présence des forestiers, ainsi que de créer du travail pour les riverains et valoriser aux yeux de la population autant la forêt que ses produits. Les terres de parcours en zone forestière doivent faire l’objet d’une évaluation, avec la collaboration du riverain éleveur, de ses besoins, de son troupeau, afin de l’associer à l’aménagement forestier et à son plan de gestion. Car, si le forestier intervient en matière de police forestière, de génie forestier, d’ouvertures de pistes, n’ayant pas pratiqué l’art du sylviculteur ni celui de l’aménagiste il manque de perfectionnement pour les travaux de reboisement, en matière de sylviculture et de conduite des peuplements.

On se retrouve ainsi dans une vision micro ou macroéconomique selon que l’on opte pour l’une des options. Sauf à vouloir les intégrer l’une dans l’autre et les rendre complémentaires, ce qui constituerait une troisième voie.

S’agit-il de mettre en œuvre une stratégie de création-développement de la filière, ou bien veut-on améliorer le sort des populations riveraines par la promotion de petites entreprises d’exploitation des PFNL, dans un environnement peu outillé pour le développement d’une filière ? Ce qui en réalité renvoie davantage au développement durable et donc à la création de lien social. La réalisation de nouvelles plantations est forcément à envisager avec le concours des populations riveraines.

En effet, les PFNL sont des produits dont la commercialisation va du marché de village où s’approvisionne le consommateur local jusqu’aux unités sophistiquées de transformation d’un secteur industriel en voie d’expansion, que ce soit dans les pays développés, attirés par le caractère bio de ces produits, ou les pays en développement motivés par le gain et la montée des prix observée depuis quelques années (Benbekhti, 2008). Un nouveau cadre opérationnel doit donc être activé. Tout exploitant d’un espace forestier en concession est tenu de préserver les ressources forestières non ligneuses. L’administration des forêts doit imposer, à travers un cahier des charges, à tout exploitant de procéder à une étude socioéconomique préalable permettant aux riverains d’identifier celles des ressources justiciables d’exploitation. Pour démarrer la croissance de la filière, la microentreprise est la solution la plus simple, soit sous la forme EURL ou SARL, soit à travers un réseau de coopératives. Le métier de négociant en PFNL doit aussi s’exercer et s’imposer. Cela exige un changement de paradigme et donc de nouvelles approches.

Conclusion

Le développement durable ne pourrait se réaliser sans l’implication des populations dans les choix et les programmes. Il s’agit en effet de concilier l’homme avec son milieu. Pour cela, il y a lieu de rompre avec les politiques « d’en haut » inadaptées à l’aménagement du territoire, à la lutte contre la précarité économique et sociale des éleveurs et pasteurs, qui n’intègrent pas ceux « d’en bas » (Benbekhti, 2019).

Le pouvoir c’est la faculté qu’accorde une société à des personnes pour la gouverner. Il n’est ni total, ni définitif, ni indépendant car il est censé être contrôlé. Qui contrôle le pouvoir ? Qui supervise son exercice ? L’antidote contre le poison d’un pouvoir central autoritaire peut s’incarner dans la régionalisation : les Länders et leur puissance en Allemagne, les Communautés autonomes en Espagne, etc. La région est d’abord un espace, ensuite une logique et enfin un pouvoir. Si la raison peut se dédouaner d’une telle polysémie, la région charrie d’autres signifiants, parfois péjoratifs, formés d’enjeux géopolitiques, économiques et culturels, rationnels et irrationnels. Le débat se nourrit d’une préoccupation non exclusive : comment se structure et s’organise l’espace local et régional, quel éclairage apporte le développement local dans la réussite économique des régions, comment s’organise le pouvoir des régions, et comment s’articule l’émergence des régions dans la mondialisation ?

La région est un espace résultat de contraintes naturelles sur lesquelles se combinent des activités humaines. Comment intégrer le local dans le national en valorisant le poids géographique, culturel, économique et social d’une région ?

Les contraintes géographiques et écologiques consacrent l’organisation de l’espace. On parle de « région pastorale », de « région agricole », de « région maritime » ou encore de « région industrielle ». Mais les espaces régionaux ne sont pas que le produit de structurations écologiques et le résultat d’activités économiques. Ils deviennent des « espaces vécus » dans lesquels les hommes investissent leurs représentations, des modes de vie, des traditions et des cultures. Des identités s’épanouissent autour de l’articulation entre espace construit et espace investi.

Il n’y a plus des « régions naturelles », mais des espaces organisés selon des logiques de centralisation, de contrôle, de valorisation ou dévalorisation, de renforcement ou de marginalisation, actionnées sous l’euphémisme des « politiques d’équilibre régional ». La région devient un sous-ensemble administratif, bénéficiant d’une répartition des ressources, sous forme de localisation/délocalisation, décentralisation/déconcentration et de délégation d’autorité. Cela ne va pas sans problème.

Quel que soit le régime, les pesanteurs de l’histoire et les formes de représentation des populations, la question du pouvoir de décision s’impose. Elle est liée aux prérogatives des citoyens face aux projets qu’ils acceptent ou non de partager. Une région voudra, en fonction de son potentiel, promouvoir son développement sans préjudice de son attachement à la nation. Cela peut susciter des oppositions avec un centre de décision, acceptant difficilement que « quelque chose lui échappe ». Ressurgit l’antagonisme entre citoyenneté et modèles de développement : faut-il, pour être citoyen, adhérer à une vision centrale, influencée peut-être par des considérations régionalistes et claniques, ou s’ériger en promoteur de son développement, libéré d’une tutelle éloignée des situations locales ? C’est ce questionnement qu’il faut prendre en charge si l’on ne veut pas déboucher sur de « fausses solutions » à cause de problèmes « faussement posés ». Un nouveau sens devrait être donné à l’exercice du pouvoir pour qu’il ne soit plus centralisé, omnipotent, ni solitaire. Cette question interpelle car elle est au fondement de la représentation : qui représente qui ? Et qui décide pour quoi, pour qui ?

Les notions de décentralisation ou de développement durable « par le bas » sont peu pratiquées dans les faits, les maires n’étant souvent que des exécuteurs au service d’un wali. On observe ainsi qu’une appréciation tendancieuse de la régionalisation ouvre la voie à un excès de centralisation. La régionalisation devient une pratique politique qui consiste à diviser le fonctionnement d’un État pour instaurer une décentralisation des pouvoirs afin d’assurer le développement économique et social de régions permettant l’amélioration de la gestion du territoire. Cela a donc pour but l’émergence des compétences locales et une accumulation à partir des capacités locales de création de richesses, un contrôle de leur répartition. La régionalisation ne pousse pas à la division, elle actualise la pratique de l’aménagement du territoire et la prise de décisions, une plus grande transparence dans les prises de décision et donc plus de démocratie.

L’observation du terrain a montré que l’émergence d’initiatives locales, pour créer les conditions d’un développement durable n’est pas évidente. Les initiatives locales ont du mal à se construire dans la durée. Le développement exige une planification stratégique pour programmer des objectifs contextualisés et liés aux spécificités territoriales. La décentralisation est donc la forme la mieux adaptée aux spécificités de la diversité territoriale. Dans ce contexte, les citoyens sont des acteurs dans le processus de développement économique et social et dans la chaîne de valeurs. L’absence de vision et d’aménagement du territoire local n’encourage pas les initiatives et les actions innovantes. Et de facto, la participation des acteurs locaux est faible lorsqu’il s’agit de programmes économiques centralisés.

Le paradoxe de ce développement durable est que sa maîtrise par les acteurs locaux reste conditionnée par une implication des pouvoirs centraux dans une dynamique de transfert des compétences au niveau local. En outre, une impulsion de l’économie devra inciter à des investissements autres que ceux préconisés par le système capitaliste libéral, à savoir investir dans une économie préservant les ressources et l’environnement. Face au désastre écologique et au chaos économique du capitalisme financier et du libéralisme sans condition, c’est à une nouvelle vision du développement qu’est appelé le développement humain. Ce qui demeure exclu par la nature du pouvoir financier actuel qui domine l’économie. Seules les banques font la loi.

Une éducation à l’écologie, à l’harmonie du développement local, dès l’enfance, reste ainsi le préalable à toute velléité d’acquisition d’un paradigme pour le développement durable. C’est aussi un facteur d’éclosion pour une gouvernance démocratique.

Sigles utilisés

– APC : Assemblée populaire communale

– APW : Assemblée populaire de wilaya

– ANEM : Agence nationale de l’emploi et de la main-d’œuvre

– ANSEJ : Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes

– CAPCS : Coopérative agricole polyvalente des céréales et services

– DGF : Direction générale des forêts

– DSA : Direction des Services Agricoles

– EURL : Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée

– FAO : Food and Agriculture Organization

– FMI : Fonds monétaire international

– PFNL : Produits forestiers non ligneux

– SARL : Société anonyme à responsabilité limitée

Bibliographie

Benbekhti Omar (2004). La stratégie sociale du développement rural. Introduction aux méthodes de l’approche participative. Oran (Algérie), Dar El Gharb.

Benbekhti Omar (2008). « Le développement rural en Algérie face à la mondialisation des flux agricoles ». In : L’Algérie face à la mondialisation (dir. : Chentouf T.). Dakar (Sénégal), éd. Codesria, pp. 86-97.

Benbekhti Omar (2019). Rapport de synthèse. Projet TCP/ALG/3701. Alger, DGF/FAO.

DGF/FAO (2021). Stratégie de promotion des produits forestiers non ligneux en Algérie. Assistance technique pour le développement des microentreprises forestières basées sur certains produits forestiers non ligneux en Algérie : cas du romarin Rosmarinus officinalis, du caroubier Ceratonia siliqua et du pin pignon Pinus pinea. Projet TCP/ALG/3701. Alger, Représentation de la FAO en Algérie.

FAO (1999). « La FAO et la foresterie : vers une définition harmonisée des produits forestiers non ligneux ». Rome, FAO. URL : https://www.fao.org/3/x2450f/x2450f0d.htm

ONU (1987). Notre avenir à tous. Rapport de la commission mondiale sur l’environnement et le développement, présidée par Gro Harlem Brundtland [disponible en ligne sur Wikisource].

Sahli Zoubir (2021). « La gestion urbaine et le développement local en Algérie », article publié en ligne sur Linkedin et Facebook, 2 octobre 2021.


[1] Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation, en anglais (United Nations for) Food and Agriculture Organization. Tous les sigles utilisés dans l’article sont récapitulés à la fin du texte.

[2] Le Rapport Brundtland est le nom donné à une publication, intitulée Notre avenir à tous (Our Common Future), rédigée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. Utilisé comme base au Sommet de la Terre de 1992, ce rapport utilise pour la première fois l’expression « sustainable development », traduit en français par « développement durable », et il lui donne une définition : « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. » (ONU, 1987).

[3] Zoubir Sahli est expert agroéconomiste de l’Institut National d’Agronomie (Alger). Il a publié une série d’articles et entretiens dans le journal El Watan, sur Facebook et Linkedin en septembre et octobre 2021, sur les questions de développement local, de sécurité alimentaire et d’environnement.

[4] La wilaya est la circonscription administrative de base, équivalente des provinces, départements, préfectures, selon les dénominations propres à chaque pays. La wilaya est dirigée par un wali nommé par le pouvoir central. Les Assemblées populaires de wilaya (APW) et les Assemblées populaires communales (APC) sont les organes délibératifs respectivement des wilaya et des communes.


Auteur / Author

Omar Benbekhti est docteur en sociologie du développement de l’Université Paris-X Nanterre. Professeur à l’Université d’Oran 2 (Faculté des sciences sociales), il a assuré depuis 1996 plusieurs missions d’expertise dans le secteur du développement rural pour le compte de nombreux organismes locaux et internationaux. Ses réflexions touchent de façon générale les projets de réalisation dans le domaine rural et local.

Omar Benbekhti holds a doctorate in sociology of development from the University Paris-X Nanterre. He is a professor at the University of Oran 2 (Faculty of Social Sciences) and since 1996 he has carried out several expert missions in the rural development sector on behalf of numerous local and international organisations. His reflections concern in a general way the projects of realization in the rural and local field.


Résumé

Le paradoxe du développement durable est que sa maîtrise par les acteurs locaux reste conditionnée par une implication des pouvoirs centraux dans une dynamique de transfert des compétences au niveau local. L’observation du terrain a montré que l’émergence d’initiatives locales, pour créer les conditions d’un développement durable n’est pas évidente.

Mots clés

Développement durable – Gouvernance – Démocratie – Participation – Acteurs locaux – Lien social.

Abstract

The paradox of sustainable development is that its control by local actors remains conditioned by the involvement of central powers in a dynamic of transfer of skills at the local level. Observation of the field has shown that the emergence of local initiatives to create the conditions for sustainable development is not obvious.

Key words

Sustainable development – Governance – Democracy – Participation – Local actors – Social link.

Développement durable : origines et évolution d’une notion clé dans les instances internationales

BAGAYOKO Siriki
Faculté des sciences administratives et politiques de Bamako (FSAP de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (Mali)


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Durabilité et globalisation : approches théoriques et critiques


Pour citer cet article

Bagayoko Siriki : « Développement durable : origines et évolution d’une notion clé dans les instances internationales », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/516/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

Développement durable : origines et évolution d’une notion clé dans les instances internationales

par Siriki BAGAYOKO

Version PDF

Les impacts destructeurs de l’activité humaine sur l’environnement sont devenus préoccupants dans les pays industrialisés à la fin du 19e siècle. Mais c’est à partir des années 1970 que les scientifiques et l’organisation des Nations Unies vont progressivement placer la question de l’environnement au centre de leur attention. Le problème des inégalités croissantes entre pays développés et sous-développés est également devenu un sujet de préoccupation à l’échelle internationale. Le modèle de développement économique des sociétés industrielles a été remis en question ainsi que les rapports entre pays riches et pays pauvres. Il était question de trouver un autre modèle économique « durable », qui ne détruirait pas l’environnement et prendrait en compte les inégalités entre pays riches et pays pauvres. L’objet de cet article est d’étudier les origines de la notion de développement durable, sa naissance, sa définition et son évolution. Nous nous appuierons essentiellement sur les textes issus des sommets de l’ONU. Cette présentation se divise en trois grandes parties. La première aborde la prise de conscience mondiale, l’urgence d’action face aux questions environnementales et de développement, ainsi que la première ébauche de la notion de développement durable. La deuxième a trait à la naissance et à la définition du mot « développement durable ». La troisième s’intéresse aux trois grandes étapes d’orientation stratégique pour réaliser le développement durable.

Premières ébauches de la notion de « développement durable »

Au début des années 1970 deux événements majeurs ont manifesté une prise de conscience mondiale pour les questions environnementales.

Le premier est la publication du rapport The Limits to the Growth (Les limites à la croissance) publié en 1972. Il est plus connu sous le nom de Rapport Meadows (Meadows et al., 1972). Son commanditaire est le Club de Rome[1] qui a émergé au sein de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE)[2]. Le rapport a été réalisé par deux chercheurs du Michigan Institute of Technology (MIT) et étudie les rapports entre l’économie, l’environnement et la démographie. Il décrit, sur la base d’une simulation informatique, une situation dans le monde où la démographie croît chaque année et l’économie connait une croissance encore plus importante. Cette double croissance comporte des risques sur l’environnement car les ressources naturelles, énergétiques (pétrole, gaz etc.) ne sont pas illimitées. Le rapport alerte sur le fait qu’elles risquent de s’épuiser d’ici 50 ou 60 ans, c’est-à-dire 2020 ou 2030. Il préconise donc une stabilisation de la population et de la production au plan mondial.

Le second événement est la Conférence des Nations Unies sur l’environnement qui s’est tenue du 5 au 16 juin 1972 à Stockholm en Suède[3]. Elle est la première conférence mondiale à inscrire à son ordre du jour la question de la détérioration de l’environnement. Elle est donc le premier sommet de la Terre. Elle a adopté deux textes importants : la Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le Plan d’action pour l’environnement (Nations Unies, 1973).

Dans la déclaration, l’enjeu environnemental est lié intelligemment à la question du développement[4]. En effet, l’homme y est considéré comme étant à la fois créature et créateur de l’environnement. L’accroissement naturel de la population, l’exploitation des ressources par les pays développés et les pays en voie de développement constituent des hypothèques sérieuses pour la préservation de l’environnement. Dans les premiers, l’environnement est détruit par l’industrialisation et le développement des techniques. Dans les deuxièmes, l’environnement est détruit par le sous-développement qui se manifeste à travers les conditions d’existence de millions de personnes. Ceux-ci manquent du nécessaire pour ce qui concerne leur alimentation, éducation, logement, santé et hygiène. Leurs conditions de vie sont loin d’une « vie humaine décente ». Par conséquent, le rapport estime que le moment de l’histoire est arrivé de prendre plus en compte les répercussions de nos actions sur l’environnement. La protection et l’amélioration de l’environnement est devenue une question d’importance primordiale car affectant le bien-être des populations, le développement économique dans le monde entier. Elles doivent alors constituer un « devoir » pour tous les gouvernements. Un certain nombre de principes ont été adoptés dans la déclaration en vue d’une gestion plus rationnelle de l’environnement. Un des principes notables considère la responsabilité de l’homme dans son devoir « solennel » de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures (principe 1). Un autre mentionne que les ressources naturelles du globe comme l’air, l’eau, la terre, la flore, la faune doivent être préservées, là encore dans l’intérêt des générations présentes et futures (principe 2).

Le plan d’action pour l’environnement devait traduire en actes les principes[5]. Ses 109 recommandations tournent toutes autour de la gestion de l’environnement. Elles sont regroupées en cinq grands thèmes[6] et identifient trois catégories d’action : évaluation de l’environnement, gestion de l’environnement et mesures de soutien. Pour la première catégorie, il s’agit d’évaluer et d’analyser, de rechercher, de surveiller et d’échanger des informations. Pour la deuxième catégorie, il s’agit de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations actuelles et futures à travers des recommandations détaillées. Pour la troisième catégorie, il s’agit d’évaluer et de gérer l’environnement à travers l’éducation, la formation professionnelle et l’information, l’organisation, le financement et d’autres formes d’assistance. Aussi, la Conférence a désigné le 5 juin comme journée mondiale pour l’environnement et convoqué une deuxième conférence des Nations Unies sur l’environnement.

L’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) est à l’origine de la première ébauche du mot « développement durable » dans un ouvrage scientifique publié en 1980 (UICN, PNUE & WWF, 1980)[7]. L’ouvrage traite la question de comment parvenir à un développement durable qui soit fondé sur la conservation des ressources vivantes. Il considère que la conservation et le développement durable sont interdépendants. Ainsi, il esquisse une définition du développement durable comme suit : « C’est un type de développement qui prévoit des améliorations réelles de la qualité de la vie des hommes et en même temps conserve la vitalité et la diversité de la Terre. Le but est un développement qui soit durable. À ce jour, cette notion paraît utopique, et pourtant elle est réalisable. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus que c’est notre seule option rationnelle. »

Naissance de la notion de « développement durable »

Les signes de changement climatique notamment se sont multipliés dans les années 1980, accentuant ainsi la prise de conscience pour l’idée de « développement durable ». L’Assemblée générale de l’ONU créa, pour faire face au problème, en 1983 la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED), dont la présidence a été confiée à Gro Harlem Brundtland, femme politique norvégienne qui sera plusieurs fois première ministre de son pays durant les années 1980[8]. Son mandat était d’élaborer un programme de changement global. Après quatre années de travail, son rapport Notre avenir à tous est présenté en avril 1987 (CMED, 1988). Plus connu sous le nom de Rapport Brundtland, il fixe la définition du développement durable qui a acquis une notoriété universelle : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (ibid., p. 40). Cette définition complexifie la notion de développement en lui associant deux autres notions qui lui sont inhérentes et qui l’encadrent en quelque sorte. La première se rapporte aux besoins. Il s’agit notamment des besoins des plus démunis qui doivent être traités avec la plus grande priorité. La deuxième est l’idée de limitation. Pour la première fois est énoncée officiellement au niveau international la nécessité de prendre en considération l’existence de limites de la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.

Et le rapport expose les implications que le développement durable entretient avec l’économie, la démographie et la gestion des ressources. Ainsi, la croissance économique est certes nécessaire pour assurer le développement durable mais elle ne suffit pas seule. Les sociétés doivent, en plus, assurer l’égalité des chances pour tous. L’accroissement démographique constitue un frein potentiel à moins d’évoluer à un rythme qui s’accorde avec le potentiel productif des écosystèmes. L’exploitation des ressources comme l’eau, les sols, l’atmosphère, les êtres vivants, peut freiner le développement durable si leur exploitation est faite sans limite. Les ressources renouvelables comme les forêts doivent être exploitées à une allure qui ne dépasse pas leur capacité de se régénérer et de croître naturellement. Les ressources non renouvelables comme les combustibles fossiles et les minerais doivent être exploitées de telle manière que leur épuisement soit retardé et que l’on puisse trouver des produits de remplacement. Les espèces végétales et animales doivent être préservées, tandis que les effets nuisibles des activités économiques pour les ressources comme l’air et l’eau doivent être réduits au minimum (ibid., p. 40 et suiv.).

Du sommet de Rio en 1992 au sommet de New York en 2015 : trois grandes étapes

Concilier la protection de l’environnement et le développement social et économique

La Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (CNUED) qui s’est tenue à Rio de Janeiro du 1er au 12 juin 1992 devait adopter des normes du développement durable conformément au rapport Brundtland qui a servi de base de travail. Elle a été dénommée Sommet Planète Terre[9]. L’objectif assigné par l’Assemblée générale au sommet de Rio était d’imaginer un type précis de développement : un développement socioéconomique qui ne cause pas une détérioration continue de l’environnement. La Conférence a adopté deux textes majeurs : la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et Action 21. Elle a adopté aussi une déclaration et deux conventions : la Déclaration des principes forestiers, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la Convention sur la diversité biologique (Nations Unies, 1992).

La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement contient vingt-sept principes qui concrétisent l’orientation stratégique du sommet de concilier la protection de l’environnement avec le développement social et économique (p. 2 à 6). Ainsi, le sommet confie aux États et à tous les peuples le devoir de coopérer pour éliminer la pauvreté. Il considère cette mission comme une « tâche essentielle » et une condition indispensable du développement durable (principe 5). Afin de conserver, protéger et rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre, les États sont incités à coopérer dans un esprit mondial (principe 7). Le sommet montre à travers deux principes majeurs comment parvenir au développement durable. Il peut être atteint en considérant la protection de l’environnement comme partie intégrante du processus de développement (principe 4). Aussi, il peut être atteint si les États travaillent à réduire et à éliminer les modes de production et de consommation non viables et à développer en lieu et place des politiques démographiques appropriées (principe 8). Le sommet a élaboré la manière de traiter les questions d’environnement. Il voit dans la participation de tous les citoyens concernés au niveau qui convient la « meilleure façon de traiter les questions d’environnement » (principe 10). Il préconise aussi une étude d’impact environnemental pour des activités qui risquent d’avoir des effets nocifs importants (principe 17). Le sommet a aussi élaboré la responsabilité et le droit respectifs des pays développés et des pays pauvres. Les premiers sont appelés à admettre leur responsabilité dans l’effort international en faveur du développement durable du fait de leurs capacités financières et techniques et des pressions qu’ils exercent sur l’environnement (principe 7). Les intérêts des pays pauvres et leurs besoins doivent être pris en compte dans les actions internationales portant sur les domaines de l’environnement et du développement (principe 6).

Action 21 est le programme d’action conçu pour mettre en œuvre ces principes[10]. Les problèmes planétaires majeurs y sont exposés accompagnés de mesures, de stratégies d’intervention, de propositions d’action détaillées. Ainsi, on retrouve les problèmes d’ordre social et économique comme la lutte contre la pauvreté, la modification des modes de consommation, la dynamique démographique, la promotion d’un modèle viable d’établissements humains, la protection et la promotion de la santé (1re section). Figurent aussi les questions liées à la conservation et à la gestion des ressources comme la préservation de la diversité biologique, la promotion d’un développement agricole et rural durable, la lutte contre le déboisement, la protection de l’atmosphère (2e section). Enfin, est mentionnée la nécessité de renforcer le rôle de catégories sociales ou de groupes d’intérêts comme les femmes, les enfants et les jeunes, les populations autochtones et leurs communautés, les organisations non gouvernementales, la communauté scientifique et technique dans la mise en œuvre de politiques de développement durable (3e section). Les moyens d’exécution portent à titre d’exemple sur la science au service du développement, la promotion de l’éducation, la sensibilisation du public et la formation, les instruments et mécanismes juridiques internationaux (4e section).

Élaboration des objectifs de développement durable et des politiques d’économie verte

La deuxième grande étape a été amorcée à la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, tenue du 20 au 22 juin 2012 à Rio de Janeiro au Brésil[11]. La Conférence a adopté un document final intitulé L’avenir que nous voulons (Nations Unies, 2012). L’adoption des lignes directrices sur les politiques d’économie verte et l’élaboration des objectifs de développement durable (ODD) ont constitué la nouvelle orientation stratégique. La Conférence affirme que pour parvenir au développement durable dans ses trois dimensions, chaque pays dispose, en fonction de sa particularité et de ses priorités, d’une diversité d’approches. Et la réalisation de l’économie verte dans l’objectif de développement durable et de l’élimination de la pauvreté est un des moyens les plus précieux (ibid.)[12]. Elle entrevoit d’importants impacts de la conversion de l’économie en économie verte. En effet, celle-ci devrait contribuer à éliminer la pauvreté, favoriser une croissance économique durable, créer des possibilités d’emploi et de travail décent pour tous, gérer de manière plus durable les ressources naturelles. L’économie verte, moins nuisible en principe sur le plan écologique, devrait contribuer à réduire le changement climatique et à favoriser une utilisation plus rationnelle des ressources et une réduction de la production de déchets. Elle devrait aussi concourir à préserver le bon fonctionnement des écosystèmes de la planète (p. 11 et suiv.). Ces nouvelles politiques d’économie verte ne rompent pas avec les engagements des sommets antérieurs sur le développement durable. Elles doivent se conformer aux principes et plans d’actions des sommets antérieurs mais aussi désormais aux Objectifs du Millennaire pour le Développement (OMD). La mise en œuvre des politiques d’économie verte s’appuie sur un environnement porteur, des institutions qui fonctionnent correctement, la participation de tous les acteurs concernés (gouvernements, organismes des Nations Unies, organisations internationales, bailleurs de fonds, commissions régionales, institutions financières internationales, milieux d’affaires et l’industrie), la croissance économique durable et inclusive, la prise en compte des besoins des pays en développement et le renforcement de la coopération internationale. La Conférence appelle les gouvernements à appliquer des politiques en faveur de l’économie verte. Elle leur confie le rôle de chefs de file dans l’élaboration des politiques et des stratégies dans la transparence et dans l’inclusivité. Ils doivent aussi soutenir les initiatives en faveur du développement durable, notamment inciter le secteur privé à financer les politiques de promotion d’une économie verte dans le contexte du développement durable et de l’élimination de la pauvreté. Les organismes des Nations Unies, les organisations internationales, les autres bailleurs de fonds concernés sont invités à coordonner et à fournir sur demande des informations qui mettent en relation des pays intéressés avec les partenaires les mieux à même de leur apporter l’aide requise. Les pays en développement désireux de s’engager dans la voie du développement durable doivent être aidés, en plus des organisations citées, par les commissions régionales, les autres organisations intergouvernementales et régionales compétentes, les institutions financières internationales. Et ils doivent être soutenus pour créer des conditions propices au développement de technologies et d’innovations susceptibles de favoriser la conversion vers une économie verte.

L’élaboration des Objectifs de développement durable (ODD) est le deuxième grand axe majeur dans la nouvelle orientation stratégique. Il s’agit de décliner la visée générale en une série cohérente de cibles de l’action publique (p. 52 et suiv.). Mais ces objectifs doivent être fondés sur ceux des sommets antérieurs et d’autres sommets sociaux et économiques, tenir compte des objectifs du millennaire, des trois volets du développement durable, de la différence de contexte, des priorités de chaque pays et être intégrés au programme de développement des Nations Unies après 2015. La Conférence formule un certain nombre d’exigence aux ODD. Ils doivent avoir une envergure mondiale, être applicables dans tous les pays, être concrets, concis, faciles à comprendre, en nombre limité et ambitieux. Ils doivent concerner des domaines prioritaires aux fins du développement durable. Un mécanisme intergouvernemental est mis en place afin de formuler ces objectifs que l’Assemblée générale de l’ONU devra examiner afin de les adopter. Tous les pays sont incités à privilégier les principes du développement durable dans l’allocation leurs ressources. Enfin, la Conférence estime qu’il faut mobiliser des ressources considérables et les utiliser efficacement en vue d’apporter un appui solide aux pays en voie de développement dans leurs efforts de promotion du développement durable.

Élaboration des dix-sept objectifs du développement durable

Le sommet des Nations Unies sur le développement durable, tenu du 25 au 27 septembre 2015 à New York a marqué la troisième étape de mise en œuvre du développement durable. Il a adopté le document officiel Transformer notre monde : Le programme de développement durable à l’horizon 2030 (Nations Unies, 2015). L’orientation stratégique nouvelle a été l’adoption de nouveaux Objectifs mondiaux de développement durable qui avaient été annoncés au sommet de Rio en 2012. Ils sont au nombre de dix-sept, assortis de 169 cibles. Pour le sommet, c’est une première que les dirigeants du monde s’engagent pour exécuter ensemble un programme d’action à la fois vaste et universel. En tant que tel, il s’agit d’une décision historique. Chacun des dix-sept objectifs est particulièrement ambitieux. À titre d’exemple l’objectif 1 ambitionne d’éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde ; l’objectif 2 ambitionne d’éliminer la faim ; l’objectif 4 ambitionne d’assurer à tous une éducation équitable, inclusive et de qualité. Les exigences formulées pour définir les ODD ont été maintenues. L’application des objectifs est soumise à un délai qui entre en vigueur en 2016 et doit être atteinte en 2030. Un partenariat mondial revitalisé, qui rassemble les gouvernements, le secteur privé, la société civile, le système de Nations Unies et les autres acteurs concernés, qui mobilise toutes  les ressources disponibles, doit permettre de les mettre en œuvre.

Conclusion

L’article s’est intéressé aux origines, à la naissance et à l’évolution du développement durable. Ses origines se situent dans la prise de conscience mondiale pour les questions environnementales, de développement et des inégalités provoquée par le Rapport Meadows et le sommet de l’organisation des Nations Unies sur l’environnement de Stockholm de 1972. Le rapport Brundtland de 1987 a consacré sa naissance et défini ses liens avec l’économie, la démographie et l’environnement.

Des inflexions importantes ont marqué son évolution. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de 1992 et de 2002 ont concilié la protection de l’environnement et le développement social et économique à travers des principes qui fixent les droits et les devoirs des États, des citoyens, des pays développés et des pays pauvres et un plan d’action de gestion de différents domaines sectoriels. La Conférence des Nations Unies sur le développement durable de 2012 a initié le concept d’économie verte et les objectifs de développement durable. L’économie verte est désormais considérée comme un des moyens précieux pour parvenir au développement durable ; sa mise en œuvre nécessite la participation de tous les acteurs politiques, économiques et sociaux concernés. La formulation d’objectifs doit permettre d’atteindre le développement durable. Le sommet des Nations Unies sur le développement durable de 2015 a élaboré les dix-sept objectifs de développement durable comme aboutissement des objectifs formulés au sommet de 2012. Ils ambitionnent de transformer le monde à l’horizon 2030.

Bibliographie

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Meadows Dennis, Meadows Donella & Randers Jørgen (1972). Halte à la croissance ? Paris, éd. Fayard, 318 p.

Nations Unies (1973). Rapport de la Conférence des Nations-Unies sur l’environnement. Stockholm, 5-16 juin 1972, 89 p.

Nations Unies (1992). Rapport de la Conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement. Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992, 508 p.

Nations Unies (2012). L’avenir que nous voulons. Conférence des Nations Unies sur le développement durable Rio+20, Rio de Janeiro, 20-22 juin 2012, 60 p.

Nations Unies (2015). Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030. New York, Sommet des Nations Unies sur le développement durable, 25-27 septembre 2015, 38 p.

UICN/PNUE/WWF (1980). Stratégie mondiale de la conservation. La conservation des ressources vivantes au service du développement durable. Gland (Suisse), UICN, 64 p. URL : https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/wcs-004-fr.pdf


Notes

[1] Un groupe de réflexion fondé en 1968 et composé de scientifiques, hauts fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 52 pays.

[2] Organisation regroupant les principaux pays dits développés.

[3] C’est la résolution 2398 (XXIII) de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies en date du 3 décembre 1968 qui l’a convoquée.

[4] Les explications ci-dessous se trouvent dans la déclaration, pages 3-6.

[5] Les explications ci-dessous se trouvent dans le plan d’action, page 7-32.

[6] 1) Aménagement et gestion des établissements humains en vue d’assurer la qualité de l’environnement ; 2) Gestion des ressources naturelles du point de vue de l’environnement ; 3) Détermination des polluants d’importance internationale et lutte contre ces polluants ; 4) Aspects éducatifs, sociaux et culturels des problèmes de l’environnement et question de l’information ; 5) Développement et environnement.

[7] L’UICN a préparé cet ouvrage avec  les avis du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et de la World Wildlife Foundation (WWF) avec la collaboration de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

[8] Elle a été créée par la résolution 38/161 de l’Assemblée générale de l’ONU en date du 19 décembre 1983.

[9] Elle a été convoquée par la résolution 44/228 de l’Assemblée générale de l’ONU en date du 22 décembre 1989.

[10] C’est un document particulièrement volumineux avec plus de 300 pages. Il est organisé en quatre grandes sections portant sur 39 thèmes.

[11] Elle a été convoquée par la résolution 66/197 de l’Assemblée générale de l’ONU. Elle est appelée aussi Rio+20.

[12] Les explications ci-dessous sur l’économie verte sont tirées de L’avenir que nous voulons, page 11 à 15.


Auteur / Author

Bagayoko Siriki est titulaire d’un DEA et d’un doctorat de sciences politiques obtenu à l’Université Friedrich-Wilhelm de Bonn (RFA). Il est maître-assistant à la Faculté des sciences administratives et Politiques (FSAP) de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB) au Mali. Il est membre du LMI MaCoTer. Ses centres d’intérêt portent sur le système politique au Mali, les élections.

Bagayoko Siriki holds a DEA and a PhD in political sciences from the Friedrich-Wilhelm University of Bonn (Germany). He is a lecturer at the Faculty of Administrative and Political Sciences (FSAP) of the University of Law and Political Sciences of Bamako (USJPB), Mali. He is a member of LMI MaCoTer. His main interests are the political system in Mali and elections.


Résumé

Cet article traite des origines, de la naissance et de l’évolution de la notion de développement durable. Les questions environnementales et de développement se sont posées avec de plus en plus d’acuité au début des années 1970. Elles ont provoqué une prise de conscience mondiale et surtout la nécessité d’une urgence d’action de la part de l’ONU. La notion de développement durable va naître en 1987 sous le leadership de l’ONU. Son évolution a été façonnée par l’ONU à travers ses grands sommets sur le développement durable. Trois grandes périodes ont marqué cette évolution depuis 1992. La première est marquée par la recherche d’une conciliation entre développement socioéconomique et protection de l’environnement. La deuxième a été marquée par l’élaboration des objectifs de développement durable et des politiques d’économie verte dans le contexte du développement durable. La troisième a été marquée par l’adoption des dix-sept objectifs de développement durable.

Mots clés

Environnement – Développement – Développement durable – Préservation des ressources – OMD – ODD – Économie verte.

Abstract

This article deals with the origins, birth and evolution of sustainable development. Environmental and development issues became increasingly important in the early 1970s. They provoked a global awareness and above all the need for urgent action by the UN. The notion of sustainable development was born in 1987 under the leadership of the UN. Its evolution was shaped by the UN through its major summits on sustainable development. Three major periods have marked this evolution since 1992. The first is marked by the search for a conciliation between socio-economic development and environmental protection. The second has been marked by the elaboration of sustainable development objectives and green economy policies in the context of sustainable development. The third was marked by the adoption of seventeen sustainable development objectives.

Key words

Environment – Development – Sustainable development – Resource preservation – MDGs – SDOs – Green economy.

L’économie sociale et solidaire comme pilier du développement durable. Une perspective transactionnelle

BLANC Maurice
Université de Strasbourg & Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE – UMR 7363) – France.

STOESSEL-RITZ Josiane
Université de Haute Alsace & Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE – UMR 7363) – France.


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Durabilité et globalisation : approches théoriques et critiques


Pour citer cet article

Blanc Maurice & Stoessel-Ritz Josiane : « L’économie sociale et solidaire comme pilier du développement durable. Une perspective transactionnelle », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/505/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

L’économie sociale et solidaire comme pilier du développement durable. Une perspective transactionnelle

par Maurice BLANC & Josiane STOESSEL-RITZ

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Le développement durable (DD par la suite) est une utopie mobilisatrice qui repose sur deux fondements : la solidarité généralisée qui engage l’ensemble des composantes d’une société et la coopération entre des individus autonomes mais interdépendants (Elias, 1969) qui agissent pour un meilleur vivre ensemble. Cette double nécessité pose des difficultés d’ordre politique, social, culturel et épistémique (Storrie, 2010) : elle repose sur un contrat social éthique et sur un mode de développement reliant des sociétés de plus en plus interdépendantes.

Expression consacrée par le Rapport Brundtland (CMED, 1988)[1], le DD demeure polysémique et controversé. L’écodéveloppement (Sachs, 1978) insiste sur la satisfaction des besoins humains fondamentaux, dans « un souci d’équité et selon une temporalité intergénérationnelle » (Gendron & Gagnon, 2004). Des approches économiques l’associent au « développement local viable », les habitants validant les impacts sociaux et les coûts sociétaux (ibid.). Dans les sciences sociales de l’urbain, des « approches critiques du DD » partent des luttes des habitants contre la transformation néolibérale de leur ville (Boissonade, 2015).

Le DD vise à concilier les exigences opposées de l’économie, de l’environnement et de la société. Mais la plupart des organisations nationales et internationales ont une vision néolibérale du DD, par la création de nouveaux marchés, comme celui des droits à polluer : en fonction de calculs complexes, chaque entreprise a le droit de polluer jusqu’à un certain niveau. Si elle est vertueuse, elle peut vendre ses droits inutilisés, permettant à d’autres entreprises de continuer à polluer au-delà du seuil autorisé. Ce marché est inspiré par le Prix Nobel de l’économie Ronald Coase (1960) : en donnant un prix à la pollution, on inciterait à polluer moins. En réalité, les gros pollueurs préfèrent payer, au lieu de réduire la pollution à la source.

Cette « croissance verte » est dénoncée par les acteurs de l’ESS et de la société civile, car elle institue de nouveaux marchés qui tiennent compte des seuls investissements marchands et excluent les activités non marchandes et non monétaires. Dans un contexte néolibéral et une gestion à court terme, la croissance développe la compétition pour l’accès aux ressources naturelles ; elle exacerbe les tensions sur les ressources en eau et le patrimoine naturel, pratiquant la politique de la terre brûlée.

Dans ce mode de développement, les droits du propriétaire passent avant ceux des usagers. L’ensemble des ressources humaines et terrestres est soumis à l’emprise des marchés (Callon, 2017). Ce développement reste prisonnier d’un mode destructeur, inégalitaire et source de violences : l’extractivisme[2] (Maalouf, 2009).

Du mythe à l’aveuglement

La notion de « développement » est un héritage de la fin de la seconde guerre mondiale. Au 21e siècle, le DD est confronté à la pensée néolibérale et au processus global de financiarisation, qui se sont renforcés conjointement dans l’économie mondiale. La première vise à démanteler l’État social, en se fondant sur l’utilité économique et les produits financiers. « L’utopie néolibérale » (Foucault, 2004) soumet l’ensemble de la vie en société à la loi du marché, mais il faut une intervention politique pour que « les mécanismes concurrentiels puissent jouer le rôle de régulateur » (Lagasnerie, 2012, p. 52). Les impasses de la globalisation néolibérale s’expriment avec l’avènement du « marché total » (Polanyi, 1944) : « la guerre de tous contre tous » accélère la montée des inégalités sociales et menace les ressources terrestres et les solidarités.

La seconde, la financiarisation, découle du capitalisme financier qui s’empare des « risques climatiques et sociaux » (Keucheyan, 2018) et menace le vivre ensemble, le lien social et la démocratie. Ce développement prédateur est source de conflits, de guerres et de pauvreté ; il subit l’impact d’une globalisation écologiquement et socialement insoutenable (Supiot, 2020). Le mythe s’effondre d’une croissance infinie, fondée sur la conquête de parts de marché. Pour un monde humainement durable et vivable, agir pour le DD impose une prise de conscience (un « choc », selon Supiot) pour tenir compte des interdépendances entre pays et entre communautés, des spécificités de chacun et de la nécessité irréductible des communs (Menzou, 2020).

Les communs sont des potentiels concrets d’action issus de l’accès à des ressources (terre, eau, culture, savoirs) et de leur usage. Ces communs forment le soubassement du bien vivre ensemble dans une « société du commun » (Defalvard, 2020). La prise de conscience citoyenne des communs, en réaction au néolibéralisme et aux marchés, s’exprime en termes d’attachements et de résistances locales (Dardot & Laval, 2016 ; Kern & Stoessel-Ritz, 2014).

Dans le processus incertain de conciliation de l’environnement, de l’économie et de la société, une transition sociale, écologique et démocratique implique une rupture : de la compétition vers la coopération et les solidarités. L’ESS est pionnière et promotrice de transactions dans la construction de ces articulations et transitions. Nous nous centrons sur la manière dont les individus, les communautés et les sociétés produisent de la coopération et de la solidarité, réponses concrètes et porteuses d’issues solidaires (Servet, 2017).

Selon notre hypothèse, les initiatives citoyennes collectives sont attentives à l’accès aux ressources de toutes et tous, y compris les plus pauvres ; elles participent du bien vivre ensemble. Cette perspective explore un DD alternatif, ancré dans les valeurs, les codes et l’histoire des sociétés (Polanyi, 1944). Elle repose sur des ressources régénératrices de sens, des résistances collectives et de la capacité sociale (au sens de capability : Sen, 1999) à (re)produire des communs.

Introduire la transaction sociale : de la compétition à une éthique de la coopération

Ce changement de paradigme[3] regarde autrement les échanges sociaux encastrés localement et socialement, coexistant avec l’échange marchand. Ces échanges non monétaires (don de temps, de savoirs) relèvent d’arrangements qui intègrent l’utilité, la valeur marchande et la dimension subjective et objective des liens. Ces échanges sont le fruit d’une transaction sociale qui produit de la confiance et des valeurs (solidarité, reconnaissance) sous-jacentes à la coopération.

Pour Claude Lévi-Strauss (1943, p. 136) : « les échanges commerciaux représentent des guerres potentielles pacifiquement résolues et les guerres sont l’issue de transactions malheureuses » (cité par Remy & Voyé, 1981, p. 171). La transaction sociale est un processus d’interactions, d’échanges et d’apprentissages qui peut aboutir à un accord tacite permettant un compromis de coexistence (Blanc, 2009).

La solidarité repose sur un apprentissage pluriel de la coopération (Stoessel-Ritz & Blanc, 2020) et sur l’expérience, à la fois individuelle et collective, du faire commun. Elle s’inspire des formes de résistance et de solidarité à l’échelle des territoires. L’émergence de pratiques de solidarité et de liens s’appuie sur l’engagement de communautés et de citoyens qui veillent au sens du commun (Stengers, 2020) et préservent, par la coopération, un vivre ensemble entre des égaux qui sont différents (Laurent, 2017).

Cette éthique de coopération et de solidarité ne doit pas masquer sa limite, quand la solidarité se limite à une communauté repliée sur elle-même (Storrie, 2010, p. 24). Le paradoxe démocratique doit transformer des relations antagonistes (entre ennemis engagés dans une lutte à mort) en relations agonistes (entre adversaires qui rendent leur confrontation productive). Ce résultat repose sur des citoyens vigilants et capables d’aboutir à des compromis pratiques par des transactions sociales, mais l’antagonisme irréductible demeure. C’est l’enjeu de l’éthique de la coopération dans la démocratie (Mouffe, 2000).

L’économie sociale et solidaire, une utopie concrète pour des alternatives solidaires

En Europe, l’ESS s’est construite au 19e siècle, sous l’impulsion d’une pensée sociale critique : le coopérativisme et le solidarisme sont la source d’une utopie émancipatrice, entrainant la mobilisation des ouvriers auto-organisés en coopératives de consommation et/ou de production, pour résister au capitalisme et sortir de la pauvreté.

Dans sa diversité, l’ESS est le terreau sur lequel fleurissent des innovations collectives, alternatives et citoyennes pour une utopie concrète c’est-à-dire « la possibilité qui éclaire l’actuel et que l’actuel éloigne dans l’impossible » (Lefebvre, 1971, p. 9). L’ESS est une force collective (libre adhésion et engagement) qui oriente et structure son action au service d’une société plus juste, solidaire et équitable. Cette utopie n’a rien d’un idéal impossible à atteindre : telle une boussole, elle donne du sens aux pratiques et aux échanges. Cette utopie répond aux espérances et aux attentes des individus, elle est ancrée dans les attachements personnels, culturels et familiaux et s’exprime dans la vision d’une société permettant un meilleur vivre ensemble.

Cette dimension structurale[4] de l’ESS fait écho aux initiatives émergentes qui expriment des formes d’engagement et d’émancipation avec une dimension sociopolitique. Participant à la culture démocratique, les initiatives sociales et solidaires des citoyens fournissent des réponses concrètes à un développement durable, social et solidaire lui aussi. L’entrepreneuriat solidaire s’est construit en combinant plusieurs principes d’échanges (marchand, distributif et non monétaire) autour d’une économie plurielle (Laville, 2007). Elle est portée par l’engagement et l’action collective au service de finalités solidaires et elle régénère la démocratisation de l’économie par la coopération.

Néolibéralisme et ESS : tensions, complexité et transactions sociales

Dans le contexte de la mondialisation, l’ESS résiste au néolibéralisme hégémonique qui vise à la réduire au social business qui détecte de nouveaux marchés à impact social (Laville et al., 2017, p. 9). La loi française de 2014 sur l’ESS reconnait l’entreprise commerciale à but social[5], ce qui contribue à cette confusion. Mais l’ESS n’est pas le détecteur des marchés émergents dans la sphère sociale.

Si l’ESS et le néolibéralisme sont radicalement opposés, leurs frontières restent floues. Le social business a été développé par Muhammad Yunus, fondateur en 1976 de la Grameen Bank et prix Nobel de la Paix. Appelée « la banque des pauvres », cette banque fait des prêts à bas taux d’intérêt aux paysans pauvres du Bangladesh, notamment aux femmes. Mais il s’agit d’un marché « rentable » car, en jouant sur les solidarités villageoises, les emprunts non remboursés sont peu nombreux.

Pour le social business, lutter contre la pauvreté et permettre aux pauvres de vivre décemment est un immense marché qui permet de s’enrichir. Pour y parvenir, il faut un soutien au départ : soit celui de la philanthropie (la fondation Bill et Melinda Gates par exemple), soit celui de l’État. Pour obtenir des soutiens financiers, l’ESS est souvent obligée de passer par des dispositifs qui ne correspondent ni à son éthique, ni à sa stratégie. La négociation de transactions sociales achoppe quand des rapports de force opposent les attentes d’un ministère ou d’un « mécène », qui exigent un retour sur investissement à court terme, à des structures associatives impliquées dans une action à long terme pour la reconnaissance de communs (bien vivre ensemble, agir sur les représentations sociales).

L’insertion par l’activité économique est en France un bon exemple : l’ESS a l’ambition d’aider les personnes en grande difficulté (chômeurs de longue durée, jeunes sans qualification professionnelle, personnes vivant avec un handicap, etc.) à trouver un emploi adapté à leur situation. Sauf exception, ceci suppose un long temps de préparation. Or les services de l’État en charge de l’emploi conditionnent leur financement à un taux d’insertion professionnelle élevé et à court terme.

Les organismes de l’ESS sont contraints de sélectionner les candidats « les plus proches de l’emploi » et non ceux et celles qui en ont le plus besoin. Dans la gestion de ces contradictions, les négociations informelles qui accompagnent la mise en œuvre de dispositifs complexes sont essentielles. L’analyse des pratiques révèle les capacités réflexives des publics (Duvoux, 2010), l’impact des interactions (entre professionnels et personnes accompagnées) et la possibilité de négocier des transactions sociales tacites entre professionnels, pour éviter quelquefois l’exclusion des personnes.

La transaction sociale permet de discerner la dynamique de pratiques d’apprentissage et d’interactions dans la négociation, souvent informelle, de zones d’accords. Tout en partant des effets des structures sociales et des antagonismes sociaux, ce paradigme s’attache à rendre possible la coopération par un compromis pratique, modelé par des cultures et des valeurs (Ledrut, 1976).

L’ESS est un terrain fécond de transactions sociales : l’échange économique débouche sur des échanges sociaux encastrés dans les pratiques, dans les mouvements sociaux et dans l’historicité de valeurs (Stoessel-Ritz & Blanc, 2020). Ces transactions sociales entre partenaires inégaux sont indispensables à la construction et à la reconnaissance des communs, dans une coopération conflictuelle.

Les acteurs de l’ESS sont porteurs d’initiatives collectives et citoyennes de résistance au néolibéralisme ; ils offrent un mode de développement alternatif qui prépare la transition économique, écologique, sociale et solidaire. Ces transitions mobilisent des échanges en dehors du capitalisme, ou acapitalistes (Braudel, 1985) : « l’échange marchand est transparent et concurrentiel, alors que l’échange capitaliste est opaque et à tendance monopolistique. […] Le capitalisme détruit le marché comme lieu d’échange négocié où l’on marchande » (Draperi, 2015).

Enjeux sociétaux du DD : des résistances durables

Les sociétés industrielles occidentales ont considéré que les espaces et les ressources naturelles des colonies étaient à leur disposition : elles se sont approprié l’eau, les matières premières et les métaux rares (extractivisme), la force de travail des populations des pays colonisés (avant, pendant et après l’esclavage), mais aussi le travail forcé des prisonniers. Les industries lourdes et polluantes, aux conséquences écologiques et sociales catastrophiques et irréversibles, ont été délocalisées vers les Suds. Le DD est prescrit et mis en jeu de diverses manières sur des territoires où l’intervention publique et privée provoque des résistances et des tensions, devant la menace de paupérisation et d’exclusion des populations locales, dépossédées de leur maîtrise sur le milieu et sur l’environnement.

Un développement livré à l’État néolibéral par une croissance génératrice de pauvreté

Au Gabon, le DD s’est invité dans le Programme national pour l’environnement de 2007, avec le soutien de la coopération internationale (Banque Mondiale, UNESCO et ONG). Mais c’est un développement postcolonial et extractiviste. L’entreprise Cimgabon à N’Toum (à l’est de Libreville), ancienne entreprise publique privatisée, devenue filiale d’une cimenterie allemande, éclaire les tensions et les rapports de pouvoir issus du paternalisme étatique et patronal (Bignoumba, 2013).

L’État a voulu maintenir une gestion paternaliste accordant des avantages aux salariés de la carrière de N’Toum (logement, terrain de sport) et garder des liens privilégiés avec la firme. L’entreprise Cimgabon a développé une stratégie de communication avec la certification environnementale ISO 14 001, pour rassurer les ONG, les salariés et les autres partenaires sur la qualité des conditions de travail sur le site.

La firme (appelée « société-État » par ses anciens salariés) a combiné une politique sociale paternaliste et la certification environnementale. Sa stratégie prétendue compensatrice est réservée à ses salariés. Ce compromis unilatéral compense les risques de l’activité économique par des équipements attractifs dans la cité ouvrière de la cimenterie. Cette politique se revendique du DD et elle a mis les familles de ces travailleurs et quelques riverains à l’abri de certains risques sanitaires et sociaux. Mais les habitants dépossédés de leurs ressources à vocation vivrière (eau, terres cultivables) ont pris conscience des risques environnementaux et sanitaires (gaz toxiques, poussières) liés à l’activité de la firme. Ils ont résisté aux pressions et exigé la création d’un dispensaire hors des murs de l’usine.

En 2014, face à une concurrence chinoise effrénée, l’État gabonais a cédé au néolibéralisme et accepté l’ouverture du marché du ciment, entrainant la fermeture de l’usine de N’Toum[6]. La croissance promise aboutit à une politique de la « terre brulée » : l’entreprise allemande abandonne une friche dévastée écologiquement par un développement prédateur et destructeur des ressources. D’anciens ouvriers (qui ont pu racheter leurs maisons) sont restés avec leurs familles, mais en perdant leur bien commun.

Résistances et solidarités pour un monde durable

L’environnement naturel est central dans la culture des communautés rurales qui sont les témoins historiques des formes traditionnelles de solidarité et de leurs transformations. Soumises à de fortes contraintes, ces communautés ont réussi à s’adapter à des transformations économiques et techniques, en préservant l’essentiel à leurs yeux : l’autonomie dans la gestion des ressources naturelles. Deux exemples montrent ce qu’un DD en rupture avec le modèle concurrentiel veut dire dans ces communautés : la conciliation entre une économie marchande acapitaliste, l’environnement et la communauté rurale.

Le premier exemple s’appuie sur des travaux réalisés en 2015 au Maroc[7], sur la gestion de l’arganeraie en région semi-aride et faiblement peuplée : le terrain du Souss Massa Drâa, dans le village de Talkerdoust-Zaou. Arbre endémique marocain présent au cœur de la tradition berbère rurale (Auclair & Simenel, 2013), l’arganier a permis de développer de multiples usages locaux (huile, combustible, sous-produit pour le bétail). Les forêts d’arganiers sont menacées par de nouvelles cultures maraîchères (irriguées) qui produisent un stress hydrique sur les arbres. Seuls les habitants restés au village (femmes, personnes âgées) assurent artisanalement la transformation des produits de l’argan[8], dont les forêts assurent une fonction essentielle de maintien de l’équilibre écologique de ce territoire (limitation de l’érosion et de la désertification).

Ce patrimoine arganier est traditionnellement géré par la communauté (jmaâ) qui veille aux droits d’usages des communs (agdal) tout en étant subordonnés, en tant que forêt domaniale, à l’autorité des agents de l’État (Eaux et Forêts) (Menzou, 2020). La coexistence du droit coutumier communautaire et du droit de propriété domaniale de l’État (héritage colonial) est au cœur des conflits d’usage. Il en résulte une gestion chaotique d’un patrimoine-ressource : les conditions d’usage et de mise en commun sont menacées, au risque d’accélérer la disparition des derniers habitants de ces territoires ruraux isolés.

La conciliation de l’environnement et du social (communautés), fondée sur des savoirs traditionnels, est menacée par la non reconnaissance du droit coutumier, facilitant l’imposition de la loi du marché par les exportateurs des produits de l’argan. La reconnaissance du droit coutumier communautaire (Barrière, 2017) initie un processus d’émancipation fondé sur la reconnaissance des savoirs locaux et des modes de vie, et sur le maintien des communautés. Cette perspective appelle le pluralisme en économie autour de biens et de services marchands et non marchands, soit une ESS adaptée qui construit des liens sociaux autour des communs (Menzou, 2020).

La résistance d’une agriculture vivrière et familiale dans les villages de montagne en Kabylie[9] est le second exemple (Stoessel-Ritz, 2012). Des modes de gestion durable sont intégrés par des habitants d’un territoire rural peu accessible et gagné par l’exode rural massif des jeunes (partis travailler à Alger ou en France). L’attachement au village demeure vif, même à distance. Ceux/celles qui restent s’engagent et résistent comme des gardiens vigilants : ce sont surtout des femmes qui entretiennent le patrimoine et les cultures vivrières. Des relations privilégiées à la terre se construisent par des échanges entre villageois, des activités au contact physique avec la nature et l’acceptation des contraintes du milieu aride des villages de montagne (relief, climat, saisonnalité), source d’un code de valeurs.

Cette activité familiale et artisanale est attentive à la nature et elle n’épuise pas le potentiel de reproduction des ressources. Ces communautés font une gestion locale et entretiennent des interdépendances étroites (entre les générations, les émigrés et ceux qui restent, les familles et la nature en montagne). Cette gestion autonome et durable des ressources fait de la nature un patrimoine commun pour toute la communauté, dynamique qui renforce les liens dans la communauté élargie aux absents. Ces solidarités contribuent à limiter la vente des terres agricoles en Kabylie et la spéculation par des acheteurs étrangers. Ce modèle de bien vivre ensemble tire sa force d’une volonté des membres « de faire exister un modèle de société » au-delà des frontières (Bourdieu et al., 2003), dans une société des communs (Defalvard, 2020).

L’ESS, matrice sociétale d’un DD générateur de bien vivre ensemble

L’ESS est la matrice sociétale d’un DD construit sur une alternative citoyenne et solidaire. Elle repose sur une économie plurielle et démocratique, et sur une vigilance critique fondant le bien vivre ensemble sur des communs. Les crises systémiques majeures du changement climatique, l’amplification des inégalités économiques et de la pauvreté, la crise écologique et sanitaire en 2020, appellent un changement urgent (Latour, 2017). Un DD démocratique, une justice environnementale et un développement plus sobre et équitable reposent sur la coopération et l’organisation de solidarités sous-tendues par des liens d’interdépendance (Stoessel-Ritz, Blanc & Mathieu, 2010).

Les activités de l’ESS mettent les principes à l’épreuve de l’action et accumulent des connaissances concrètes et des expériences collectives. Un faisceau d’interactions continues et d’allers retours entre savoirs et pratiques font de l’ESS un champ stimulant, créatif et réflexif, susceptible de relever les défis majeurs de nos sociétés, d’inventer et de défricher de nouvelles pistes, en dehors du néolibéralisme et de la société de marché.

Donner son patrimoine pour un projet émancipateur. La naissance d’un bien commun sous tension : l’écomusée d’Alsace

L’association Maisons paysannes d’Alsace (1973-2006) pourrait être un idéal-type de projet collectif de patrimonialisation non financière pour le bien vivre ensemble (Stoessel-Ritz, 2018). Dans les années 1970, le départ forcé pour le salariat industriel des jeunes issus de familles paysannes du Sundgau (Haut-Rhin) aboutit à l’abandon progressif des fermes et des maisons paysannes qui n’intéressent plus personne. Sauf à Gommersdorf (Sud Alsace) où des paysans âgés ont préféré « donner » leurs maisons que les abandonner, en les confiant à un groupe de jeunes (étudiants, apprentis) venus de la ville et épris de nature.

Cette transmission inattendue a mis ces jeunes devant un dilemme : recevoir ce don signifie endosser une responsabilité, mais quel avenir pour ces biens ? Ces jeunes bénévoles entendent sauvegarder ces maisons paysannes par le démontage et remontage des maisons déplacées sur une friche industrielle. L’association Maisons paysannes d’Alsace est créée, elle aspire à un choix alternatif : ni entreprise lucrative, ni musée public, un projet patrimonial faisant le lien entre un monde paysan en extinction et un monde en devenir. Ce projet a permis en 1981 la création de l’Écomusée d’Alsace à Ungersheim[10], fruit de la réappropriation du bien commun et de la réinvention de nouveaux usages.

L’Écomusée d’Alsace a du succès, mais il demeure incompris par les collectivités territoriales. Ce n’est ni un parc d’attraction et de loisirs, ni un musée. L’association parvient à concilier des activités marchandes et des activités non monétaires de l’Écomusée, elle a surpris par sa capacité à concilier deux logiques inconciliables[11] aux yeux des acteurs publics (Département, Région).

L’Écomusée d’Alsace a gagné grâce à l’engagement collectif de bénévoles et de salariés qui ont défendu la vision d’un bien commun au prix d’un travail permanent de négociation de ce commun devenu une ressource. Acquises au dogme néolibéral, les collectivités territoriales ont mis fin au projet associatif : le bien commun (Écomusée) est réduit à un objet lucratif. La vague néolibérale est un risque pour les communs, leur légitimation est un enjeu majeur pour l’ESS et elle nécessite une société civile vigilante et consciente de son intérêt.

Les Amap : nouveaux échanges, nouvelles solidarités, compromis de coexistence et bien vivre ensemble

Les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) sont nées avec les années 2000, contre les logiques néolibérales de la mondialisation. Elles représentent en France plus de 2000 organisations qui réunissent 100 000 foyers et 3700 producteurs (agriculture, maraîchage). Le projet « amapien » permet d’acheter à un prix juste des denrées alimentaires de qualité ; l’objectif est de garantir la pérennité des fermes de proximité, dans une démarche d’agriculture paysanne (accompagnement, cahier des charges), souvent agroécologique et socialement équitable (contrat direct entre producteurs et consommateurs). Les Amap visent à renouer des relations et des solidarités entre une communauté locale élargie et un réseau de petits producteurs locaux qui mutualisent les risques de l’activité agricole face aux aléas climatiques.

Dans la région de Mulhouse (Haut-Rhin), les Amap ont rétabli des liens entre les producteurs et les consommateurs avec une reconnaissance réciproque, un intérêt renouvelé pour les produits échangés (intérêt pour le travail du producteur et ses savoirs) et la transformation progressive des modes de consommation (produits bio). L’expérience collective est durable pour une partie des consommateurs adhérents ; elle se traduit par une prise de conscience des interdépendances et, pour certains, la participation bénévole aux travaux (Stoessel-Ritz, 2018).

L’échange des produits dans les Amap renforce l’expérience d’un vivre ensemble et d’une consommation alternative. Il se fait dans une ancienne friche industrielle à Mulhouse. La volonté de se reconnaître « autrement » est le résultat d’une transaction sociale qui réinvente un sens du commun par l’intérêt et l’attention portée, d’un côté aux citadins consommateurs, de l’autre aux producteurs et paysans des territoires ruraux. Cette transaction est la réappropriation d’un acte marchand acapitaliste qui s’émancipe des rôles prescrits ou contraints.

Cette émancipation potentielle et objective du consommateur passif produit une plus grande autonomie, entendue comme le libre engagement dans des choix responsables. L’engagement dans les Amap est une expérimentation du bien vivre générateur de sens en commun (Stengers, 2020) et de savoirs partagés, favorisant les solidarités locales.

L’ESS participe à un projet individuel et collectif d’émancipation, au contact de l’apprentissage des interdépendances traversées par des relations de pouvoir. Cette émancipation engage un processus de prise de distance réflexif, incluant les savoirs décolonisés par l’invention d’une ESS qui relève d’une « science sociale publique et émancipatrice » (Laville, 2020, p. 310).

Conclusion

Un DD sans éthique ni valeurs, dépouillé de coopération et de solidarités serait un piège, voire une impasse fatale. La vague néolibérale a fragilisé les États et accéléré l’instauration de régimes arbitraires de décisions non démocratiques qui menacent les conditions d’existence de populations locales dans l’accès à leurs ressources locales, matérielles et immatérielles. L’ESS posée comme un mode de développement alternatif, écologique et solidaire est génératrice de communs, dont la reconnaissance sociale et politique est au cœur de tensions conflictuelles. Portée par une société consciente de ses intérêts fondamentaux, l’ESS participe à la démocratisation de l’économie. Elle renouvelle au quotidien des voies solidaires vers la coopération pour le « bien vivre ensemble », un commun qui est le fruit de transactions sociales.

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Notes

[1] Extrait du rapport Brundtland Our Common Future de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des nations unies : « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (CMED, 1988).

[2] L’extractivisme prélève dans les pays pauvres des ressources naturelles non renouvelables, pour les exporter.

[3] Le paradigme est « un principe organisateur et inducteur de la construction d’hypothèses et d’interprétations théoriques » (Blanc, 2009, p. 25).

[4] La dimension structurale fait référence aux structures culturelles (valeurs, codes, normes) du social. Elle se distingue de la dimension structurelle, qui renvoie d’abord aux effets d’un système économique sur l’organisation sociale (Remy et al., 2020).

[5] En 2015, l’ESS (coopératives, associations, mutuelles, fondations et entreprises d’utilité sociale) représente en France 14 % de l’emploi salarié privé (https://ess-france.org/fr/less-en-chiffres).

[6] « GABON – CIM GABON : Usine fermée, cité abandonnée » (vidéo). Gabonnews info, 19 juin 2020. URL : https://youtu.be/sCzz96RzM_8

[7] Développement durable participatif et solidaire, Rapport sur le village de Talkerdoust par des étudiants du Master ESS (Université de Haute Alsace), encadrés par M. Blanc et J. Stoessel-Ritz, et présenté à la 4e Université internationale « Territoires solidaires sans frontière », Universités de Haute Alsace et d’Agadir, mars 2015.

[8] L’argan est la principale activité génératrice de revenus de 3 millions de ruraux au Maroc.

[9] Entre 2007 et 2012, nos recherches en Kabylie sont menées avec les universités de Tizi-Ouzou, Béjaia et Sétif, dans le cadre d’un programme PHC Tassili (2007) et du programme IRD/CPU (2010) porté par le Réseau euro-africain Développement durable et lien social (2DLIS), dont Josiane Stoessel-Ritz est la coordinatrice française.

[10] https://www.ecomusee.alsace/fr/decouvrir-l-ecomusee/histoire-du-musee

[11] Mise sous pression et sommée de choisir son camp, entre l’associatif et l’entrepreneuriat privé, l’association a cédé l’Écomusée au département du Haut-Rhin. Ce dernier a transféré en 2006 l’exploitation de l’Écomusée à un groupe touristique privé, en rupture avec le projet initial.


Auteurs / Authors

Maurice BLANC est professeur émérite de sociologie à l’université de Strasbourg. Il est membre du Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE – UMR 7363) et de la Chaire ESS de l’Université de Haute Alsace. Ses recherches portent sur la démocratie participative, le développement social urbain et l’économie sociale et solidaire.

Josiane STOESSEL-RITZ est professeure de sociologie, fondatrice et directrice de la chaire Économie sociale et solidaire de l’Université de Haute Alsace. Elle est membre du Laboratoire SAGE et elle a fondé le réseau euro-africain « Développement durable et lien social » (2DLiS), aujourd’hui rattaché à la chaire ESS. Ses recherches portent sur le développement durable et sur l’économie sociale et solidaire.

Maurice BLANC is professor emeritus of sociology at the University of Strasbourg. He is a member of the Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE – UMR 7363) and of the SSE Chair at the University of Haute Alsace. His research focuses on participatory democracy, urban social development and the social and solidary economy.

Josiane STOESSEL-RITZ is professor of sociology, founder and director of the Social and Solidary Economy Chair at the University of Haute Alsace. She is a member of Laboratoire SAGE and she founded the Euro-African network « Développement durable et lien social » (2DLiS), now attached to the SSE Chair. Her research focuses on sustainable development and social and solidary economy.


Résumé

Le développement durable (DD) a pour objectif de concilier l’économique, l’environnemental et le social, ce qui est source de multiples oppositions et tensions. L’économie sociale et solidaire (ESS) ne vise pas le profit, mais à répondre aux besoins sociaux non satisfaits par le marché. Leur rencontre ne va pas de soi car le néolibéralisme prétend lui aussi réunir l’économie, l’environnement et le social, mais en passant par le marché. L’ESS doit s’ouvrir au DD et s’orienter vers une gestion patrimoniale de la nature comme un bien commun. En Afrique et dans les pays dits du Sud, il s’agit d’un retour à des traditions ancestrales, mais sous une forme renouvelée.

Mots clés

Bien commun – Développement durable – Économie sociale et solidaire – Environnement – Gestion patrimoniale – Innovation – Solidarité

Abstract

Sustainable development (SD) aims to reconcile economic, environmental and social issues, which is a source of many oppositions and tensions. The social and solidary economy (SSE) does not aim to make a profit, but to respond to social needs not met by the market. Their meeting is not self-evident because neoliberalism also claims to unite the economy, the environment and the social, but through the market. The SSE must open up to SD and move towards a patrimonial management of nature as a common good. In Africa and in the so-called southern countries, it is a return to ancestral traditions, but in a renewed form.

Key words

Common good – Environment – Innovation – Patrimonial management – Social and Solidary Economy – Solidarity – Sustainable development

L’Institut universitaire du Sud : un engagement en faveur du développement durable

YAO GNABÉLI Roch
Sociologue, Université Félix Houphouët-Boigny & Institut universitaire du Sud (Côte d’Ivoire)


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Éditorial


Pour citer cet article

YAO GNABÉLI Roch : « L’Institut universitaire du Sud : un engagement en faveur du développement durable », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/464/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

L’Institut universitaire du Sud, un engagement en faveur
du développement durable

par Roch YAO GNABÉLI

Version PDF

L’institut universitaire du Sud (Univ-Sud) se définit comme un projet d’innovation à fois au plan institutionnel, scientifique, pédagogique et social. Ainsi, l’Univ-Sud est un centre de recherche, de formation et de renforcement des capacités sur le développement durable, les innovations, le management, l’entrepreneuriat durable, les rapports à l’environnement, la gouvernance des projets de développement local et la conduite des transformations sociales. L’institut travaille également à la promotion d’une synergie des acteurs du développement à l’échelle locale, notamment dans les collectivités locales. Alimenté par des résultats de recherche, ce projet de synergie des acteurs est une manière concrète et opérationnelle de favoriser l’appropriation et l’opérationnalisation des recommandations issues de la recherche scientifique.

Le projet institutionnel

L’innovation institutionnelle au sein de l’Univ-Sud (en tant qu’institution privée de type universitaire) consiste à associer à la fois la formation de type académique, la recherche scientifique pluridisciplinaire, les publications scientifiques, le renforcement des capacités des acteurs de développement et un cadre de complémentarité et de collaboration impliquant les chercheurs, les décideurs et les acteurs de développement local. C’est sur cette base que l’Univ-Sud comporte : i) un dispositif de formation diplômante privilégiant la professionnalisation et l’acquisition de compétences en lien avec les défis d’un  développement durable, la capacité d’innovation et de créativité des étudiants ; ii) le Center for innovation and capacity building (CICAB) en tant qu’outil de conception et de mise en œuvre des programmes de renforcement des capacités des acteurs de développement ; iii) le centre de recherche sur le développement durable et les innovations (CREID) ; iv) la revue Actes de la recherche sur le développement durable (ARDD) en tant support de diffusion des travaux de recherche et des expériences novatrices au regard des défis liés au développement durable ; v) le projet « synergie des acteurs locaux du développement » en tant qu’espace social de co-construction d’un développement durable par des acteurs inscrits dans un même territoire ou partageant une même ressource.

Le projet scientifique

Il s’agit ici d’une ambition prenant appui à la fois sur le développement de la recherche, la diffusion des produits de la recherche et la collaboration entre chercheurs du « Sud » et ceux du « Nord ». Cette collaboration est visible dans la conduite du dispositif pédagogique, dans la gestion de la revue ARDD et dans la composition du conseil scientifique de l’institut. Au plan scientifique, les analyses proposées par l’Univ-Sud, pour chaque situation étudiée, repose sur le point de vue de la totalité, le point de vue de l’interdépendance des facteurs et des dimensions de la situation. Ce positionnement se fonde sur le fait que dans le contexte ivoirien, rares sont les institutions de recherche dédiées principalement à la réflexion scientifique pluridisciplinaire et systémique sur les conditions sociales, environnementales, économiques, culturelles, du développement durable. En outre, les défis actuels du développement durable demandent une interface solide entre recherche scientifique et politique ou projet de développement. Sur cette base, l’institut a mis en place le centre de recherche sur le développement durable et les innovations (CREID) ainsi que deux pôles de recherche, à savoir le pôle « société et développement durable » et le pôle « environnement et développement durable ».

Le projet pédagogique

Le dispositif pédagogique de l’Univ-Sud va développer à la fois des formations qualifiantes (programmes de renforcement des capacités des acteurs locaux et des travailleurs, développement de la créativité et de l’innovation) et des formations diplômantes (licences et masters) dans les domaines incluant le management pour un développement durable, l’entrepreneuriat durable, la sociologie du développement local, la sociologie de l’environnement, l’économie, les innovations. La formation à l’Univ-Sud va reposer sur des valeurs, sur des vertus et être capable d’induire un engagement des diplômés en faveur d’un développement durable des sociétés locales dans un contexte de globalisation. Le dispositif de formation s’appuie sur quatre piliers interdépendants : i) une approche pluridisciplinaire, mobilisant différents champs de connaissances (sciences sociales et humaines, sciences économiques, sciences du management, sciences juridiques, sciences de l’environnement, sciences de la communication, disciplines de la planification, de l’évaluation et de la prospective) ; ii) une formation orientée vers la professionnalisation des étudiants ; iii) une formation théorique améliorée grâce à une capitalisation des résultats de la recherche réalisée au sein de l’Univ-Sud ; iv) une place prépondérante pour les stages pratiques, l’immersion et l’expérimentation professionnelles ; v) une priorité accordée à l’innovation, à la créativité, au développement des capacités entrepreneuriales des apprenants et aux start up initiées par les étudiants en fin de formation.

Par ailleurs, l’Univ-Sud considère que la création de conditions adéquates pour un développement durable des sociétés contemporaines passe par le renforcement des compétences et des capacités des acteurs, impliqués ou désireux de prendre part à des processus de transformation de certains aspects de ces sociétés. Or, l’institut considère que les règles générales d’accès à la formation (systèmes éducatifs, enseignements techniques et professionnels, universités), indexées aux niveaux de scolarisation et aux diplômes, limitent fortement la diffusion des connaissances vers la grande majorité des acteurs, en milieu rural et en milieu urbain, et quels que soient les secteurs d’activité. En outre, les jeunes diplômés en sciences sociales, qui ne peuvent tous devenir enseignants ou chercheurs de métier, sont confrontés à la traduction directe de leurs compétences scientifiques en aptitudes techniques et professionnelles. Au regard de ces constats, l’Univ-Sud a décidé de construire un pont solide entre les connaissances théoriques, les résultats de la recherche scientifique et les acteurs qui agissent, décident au quotidien, transforment les sociétés, leurs ressources et leur environnement. La création du Center For Innovation and Capacity Building (CICAB) répond au souci de permettre à un plus grand nombre d’acteurs d’acquérir les savoir-faire, les ouvertures d’esprit, de s’imprégner des expériences positives et de découvrir la possibilité d’innover.  Plusieurs programmes de renforcement des capacités sont ainsi conçus pour répondre à ce besoin. Les formations sont de courte durée, largement accessibles et organisées sous forme d’ateliers interactifs et dynamiques.

Le projet social

Un des angles originaux sous lequel l’Univ-Sud veut apparaitre, est d’une part, de pouvoir susciter directement des interactions, des collaborations ou des complémentarités chez les acteurs du développement local ; et d’autre part, de créer un cadre d’échange d’expériences impliquant les chercheurs, les décideurs et acteurs de développement local. Le projet « synergie des acteurs locaux du développement » est un espace social de co-construction d’un développement durable par les acteurs. Sa phase pilote va être mise en place à partir des résultats de l’étude en cours à l’Univ-Sud, portant sur « les conditions d’utilisation des berges et ressources de la lagune ébrié dans la perspective d’un développement durable, dans les communes de Yopougon, Songon, Jacqueville, Dabou (Côte d’Ivoire) ».

L’idée de structurer (à travers l’Univ-Sud) un cadre novateur de réflexion, de formation et d’appui au développement durable repose également sur le fait que la conduite des processus de changement social et de transformation plus globale d’une société dans la perspective d’un développement durable repose sur une réponse toujours singulière, spécifique, contextualisée. Ainsi, l’originalité de l’Institut universitaire du Sud est de nourrir le lien entre les standards internationaux de développement durable et les réponses locales, par la recherche sur les contextes locaux et la formation des acteurs locaux de développement. Ce qui devrait faciliter l’opération­nalisation de solutions innovantes, pour un développement durable tenant compte des standards internationaux et des besoins spécifiques aux sociétés locales.

La revue Actes de la recherche sur le développement durable (ARDD) participe pleinement de cette ambition. Au nom de l’Univ-Sud, je félicite les responsables et l’équipe rédactionnelle de la revue, je les encourage à maintenir le cap afin d’en faire rapidement une revue de référence sur le thème du développement durable. Enfin, je dis merci à tous les auteurs et contributeurs de ce premier numéro.


Auteur / Author

Roch YAO GNABÉLI est professeur de sociologie à l’Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan, Côte d’Ivoire). Docteur de l’université de Cocody et de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, il est l’auteur de Les mutuelles de développement en Côte d’Ivoire. Idéologie de l’origine et modernisation villageoise (L’Harmattan-Paris, 2014), Retour sur l’objet de la sociologie. Du problème scientifique au projet pédagogique (L’HarmattanDakar, 2018) et a co-dirigé État, religions et genre en Afrique occidentale et centrale (Ed. Langaa, Cameroun, 2019). Ses travaux actuels portent sur les mécanismes sociologiques de transformation des structures sociales. Il est membre de l’Institut universitaire du Sud (Jacqueville, Côte d’Ivoire).

Roch YAO GBABÉLI is professor of sociology at the University Felix Houphouët-Boigny (Abidjan, Ivory Coast). He holds a doctorate of both the University of Cocody and the École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) in Paris. He is the author of Les mutuelles de développement en Côte d’Ivoire. Ideologie de l’origine et modernisation villageoise (L’Harmattan-Paris, 2014), Retour sur l’objet de la sociologie. Du problème scientifique au projet pédagogique (L’Harmattan-Dakar, 2018) and has co-edited State, religions and gender in West and Central Africa (Langaa, Cameroon, 2019). His current work focuses on the sociological mechanisms of transformation of social structures. He is a member of the Institut universitaire du Sud (Jacqueville, Côte d’Ivoire).

ARDD-1-2021 Développement durable : recherches en actes

Actes de la recherche sur le développement durable

n°1-2021
Développement durable : recherches en actes

Qu’entend-on aujourd’hui par développement durable ? Quels en sont les domaines d’application ? De quelle manière la production de connaissances scientifiques est-elle impliquée dans sa mise en œuvre ?
Ce premier numéro d’Actes de la recherche sur le développement durable offre un aperçu du large éventail d’études et de réflexions scientifiques actuelles sur les questions liées au développement durable. Il met en évidence la diversité des approches et des manières d’envisager cette notion du point de vue théorique et critique comme du point de vue de l’analyse des politiques publiques, des pratiques sociales et des formes de mobilisation. En posant la question de recherches en actes, ce numéro interroge le caractère plurivoque des productions scientifiques, ainsi que leur rôle vis-à-vis des enjeux économiques, sociaux, politiques, idéologiques, environnementaux du développement durable. Critique théorique, expertise, recherche-action, fourniture de produits scientifiques « utiles », science participative, innovation et expérimentation de pratiques alternatives : la variété des postures scientifiques représentées dans ce numéro éclaire la nature plurielle et polémique des formes d’appropriation sociale et politique de la notion de développement durable, de sa traduction dans les pratiques et de ses répercussions sur les rapports sociaux.

ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/449/
DOI : (à compléter)

Revue scientifique pluridisciplinaire éditée par l’Institut universitaire du Sud (Univ-Sud), Jacqueville, Côte d’Ivoire.

Ce numéro est publié avec le soutien du Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA – UMR 245 IRD, Inalco, Université de Paris) et de la Faculté Sociétés & Humanités de l’Université de Paris (France).

Illustration de couverture : œuvre d’art environnemental, à l’entrée du Jardín Mágico, Guadalest, Espagne.

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Sommaire


Éditorial

YAO GNABÉLI Roch
L’Institut universitaire du Sud : un engagement en faveur du développement durable

DOSSIER. Développement durable : recherches en actes

BAZIN Laurent
Des recherches en actes sur le développement durable ? Les sciences face à une multitude d’enjeux enchevêtrés

Durabilité et globalisation : approches théoriques et critiques

DUTERME Bernard
Les cinq dilemmes Nord-Sud de la crise écologique

BLANC Maurice & STOESSEL-RITZ Josiane
L’économie sociale et solidaire comme pilier du développement durable : une perspective transactionnelle

BAGAYOKO Siriki
Développement durable : origines et évolutions d’une notion clé dans les instances internationales

SLIM Assen
Croissance verte et décroissance : deux visions extrêmes de la durabilité

HERNÁNDEZ Valeria & FOSSA RIGLOS María Florencia
La question climatique et le tournant social de la science de la complexité : repenser l’interdisciplinaire et l’intersectoriel à partir d’une anthropologie critique

GAUZIN-MÜLLER Dominique
Vers une architecture frugale et créative. Le retour des matériaux vernaculaires

Analyses : politiques, pratiques, mobilisations

PHÉLINAS Pascale
Les enjeux de la régulation environnementale : efficacité et acceptabilité. Application au soja transgénique en Argentine

BENBEKHTI Omar
Le développement durable crée-t-il du lien social : un cas d’application depuis l’Algérie

MÉITÉ Youssouf & YAO GNABÉLI Roch
Les ressources écologiques terrestres dans la commune de Jacqueville (Côte d’Ivoire) : entre politiques, normes et pratiques foncières

HILLENKAMP Isabelle
Mobilisations pour l’égalité et protection de l’environnement : une relation sous tension. L’expérience du Réseau Agroécologique de Femmes Agricultrices RAMA ( Brésil).

TAGRO NASSA Marcelle-Josée, MIAN Anick Michelle Etchonwa & N’GORAN Konan Guillaume
Abidjan et Grand-Bassam à l’épreuve de la résilience aux inondations (Côte d’Ivoire)

Portraits, biographies, œuvres

SLIM Assen
Portrait d’un précurseur de la décroissance : Nicholas Georgescu-Roegen et la bioéconomie

SIALLOU Kouassi Hermann
Hans Jonas : un penseur du développement durable

Institutions, organisations, réseaux

RIEU Antoine
Transition dans l’enseignement supérieur, enseignement supérieur en transition : l’expérience du Campus de la transition

VANDERMEEREN Odile, GAUZIN-MÜLLER Dominique, BELINGA NKO’O Christian & SACKO Oussouby
Actions et initiatives du FACT : le réseau des experts de la construction en terre au Sahel


Notes de lectures et recensions

BLANC Maurice
L’école aux colonies. Entre mission civilisatrice et racialisation (1816-1940), par Carole Reynaud-Paligot, éd. Champ Vallon, 2020

BLANC Maurice
Conflits, coutume et deuil en Afrique subsaharienne. Négociations, transactions sociales et compromis parmi les Bamiléké de l’Ouest Cameroun, par Véronique Matemnago Tonlé, L’Harmattan, 2018