Hans Jonas : un penseur du développement durable

SIALLOU Kouassi Hermann
Philosophe, Université Alassane Ouattara (UAO), Bouaké, Côte d’Ivoire


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Portraits, biographies, œuvres


Pour citer cet article

SIALLOU Kouassi Hermann : « Hans Jonas : un penseur du développement durable », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/577/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

Hans Jonas : un penseur du développement durable

par Kouassi Hermann SIALLOU

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Hans Jonas (1903-1993) est un philosophe allemand du XXe siècle né dans une famille juive en Allemagne, à Mönchengladbach. Sa philosophie est certes audacieuse et libre, mais trouve son enracinement métaphysique dans l’influence déterminante de trois grands maîtres : Edmund Husserl, Martin Heidegger et Rudolf Bultmann. Il fut précisément influencé par la phénoménologie husserlienne et par la théologie de Bultmann à partir de la philosophie des religions et séduit par l’ingéniosité des idées de Heidegger. Ses études universitaires sont couronnées par l’obtention d’un doctorat sur la gnose qu’il soutient sous la direction de Heidegger. Il poursuit plus tard ses travaux en orientant sa réflexion, en tenant compte de la réalité du moment et des expériences vécues, sur la vie et le vivant saisis du point de vue d’une éthique de la technique, appliquée aux avancées des biotechnologies, mais aussi aux enjeux écologiques. Ainsi, Jonas bâtit une réputation philosophique exceptionnelle en Europe en reliant la phénoménologie et l’existentialisme de la première moitié du XXe siècle avec une sensibilité environnementale toute nouvelle. Pour ses œuvres, il a été abondamment récompensé en Allemagne. Aujourd’hui, plusieurs instituts de recherche allemands portent son nom. Ses idées sont même connues au-delà des enceintes universitaires (Whiteside, 2020). En Allemagne, Jonas est devenu une figure publique, si bien qu’à Mönchengladbach, sa ville natale, il est mémorialisé par une statue. Son nom est devenu un terme régulièrement employé dans les discussions allemandes sur l’environnement.

Jonas est donc considéré comme un bioéthicien, un écophilosophe, une figure emblématique dont la pensée éthique a suscité la conscience écologique et la nécessité de donner une nouvelle orientation à la dynamique du développement. L’originalité de sa pensée écologique fait de lui une référence mondiale dans le domaine de l’éthique environnementale et du développement durable. Éric Pommier (2013), à juste titre, fait de lui « le premier, et le seul philosophe d’envergure, à avoir mis au cœur de sa réflexion le souci de la nature et de la vie » orientée vers l’avenir, qui aiguise le sens de la responsabilité et de la prise en compte de l’avenir de l’humanité. Jonas, en effet, pense que le mode de production et de consommation des sociétés calqué sur le modèle occidental menace l’équilibre global de la nature et la pérennité de la vie sur terre. Pour lui, un tel mode de vie s’accompagne de risques multiples et rend incertain l’avenir de l’humanité.

Qu’est-ce qui fonde l’intérêt de Jonas pour la protection de la nature ? En quoi sa réflexion éthique dans le champ de l’écologie politique prend-elle en compte les enjeux et les exigences du développement durable ? Comment peut-on mettre en œuvre, de façon pratique, le concept de développement durable pour garantir l’avenir de l’humanité ? L’argument qui justifie le souci de Jonas pour la préservation de la nature est que la destruction de cette réalité peut entrainer l’anéantissement de la vie humaine et provoquer la fin de l’humanité. Or, le mode de vie des sociétés modernes, marqué principalement par la dynamique technoscientifique et l’économisme triomphant, semble évoluer en marge du principe de continuité de la vie sur terre qui innerve l’ensemble de sa pensée.

L’objet de cette contribution est de présenter les enjeux et les implications du développement durable à la lumière de l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas. Notre approche consiste, pour ce faire, à dévoiler les raisons de la demande d’un développement durable en nous appuyant sur la pensée écologique de l’auteur. Cette contribution s’attache également à présenter l’éthique du futur de Hans Jonas comme une compréhension du développement durable. À travers une démarche axée sur la biographie et la présentation de la pensée écologique de l’auteur, nous articulons notre réflexion autour de trois axes. Le premier tente de mettre en évidence les déterminants écologiques et politiques d’un développement durable à la lumière des considérations jonassiennes sur les fondements et les finalités de la société moderne. Le deuxième cherche à établir le rapport de conformité entre les principes de l’éthique de la responsabilité de Hans Jonas et le concept de développement durable tel que présenté par le rapport Brundtland. Le troisième axe montre la dimension pragmatique ou pratique dans la réalisation du développement durable.

La crise du modèle de développement occidental et l’intérêt jonassien pour la préservation de la nature

Dans son projet de société, Francis Bacon (1561-1626) fait la promotion du savoir comme moyen pratique de maîtrise intégrale de la nature afin d’améliorer la situation de l’homme sur terre. Pour lui, il faut rendre la science active au lieu de la maintenir, à la manière des anciens, dans une simple contemplation des phénomènes naturels. Hans Jonas s’appuie sur cette conception baconienne de la science moderne pour décrire la différence radicale entre le rôle de la connaissance dans l’esprit antique et celui qu’elle a dans l’esprit moderne. Il fait remarquer que dans la vision baconienne, l’objectif de la connaissance est « d’acquérir la maîtrise de la nature. Le royaume de l’homme est celui d’une nature qu’il domine grâce à laquelle la misère de notre dépendance vis-à-vis de ses maigres trésors cède la place à l’abondance que nous pouvons lui arracher » (Jonas, 2005). L’objet de cette domination de la nature par le savoir est l’amélioration du sort humain. Partageant les mêmes convictions, René Descartes (1596-1650) ajoute plus tard que la science et la technique, en tant qu’instruments opératoires, peuvent rendre les hommes « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes, 2000). Avec la maîtrise de l’homme sur les processus naturels, l’avenir devient prévisible et l’existence plus aisée à travers l’exploitation sans limite des ressources naturelles. Ainsi, l’on assigne une finalité libératrice à la science et la technique en tant qu’outils incontournables de développement des sociétés.

L’universalisation de cette pensée occidentale conduit à la croyance en un meilleur avenir qui repose uniquement sur la croissance économique fortement consommatrice des ressources naturelles. Dès la fin du XIXe siècle et pendant la majeure partie du XXe siècle, sous l’impulsion du progrès technique, scientifique et industriel, le monde va connaître un développement prodigieux fondé sur le seul critère économique. La recherche effrénée du profit, le culte de l’argent et la croissance économique sont, dès lors, érigés en principes de développement. Il nait une conception du monde qui repose essentiellement sur le fait que le développement économique, comme accroissement de la production matérielle, est la panacée aux maux de l’humanité. De là, s’accélère la diffusion du mode de vie occidental qui aboutit à la mondialisation de l’économie qui se révèle à double face. Elle a permis, d’une part, par le développement industriel des pays, d’améliorer les conditions de vie des populations, et de faciliter leur accès à l’éducation, à la santé, et à des biens dont elles étaient privées, et de réduire la pauvreté pour de nombreuses personnes. D’autre part, cette mondialisation de l’économie n’étant pas équitable, a créé plus d’inégalités en accordant la priorité à une concurrence sans cadre d’intérêt général, à la recherche d’un profit toujours plus grand. Bien plus, elle a favorisé le pillage des ressources, « déstabilisé des États et des systèmes de production, fragilisé des systèmes de protection sociale existants et provoqué des crises de tous ordres mêlant de manière indissociable aspects écologiques, sociaux, culturels, économiques et politiques » (Cancussu Tomaz Garcia et al., 2012 ).

Finalement, le développement qui était censé libérer l’espèce humaine de sa condition précaire et de la pauvreté en lui apportant bien-être, richesse et confort, a engendré un monde dominé par l’idéologie marchande et dépouillé de valeurs dans lequel le mode de vie des hommes ne garantit pas l’avenir de tous. Au contraire, il entraine l’exploitation outrancière des ressources naturelles et produit des effets nocifs pour la biosphère. D’ailleurs, c’est pour cette raison que Jonas voit dans la volonté de domination de la nature et son humanisation une forme d’appropriation illégitime de cette dernière ou encore une stratégie qui aboutit à un « pillage toujours effronté de la planète » (Jonas, 1990). Les ressources naturelles n’étant pas inépuisables, la soumission de la nature, destinée au bonheur humain, conduit l’humanité « plus près de l’issue fatale » (Jonas, 1990). L’être humain, par son ambition et par sa possibilité illimitée de satisfaire ses désirs, met en cause les conditions de sa propre survie. Les problèmes que connait l’humanité aujourd’hui, d’après Jonas, proviennent en majorité des avatars de notre conception matérialiste du monde où la nature a seulement une valeur marchande.

Visiblement, la modernité supposée apporter un réel espoir à l’humanité a développé une conception instrumentaliste de la nature et engendré une société productiviste et consumériste qui dégrade les données naturelles de base, indispensables à notre survie. « En détruisant ainsi le monde naturel, nous rendons la planète de moins en moins vivable » (Goldsmith, 2002). Il est évident que demeurer dans une telle forme de développement serait conduire le monde vers un écocide. Il devient, dès lors, nécessaire de trouver des stratégies de reliance entre le développement technico-économique et les besoins réels des populations. Pour Jonas, cette situation d’urgence appelle à repenser les impacts globaux du mode de vie et de développement occidental. À cet effet, dans Le Principe responsabilité, ouvrage qui propulse l’auteur sur la scène internationale et dans lequel il exprime son inquiétude pour l’avenir, Jonas indique que la réflexion éthique ne doit plus concerner uniquement les rapports interhumains. Elle doit aussi interroger la manière dont nous pouvons vivre avec la nature ou comment celle-ci peut subsister avec nous.

L’intérêt que le philosophe accorde à la nature tient au fait que celle-ci est indispensable à notre survie. Chez Jonas (1990), c’est « la nature en général qui porte la vie ». En tant que biosphère, elle est le lieu où se déroule la vie, le socle de l’existence, le seul réservoir de ressources vitales dont dispose l’humanité pour sa survie. Sa préservation est donc indispensable à la perpétuation de la vie sur terre. De ce point de vue, il y a lieu de dire que le destin de l’homme dépend de l’état de la nature. Il revient à l’homme, en tant qu’être raisonnable, de prendre des dispositions nécessaires en vue de protéger la nature et garantir l’avenir de l’humanité. C’est dans cette logique que Jonas place au centre de son discours du Prix de la paix « la responsabilité que détient l’homme en tant que maître de la terre » (Jonas, 2005). Dans ce discours, Jonas présente non seulement les crises auxquelles pourrait conduire la mauvaise gestion de la nature, mais développe également l’idée selon laquelle nous les humains, qui agissons avec connaissance et liberté, sommes responsables de l’avenir. Cela sous-entend que la qualité et les conditions de vie futures de l’humanité dépendent de nous et que, désormais, nous avons intérêt à évaluer les conséquences à long terme de nos décisions et notre manière d’habiter la terre.

L’éthique du futur comme appel à un développement durable

L’idée de développement durable est venue du constat de la finitude des ressources naturelles et de l’impact hautement perturbateur des activités humaines sur la biosphère. Dans le rapport Brundtland Notre futur commun, le développement durable est défini comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (CMED, 1988)[1]. Deux concepts sont inhérents à cette notion. Il y a, d’une part, le concept de besoins et plus particulièrement les besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité. D’autre part, il y a l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent à la capacité de l’environnement à satisfaire les besoins actuels et à venir. La sauvegarde du futur évoquée dans cette définition traduit la vision intergénérationnelle du développement en termes d’équité et implique d’évaluer dès à présent les impacts à long terme de nos décisions et actions dans notre manière de vivre et de construire le monde. Le développement durable revendique, de ce point de vue, un modèle de développement plus responsable qui, en plus de créer les conditions favorables pour une vie plus prospère, porte le souci de la continuité de la vie sur terre et de la garantie d’une meilleure condition de vie future. Toutes ces notions qui constituent le ciment du développement durable se retrouvent implicitement chez Jonas notamment à travers l’éthique de la responsabilité qui nous dresse des obligations envers la vie, la nature et les générations futures.

Le concept de développement durable implique également des limites. Comme le précise le rapport Brundtland, « il ne s’agit pourtant pas de limites absolues mais de celles qu’imposent l’état actuel de nos techniques et de l’organisation sociale ainsi que de la capacité de la biosphère de supporter les effets de l’activité humaine » (CMED, 1988). Chez Jonas, cette limitation suppose une minimisation de l’impact de l’agir humain sur la biosphère car il considère que nous avons une obligation à l’égard de l’avenir. L’obligation de préserver l’humanité de toute disparition constitue un impératif catégorique qui structure la pensée du philosophe. Dans Le Principe responsabilité, l’un des ouvrages importants de la réflexion contemporaine sur l’écologie, Hans Jonas pose les bases d’un développement durable. Il interroge notre responsabilité morale à l’égard de toutes les formes de vivant et nous invite à la plus grande prudence à l’égard du progrès. L’auteur y propose une nouvelle éthique à la dimension des défis de notre époque. Cette éthique est une éthique prospectiviste, c’est-à-dire tournée vers l’avenir. Comme Jonas le dit lui-même, cette éthique est « une éthique d’aujourd’hui qui se soucie de l’avenir et entend le protéger pour nos descendants des conséquences de notre action présente » (Jonas, 1998). La pensée de Hans Jonas s’insère dans une perspective humaniste et futuriste qui met en évidence notre responsabilité à l’égard des générations présentes et futures.

La question du futur, chez Jonas, concerne en premier lieu et surtout la nécessité de l’existence des générations futures. Jonas craint la disparition de l’espèce humaine et des ressources naturelles au regard du productivisme et du consumérisme des sociétés industrielles et technologiques de plus en plus endoctrinées par l’idéologie capitaliste. Tant par ses écrits, ses enseignements que par sa vie, Jonas se soucie de la continuité de la vie sur terre. Il postule que « nous n’avons pas le droit d’hypothéquer l’existence des générations futures à cause de notre simple laisser-aller » (Jonas, 2000). C’est pourquoi il faut nécessairement imposer des contraintes à notre liberté au risque de condamner l’humanité à la destruction. L’éthique de Jonas, en nous montrant notre obligation et notre responsabilité, a pour but de nous enseigner comment nous comporter vis-à-vis du monde. C’est ce qu’il recommande à travers son impératif catégorique suivant : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » (Jonas, 1990). Il est clair que l’idée d’un développement durable chez Hans Jonas s’enracine ontologiquement dans son éthique du futur. La préservation de l’humanité suppose de protéger la nature et de limiter le pouvoir d’action des hommes sur la biosphère. En d’autres termes, « dans les décisions actuelles, il faut veiller à ce que les coûts induits par les activités d’une génération ne viennent pas compromettre les chances des générations futures, sachant qu’il est parfois très difficile de rétablir certaines caractéristiques importantes des systèmes écologique et social une fois qu’elles ont été endommagées » (OCDE, 2001).

De façon pratique, la mise en œuvre de l’éthique de Jonas consiste à repenser les impacts globaux du mode de vie et de développement occidental en vue de construire une société soutenable tant du point de vue environnemental, économique que social. Jonas fait de l’avenir un concept décisif dans sa pensée. Il appelle à inclure les conséquences à long terme qui découlent de nos choix actuels afin de ne pas compromettre les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre. La dimension écologique de l’éthique de Hans Jonas qui s’oriente vers le futur est essentiellement mue par une nouvelle vision de notre rapport à la nature. Jonas ressent la nécessité de guider et de contrôler le développement des nouvelles possibilités d’intervention sur l’environnement et l’être humain. C’est la mise en œuvre de cette responsabilité qui se trouve au cœur de l’idée de durabilité dans le développement.

La durabilité dans le développement : plus qu’une éthique, un principe comportemental

De ses réflexions générales d’ordre ontologique, Jonas passe à une éthique concrète et pratique, pouvant réguler l’agir de l’homme. Désormais, pour lui, la philosophie doit s’aventurer sur des questions importantes d’un point de vue pratique. Elle doit intervenir dans la vie et fournir des lignes de conduite directrices pour montrer comment nous devons vivre, ce que nous devons faire ou ne pas faire afin de garantir une vie de qualité et permanente sur terre. Jonas s’engage, en d’autres termes, dans des problèmes plus pratiques, vastes et urgents qui concernent l’ensemble de l’humanité. Dans cette perspective, il oriente désormais sa réflexion en vue d’« une contribution aux choses du monde et aux affaires humaines » (Jonas, 2005). Cette nouvelle orientation qu’il assigne à la philosophie et son affirmation pour une responsabilité globale de l’homme lui valut le Prix de la paix des libraires allemands en 1987, année où nait officiellement le concept de développement durable. Dorénavant, la question du comportement que l’homme doit adopter vis-à-vis de la nature en vue de garantir une meilleure condition de vie future, qui resta étrangère à la philosophie classique, fait l’objet de la réflexion éthique du philosophe. C’est à ce titre que Traoré et Siallou (2019) n’hésitent pas à conclure que « toute la philosophie de Jonas est donc la détermination d’un cadre qui rend possible l’action éthique et morale en faveur de la nature et des générations futures. Pour lui, le sentiment de responsabilité qui est motivé par la présence d’un objet qui repose sur une valeur immanente doit impulser les individus à l’action ». Cette réflexion s’inscrit dans la recherche d’un monde viable et prospère dans lequel le bien-être économique et social des individus est garanti sur la base d’une équité intra et intergénérationnelle.

L’impératif jonassien invite à évaluer nos actions d’aujourd’hui afin que leurs conséquences futures ne soient pas destructrices pour l’homme et la nature. Jonas propose, à cet effet, une heuristique fondée sur la peur pour rendre plus opératoire son éthique : « La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n’est pas celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir » (Jonas, 1990). Cette démarche qui consiste à envisager le pire pousse, selon Jonas, à l’action et permet de limiter les dégradations majeures de la nature. Les générations présentes ont le devoir d’anticiper les menaces qui découlent de leur toute puissance afin de ne pas compromettre la vie des générations futures. Au-delà de son aspect théorique, l’impératif catégorique de Hans Jonas est pratique dans la mesure où il invite à un changement radical qui consiste à récuser tout programme de développement qui n’accorde pas de sens et de valeur véritable à l’existence de l’humanité dans le futur. Le postulat de la nécessité de l’existence des générations futures détermine donc l’action responsable chez Jonas. Hermann Siallou (2017) considère que la transition à laquelle l’on aspire ne peut s’opérer sans une éducation qui intègre les valeurs environnementales, de durabilité et d’humanité. C’est pourquoi il recommande, « au-delà de toutes les mesures de protection de l’environnement, la culture à l’écocitoyenneté comme une nécessité fondamentale ». En d’autres termes, la perspective envisageable est donc celle qui consiste à « aiguiser le sens de la responsabilité individuelle et collective pour parvenir à une véritable conscience écologique » (Traoré & Siallou, 2019). La responsabilité éthique doit être conçue et envisagée, de ce fait, comme un principe de vie pour déterminer les pratiques écocitoyennes susceptibles de favoriser la promotion d’un développement durable. Elle concerne tout individu, les industriels, les scientifiques, les politiques. Chacun, à son échelle, doit faire sa part.

Le développement durable « fait désormais partie des perspectives sous lesquelles les sociétés contemporaines se représentent, au moins en partie, leur avenir commun » (Burbage, 2013). Tous les États en font un référentiel incontournable dans leur politique de gestion socioéconomique. Considéré comme absolument nécessaire, il s’impose aujourd’hui comme une finalité. En termes de balise, le type de développement visé est de se préoccuper des besoins fondamentaux, d’éviter de dépasser la capacité de support des systèmes naturels, de répartir équitablement les bénéfices du progrès scientifique, technique et social, d’agir avec précaution et de penser à long terme. De ce point de vue, la réalisation d’un développement durable ne s’opère pas seulement à partir d’une éthique qui prescrit uniquement des lignes de conduite à suivre. C’est un projet humain à la recherche d’un monde meilleur et prospère pour tous, qui prend en compte toutes les générations.

Au-delà de toutes les solutions envisagées, le développement durable est un processus qui exige des engagements, des sacrifices et des changements profonds dans notre société sur les plans individuel, collectif, scientifique et institutionnel. Pour atteindre des résultats probants en matière de développement durable, il faut une planification stratégique pratique. Le développement durable constitue « une démarche progressive visant à réduire, et ce indéfiniment, tout ferment de destruction » (Bourg, 2002). Il n’est donc pas un ensemble de normes à atteindre absolument. Il s’agit de repenser nos modes de production et de consommation en élaborant des pratiques optimales capables d’établir l’équilibre entre le progrès économique, le progrès social et la préservation de l’environnement. Cela implique nécessairement l’optimisation de l’utilisation des ressources naturelles, la sobriété et le partage dans l’usage des ressources et le respect des limites de la planète et des écosystèmes.

Conclusion

Hans Jonas est une référence majeure dans le mouvement écologique mondial et l’un des grands penseurs du développement durable. Étant donné que la dynamique du développement, sous l’impulsion technologique et économique, a dorénavant la capacité de transformer nos conditions d’existence, voire de les détruire, pour Jonas, une éthique capable de limiter la démesure de ce pouvoir prométhéen est nécessaire. Il s’agit concrètement de repenser l’action humaine dans la nature de sorte à ne pas compromettre la qualité et la perpétuation de la vie sur terre. Jonas pense qu’aucun être humain n’a la capacité de prévoir avec certitude l’avenir, ni à court terme ni à long terme. Ce qui veut dire qu’on ne sait vraiment pas à quoi ressemblera notre monde demain. Nous ne disposons d’aucune connaissance, d’aucune technologie, d’aucun pouvoir gigantesque capable de nous situer, avec exactitude, sur les problèmes auxquels le monde fera face demain. Seulement une chose est certaine. Nous pouvons entrevoir comment notre comportement d’aujourd’hui aura des impacts sur la qualité de la vie future. C’est pourquoi il est judicieux d’évaluer les choix liés au destin de l’humanité et d’orienter notre modèle de développement de sorte à ne pas hypothéquer les conditions de vie future. Les principes de respect des générations futures, de responsabilité à l’égard de l’environnement et de l’humanité, de précautions qu’il nous faut prendre en vue d’éviter des catastrophes qui affecteraient aussi bien l’homme que la possibilité de la vie en général et l’ensemble des théories qui structurent la philosophie de Jonas, surtout dans le champ de l’écologie, dévoilent sa contribution active à l’émergence du concept de développement durable.

Bibliographie

Bourg Dominique (2002). Quel avenir pour le développement durable ? Paris, Le Pommier.

Burbage Franck (2013). Philosophie du développement durable. Enjeux critiques. Paris, PUF.

Cangussu Tomaz Garcia M., Diaz E., Tuuhia V., Verbrugge G., Radanne P. (2012). Note de Décryptage des enjeux de la Conférence Rio+20. Mettre au monde une économie verte équitable et une gouvernance démocratique de la planète dans un cadre de développement durable. Paris, Insitut de l’énergie et de l’environnement de la Francophone (IEPF). URL : www.iepf.org et www.association4d.org

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Jonas Hans (1998). Pour une éthique du futur. Paris, Payot & Rivages.

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Pommier Éric (2013). Jonas. Paris, Les Belles Lettres.

Siallou Kouassi Hermann (2017). « Protection de l’environnement en Afrique : vers une culture de l’écocitoyenneté ». Perspectives philosophiques, 7(14) : 333-349.

Traoré Grégoire & Siallou Kouassi Hermann (2019). « Le sentiment de responsabilité et la protection de la nature en faveur des générations futures chez Hans Jonas ». Perspectives philosophiques, 9(18) : 74-87.

Whiteside Kerry H. (2020). « Retour à Jonas : Le défi éthico-politique des générations futures dans la pensée environnementale », VertigO – La revue électronique en science de l’environnement. Hors-série 32. DOI : doi.org/10.4000/vertigo.26611


Notes

[1] Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement.


Auteur / Author

Docteur en philosophie, Siallou Kouassi Hermann est un chercheur qui s’intéresse à la bioéthique, à l’éthique environnementale et au développement durable. À côté de sa thèse de doctorat qui a analysé l’utilité des biotechnologies dans le processus de mise en œuvre du développement durable à la lumière des pensées de Hans Jonas et Gilles-Éric Séralini, il a mené des réflexions qui ont donné lieu à des communications et publications sur ces thématiques. Il est également titulaire d’une licence en sociologie, et est actuellement inscrit en master de sociologie où ses études s’inscrivent essentiellement dans la sociologie de l’environnement et du développement.

Siallou Kouassi Hermann has a PhD in philosophy and is a researcher interested in bioethics, environmental ethics and sustainable development. In addition to his doctoral thesis, which analysed the usefulness of biotechnologies in the process of implementing sustainable development in the light of the thoughts of Hans Jonas and Gilles-Éric Séralini, he has conducted reflections that have given rise to communications and publications on these themes. He also holds a Bachelor’s degree in sociology, and is currently enrolled in a Master’s degree in sociology where his studies focus mainly in the sociology of the environment and development.


Résumé

Le développement actuel, produit réel de l’universalisation du mode de vie consumériste de la société occidentale repose, selon Hans Jonas, sur une perspective à courte vue dans la mesure où il favorise la destruction des ressources naturelles qui garantissent la survie ou l’avenir de l’humanité. L’éthique de la responsabilité qu’il propose pour pallier cette situation et qui se fonde sur les notions d’avenir, de continuité, de survie, de futurisme, indique qu’il s’engage résolument sur la voie du développement durable. Pour lui, l’obligation que nous avons envers l’humanité exige de rompre avec le modèle de développement occidental fondé uniquement sur le critère économique pour faire naître un nouveau type de développement qui crée les conditions favorables à une existence plus prospère dans une perspective intergénérationnelle. Cette contribution vise à dévoiler toute la quintessence de sa philosophie qui ferait de celui-ci un penseur du développement durable.

Mots clés

Développement durable – Environnement – Éthique du futur – Générations futures – Hans Jonas – Responsabilité.

Abstract

Current development, the real product of the universalization of the consumerist lifestyle of Western society, is based, according to Hans Jonas, on a short-sighted perspective insofar as it favors the destruction of natural resources that guarantee survival or the future of humanity. The ethics of responsibility that he proposes to remedy this situation and which is based on the notions of the future, continuity, survival and futurism, indicates that he is resolutely committed to the path of sustainable development. According to him, the obligation we have towards humanity requires breaking with the Western development model based solely on the economic criterion to give birth to a new type of development that creates the conditions favorable to a more prosperous existence from an intergenerational perspective. This contribution aims to unveil all the quintessence of his philosophy which would make him a thinker of sustainable development.

Key words

Sustainable development – Environment – Ethics of the future – Future generations – Hans Jonas – Responsibility.

Développement durable : origines et évolution d’une notion clé dans les instances internationales

BAGAYOKO Siriki
Faculté des sciences administratives et politiques de Bamako (FSAP de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (Mali)


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Durabilité et globalisation : approches théoriques et critiques


Pour citer cet article

Bagayoko Siriki : « Développement durable : origines et évolution d’une notion clé dans les instances internationales », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/516/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

Développement durable : origines et évolution d’une notion clé dans les instances internationales

par Siriki BAGAYOKO

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Les impacts destructeurs de l’activité humaine sur l’environnement sont devenus préoccupants dans les pays industrialisés à la fin du 19e siècle. Mais c’est à partir des années 1970 que les scientifiques et l’organisation des Nations Unies vont progressivement placer la question de l’environnement au centre de leur attention. Le problème des inégalités croissantes entre pays développés et sous-développés est également devenu un sujet de préoccupation à l’échelle internationale. Le modèle de développement économique des sociétés industrielles a été remis en question ainsi que les rapports entre pays riches et pays pauvres. Il était question de trouver un autre modèle économique « durable », qui ne détruirait pas l’environnement et prendrait en compte les inégalités entre pays riches et pays pauvres. L’objet de cet article est d’étudier les origines de la notion de développement durable, sa naissance, sa définition et son évolution. Nous nous appuierons essentiellement sur les textes issus des sommets de l’ONU. Cette présentation se divise en trois grandes parties. La première aborde la prise de conscience mondiale, l’urgence d’action face aux questions environnementales et de développement, ainsi que la première ébauche de la notion de développement durable. La deuxième a trait à la naissance et à la définition du mot « développement durable ». La troisième s’intéresse aux trois grandes étapes d’orientation stratégique pour réaliser le développement durable.

Premières ébauches de la notion de « développement durable »

Au début des années 1970 deux événements majeurs ont manifesté une prise de conscience mondiale pour les questions environnementales.

Le premier est la publication du rapport The Limits to the Growth (Les limites à la croissance) publié en 1972. Il est plus connu sous le nom de Rapport Meadows (Meadows et al., 1972). Son commanditaire est le Club de Rome[1] qui a émergé au sein de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE)[2]. Le rapport a été réalisé par deux chercheurs du Michigan Institute of Technology (MIT) et étudie les rapports entre l’économie, l’environnement et la démographie. Il décrit, sur la base d’une simulation informatique, une situation dans le monde où la démographie croît chaque année et l’économie connait une croissance encore plus importante. Cette double croissance comporte des risques sur l’environnement car les ressources naturelles, énergétiques (pétrole, gaz etc.) ne sont pas illimitées. Le rapport alerte sur le fait qu’elles risquent de s’épuiser d’ici 50 ou 60 ans, c’est-à-dire 2020 ou 2030. Il préconise donc une stabilisation de la population et de la production au plan mondial.

Le second événement est la Conférence des Nations Unies sur l’environnement qui s’est tenue du 5 au 16 juin 1972 à Stockholm en Suède[3]. Elle est la première conférence mondiale à inscrire à son ordre du jour la question de la détérioration de l’environnement. Elle est donc le premier sommet de la Terre. Elle a adopté deux textes importants : la Déclaration de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le Plan d’action pour l’environnement (Nations Unies, 1973).

Dans la déclaration, l’enjeu environnemental est lié intelligemment à la question du développement[4]. En effet, l’homme y est considéré comme étant à la fois créature et créateur de l’environnement. L’accroissement naturel de la population, l’exploitation des ressources par les pays développés et les pays en voie de développement constituent des hypothèques sérieuses pour la préservation de l’environnement. Dans les premiers, l’environnement est détruit par l’industrialisation et le développement des techniques. Dans les deuxièmes, l’environnement est détruit par le sous-développement qui se manifeste à travers les conditions d’existence de millions de personnes. Ceux-ci manquent du nécessaire pour ce qui concerne leur alimentation, éducation, logement, santé et hygiène. Leurs conditions de vie sont loin d’une « vie humaine décente ». Par conséquent, le rapport estime que le moment de l’histoire est arrivé de prendre plus en compte les répercussions de nos actions sur l’environnement. La protection et l’amélioration de l’environnement est devenue une question d’importance primordiale car affectant le bien-être des populations, le développement économique dans le monde entier. Elles doivent alors constituer un « devoir » pour tous les gouvernements. Un certain nombre de principes ont été adoptés dans la déclaration en vue d’une gestion plus rationnelle de l’environnement. Un des principes notables considère la responsabilité de l’homme dans son devoir « solennel » de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures (principe 1). Un autre mentionne que les ressources naturelles du globe comme l’air, l’eau, la terre, la flore, la faune doivent être préservées, là encore dans l’intérêt des générations présentes et futures (principe 2).

Le plan d’action pour l’environnement devait traduire en actes les principes[5]. Ses 109 recommandations tournent toutes autour de la gestion de l’environnement. Elles sont regroupées en cinq grands thèmes[6] et identifient trois catégories d’action : évaluation de l’environnement, gestion de l’environnement et mesures de soutien. Pour la première catégorie, il s’agit d’évaluer et d’analyser, de rechercher, de surveiller et d’échanger des informations. Pour la deuxième catégorie, il s’agit de protéger et d’améliorer l’environnement dans l’intérêt des générations actuelles et futures à travers des recommandations détaillées. Pour la troisième catégorie, il s’agit d’évaluer et de gérer l’environnement à travers l’éducation, la formation professionnelle et l’information, l’organisation, le financement et d’autres formes d’assistance. Aussi, la Conférence a désigné le 5 juin comme journée mondiale pour l’environnement et convoqué une deuxième conférence des Nations Unies sur l’environnement.

L’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) est à l’origine de la première ébauche du mot « développement durable » dans un ouvrage scientifique publié en 1980 (UICN, PNUE & WWF, 1980)[7]. L’ouvrage traite la question de comment parvenir à un développement durable qui soit fondé sur la conservation des ressources vivantes. Il considère que la conservation et le développement durable sont interdépendants. Ainsi, il esquisse une définition du développement durable comme suit : « C’est un type de développement qui prévoit des améliorations réelles de la qualité de la vie des hommes et en même temps conserve la vitalité et la diversité de la Terre. Le but est un développement qui soit durable. À ce jour, cette notion paraît utopique, et pourtant elle est réalisable. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus que c’est notre seule option rationnelle. »

Naissance de la notion de « développement durable »

Les signes de changement climatique notamment se sont multipliés dans les années 1980, accentuant ainsi la prise de conscience pour l’idée de « développement durable ». L’Assemblée générale de l’ONU créa, pour faire face au problème, en 1983 la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED), dont la présidence a été confiée à Gro Harlem Brundtland, femme politique norvégienne qui sera plusieurs fois première ministre de son pays durant les années 1980[8]. Son mandat était d’élaborer un programme de changement global. Après quatre années de travail, son rapport Notre avenir à tous est présenté en avril 1987 (CMED, 1988). Plus connu sous le nom de Rapport Brundtland, il fixe la définition du développement durable qui a acquis une notoriété universelle : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (ibid., p. 40). Cette définition complexifie la notion de développement en lui associant deux autres notions qui lui sont inhérentes et qui l’encadrent en quelque sorte. La première se rapporte aux besoins. Il s’agit notamment des besoins des plus démunis qui doivent être traités avec la plus grande priorité. La deuxième est l’idée de limitation. Pour la première fois est énoncée officiellement au niveau international la nécessité de prendre en considération l’existence de limites de la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.

Et le rapport expose les implications que le développement durable entretient avec l’économie, la démographie et la gestion des ressources. Ainsi, la croissance économique est certes nécessaire pour assurer le développement durable mais elle ne suffit pas seule. Les sociétés doivent, en plus, assurer l’égalité des chances pour tous. L’accroissement démographique constitue un frein potentiel à moins d’évoluer à un rythme qui s’accorde avec le potentiel productif des écosystèmes. L’exploitation des ressources comme l’eau, les sols, l’atmosphère, les êtres vivants, peut freiner le développement durable si leur exploitation est faite sans limite. Les ressources renouvelables comme les forêts doivent être exploitées à une allure qui ne dépasse pas leur capacité de se régénérer et de croître naturellement. Les ressources non renouvelables comme les combustibles fossiles et les minerais doivent être exploitées de telle manière que leur épuisement soit retardé et que l’on puisse trouver des produits de remplacement. Les espèces végétales et animales doivent être préservées, tandis que les effets nuisibles des activités économiques pour les ressources comme l’air et l’eau doivent être réduits au minimum (ibid., p. 40 et suiv.).

Du sommet de Rio en 1992 au sommet de New York en 2015 : trois grandes étapes

Concilier la protection de l’environnement et le développement social et économique

La Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (CNUED) qui s’est tenue à Rio de Janeiro du 1er au 12 juin 1992 devait adopter des normes du développement durable conformément au rapport Brundtland qui a servi de base de travail. Elle a été dénommée Sommet Planète Terre[9]. L’objectif assigné par l’Assemblée générale au sommet de Rio était d’imaginer un type précis de développement : un développement socioéconomique qui ne cause pas une détérioration continue de l’environnement. La Conférence a adopté deux textes majeurs : la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement et Action 21. Elle a adopté aussi une déclaration et deux conventions : la Déclaration des principes forestiers, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la Convention sur la diversité biologique (Nations Unies, 1992).

La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement contient vingt-sept principes qui concrétisent l’orientation stratégique du sommet de concilier la protection de l’environnement avec le développement social et économique (p. 2 à 6). Ainsi, le sommet confie aux États et à tous les peuples le devoir de coopérer pour éliminer la pauvreté. Il considère cette mission comme une « tâche essentielle » et une condition indispensable du développement durable (principe 5). Afin de conserver, protéger et rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre, les États sont incités à coopérer dans un esprit mondial (principe 7). Le sommet montre à travers deux principes majeurs comment parvenir au développement durable. Il peut être atteint en considérant la protection de l’environnement comme partie intégrante du processus de développement (principe 4). Aussi, il peut être atteint si les États travaillent à réduire et à éliminer les modes de production et de consommation non viables et à développer en lieu et place des politiques démographiques appropriées (principe 8). Le sommet a élaboré la manière de traiter les questions d’environnement. Il voit dans la participation de tous les citoyens concernés au niveau qui convient la « meilleure façon de traiter les questions d’environnement » (principe 10). Il préconise aussi une étude d’impact environnemental pour des activités qui risquent d’avoir des effets nocifs importants (principe 17). Le sommet a aussi élaboré la responsabilité et le droit respectifs des pays développés et des pays pauvres. Les premiers sont appelés à admettre leur responsabilité dans l’effort international en faveur du développement durable du fait de leurs capacités financières et techniques et des pressions qu’ils exercent sur l’environnement (principe 7). Les intérêts des pays pauvres et leurs besoins doivent être pris en compte dans les actions internationales portant sur les domaines de l’environnement et du développement (principe 6).

Action 21 est le programme d’action conçu pour mettre en œuvre ces principes[10]. Les problèmes planétaires majeurs y sont exposés accompagnés de mesures, de stratégies d’intervention, de propositions d’action détaillées. Ainsi, on retrouve les problèmes d’ordre social et économique comme la lutte contre la pauvreté, la modification des modes de consommation, la dynamique démographique, la promotion d’un modèle viable d’établissements humains, la protection et la promotion de la santé (1re section). Figurent aussi les questions liées à la conservation et à la gestion des ressources comme la préservation de la diversité biologique, la promotion d’un développement agricole et rural durable, la lutte contre le déboisement, la protection de l’atmosphère (2e section). Enfin, est mentionnée la nécessité de renforcer le rôle de catégories sociales ou de groupes d’intérêts comme les femmes, les enfants et les jeunes, les populations autochtones et leurs communautés, les organisations non gouvernementales, la communauté scientifique et technique dans la mise en œuvre de politiques de développement durable (3e section). Les moyens d’exécution portent à titre d’exemple sur la science au service du développement, la promotion de l’éducation, la sensibilisation du public et la formation, les instruments et mécanismes juridiques internationaux (4e section).

Élaboration des objectifs de développement durable et des politiques d’économie verte

La deuxième grande étape a été amorcée à la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, tenue du 20 au 22 juin 2012 à Rio de Janeiro au Brésil[11]. La Conférence a adopté un document final intitulé L’avenir que nous voulons (Nations Unies, 2012). L’adoption des lignes directrices sur les politiques d’économie verte et l’élaboration des objectifs de développement durable (ODD) ont constitué la nouvelle orientation stratégique. La Conférence affirme que pour parvenir au développement durable dans ses trois dimensions, chaque pays dispose, en fonction de sa particularité et de ses priorités, d’une diversité d’approches. Et la réalisation de l’économie verte dans l’objectif de développement durable et de l’élimination de la pauvreté est un des moyens les plus précieux (ibid.)[12]. Elle entrevoit d’importants impacts de la conversion de l’économie en économie verte. En effet, celle-ci devrait contribuer à éliminer la pauvreté, favoriser une croissance économique durable, créer des possibilités d’emploi et de travail décent pour tous, gérer de manière plus durable les ressources naturelles. L’économie verte, moins nuisible en principe sur le plan écologique, devrait contribuer à réduire le changement climatique et à favoriser une utilisation plus rationnelle des ressources et une réduction de la production de déchets. Elle devrait aussi concourir à préserver le bon fonctionnement des écosystèmes de la planète (p. 11 et suiv.). Ces nouvelles politiques d’économie verte ne rompent pas avec les engagements des sommets antérieurs sur le développement durable. Elles doivent se conformer aux principes et plans d’actions des sommets antérieurs mais aussi désormais aux Objectifs du Millennaire pour le Développement (OMD). La mise en œuvre des politiques d’économie verte s’appuie sur un environnement porteur, des institutions qui fonctionnent correctement, la participation de tous les acteurs concernés (gouvernements, organismes des Nations Unies, organisations internationales, bailleurs de fonds, commissions régionales, institutions financières internationales, milieux d’affaires et l’industrie), la croissance économique durable et inclusive, la prise en compte des besoins des pays en développement et le renforcement de la coopération internationale. La Conférence appelle les gouvernements à appliquer des politiques en faveur de l’économie verte. Elle leur confie le rôle de chefs de file dans l’élaboration des politiques et des stratégies dans la transparence et dans l’inclusivité. Ils doivent aussi soutenir les initiatives en faveur du développement durable, notamment inciter le secteur privé à financer les politiques de promotion d’une économie verte dans le contexte du développement durable et de l’élimination de la pauvreté. Les organismes des Nations Unies, les organisations internationales, les autres bailleurs de fonds concernés sont invités à coordonner et à fournir sur demande des informations qui mettent en relation des pays intéressés avec les partenaires les mieux à même de leur apporter l’aide requise. Les pays en développement désireux de s’engager dans la voie du développement durable doivent être aidés, en plus des organisations citées, par les commissions régionales, les autres organisations intergouvernementales et régionales compétentes, les institutions financières internationales. Et ils doivent être soutenus pour créer des conditions propices au développement de technologies et d’innovations susceptibles de favoriser la conversion vers une économie verte.

L’élaboration des Objectifs de développement durable (ODD) est le deuxième grand axe majeur dans la nouvelle orientation stratégique. Il s’agit de décliner la visée générale en une série cohérente de cibles de l’action publique (p. 52 et suiv.). Mais ces objectifs doivent être fondés sur ceux des sommets antérieurs et d’autres sommets sociaux et économiques, tenir compte des objectifs du millennaire, des trois volets du développement durable, de la différence de contexte, des priorités de chaque pays et être intégrés au programme de développement des Nations Unies après 2015. La Conférence formule un certain nombre d’exigence aux ODD. Ils doivent avoir une envergure mondiale, être applicables dans tous les pays, être concrets, concis, faciles à comprendre, en nombre limité et ambitieux. Ils doivent concerner des domaines prioritaires aux fins du développement durable. Un mécanisme intergouvernemental est mis en place afin de formuler ces objectifs que l’Assemblée générale de l’ONU devra examiner afin de les adopter. Tous les pays sont incités à privilégier les principes du développement durable dans l’allocation leurs ressources. Enfin, la Conférence estime qu’il faut mobiliser des ressources considérables et les utiliser efficacement en vue d’apporter un appui solide aux pays en voie de développement dans leurs efforts de promotion du développement durable.

Élaboration des dix-sept objectifs du développement durable

Le sommet des Nations Unies sur le développement durable, tenu du 25 au 27 septembre 2015 à New York a marqué la troisième étape de mise en œuvre du développement durable. Il a adopté le document officiel Transformer notre monde : Le programme de développement durable à l’horizon 2030 (Nations Unies, 2015). L’orientation stratégique nouvelle a été l’adoption de nouveaux Objectifs mondiaux de développement durable qui avaient été annoncés au sommet de Rio en 2012. Ils sont au nombre de dix-sept, assortis de 169 cibles. Pour le sommet, c’est une première que les dirigeants du monde s’engagent pour exécuter ensemble un programme d’action à la fois vaste et universel. En tant que tel, il s’agit d’une décision historique. Chacun des dix-sept objectifs est particulièrement ambitieux. À titre d’exemple l’objectif 1 ambitionne d’éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde ; l’objectif 2 ambitionne d’éliminer la faim ; l’objectif 4 ambitionne d’assurer à tous une éducation équitable, inclusive et de qualité. Les exigences formulées pour définir les ODD ont été maintenues. L’application des objectifs est soumise à un délai qui entre en vigueur en 2016 et doit être atteinte en 2030. Un partenariat mondial revitalisé, qui rassemble les gouvernements, le secteur privé, la société civile, le système de Nations Unies et les autres acteurs concernés, qui mobilise toutes  les ressources disponibles, doit permettre de les mettre en œuvre.

Conclusion

L’article s’est intéressé aux origines, à la naissance et à l’évolution du développement durable. Ses origines se situent dans la prise de conscience mondiale pour les questions environnementales, de développement et des inégalités provoquée par le Rapport Meadows et le sommet de l’organisation des Nations Unies sur l’environnement de Stockholm de 1972. Le rapport Brundtland de 1987 a consacré sa naissance et défini ses liens avec l’économie, la démographie et l’environnement.

Des inflexions importantes ont marqué son évolution. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de 1992 et de 2002 ont concilié la protection de l’environnement et le développement social et économique à travers des principes qui fixent les droits et les devoirs des États, des citoyens, des pays développés et des pays pauvres et un plan d’action de gestion de différents domaines sectoriels. La Conférence des Nations Unies sur le développement durable de 2012 a initié le concept d’économie verte et les objectifs de développement durable. L’économie verte est désormais considérée comme un des moyens précieux pour parvenir au développement durable ; sa mise en œuvre nécessite la participation de tous les acteurs politiques, économiques et sociaux concernés. La formulation d’objectifs doit permettre d’atteindre le développement durable. Le sommet des Nations Unies sur le développement durable de 2015 a élaboré les dix-sept objectifs de développement durable comme aboutissement des objectifs formulés au sommet de 2012. Ils ambitionnent de transformer le monde à l’horizon 2030.

Bibliographie

CMED (1988). Notre avenir à tous. Montréal, éd. du Fleuve.

Meadows Dennis, Meadows Donella & Randers Jørgen (1972). Halte à la croissance ? Paris, éd. Fayard, 318 p.

Nations Unies (1973). Rapport de la Conférence des Nations-Unies sur l’environnement. Stockholm, 5-16 juin 1972, 89 p.

Nations Unies (1992). Rapport de la Conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement. Rio de Janeiro, 3-14 juin 1992, 508 p.

Nations Unies (2012). L’avenir que nous voulons. Conférence des Nations Unies sur le développement durable Rio+20, Rio de Janeiro, 20-22 juin 2012, 60 p.

Nations Unies (2015). Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030. New York, Sommet des Nations Unies sur le développement durable, 25-27 septembre 2015, 38 p.

UICN/PNUE/WWF (1980). Stratégie mondiale de la conservation. La conservation des ressources vivantes au service du développement durable. Gland (Suisse), UICN, 64 p. URL : https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/wcs-004-fr.pdf


Notes

[1] Un groupe de réflexion fondé en 1968 et composé de scientifiques, hauts fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 52 pays.

[2] Organisation regroupant les principaux pays dits développés.

[3] C’est la résolution 2398 (XXIII) de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies en date du 3 décembre 1968 qui l’a convoquée.

[4] Les explications ci-dessous se trouvent dans la déclaration, pages 3-6.

[5] Les explications ci-dessous se trouvent dans le plan d’action, page 7-32.

[6] 1) Aménagement et gestion des établissements humains en vue d’assurer la qualité de l’environnement ; 2) Gestion des ressources naturelles du point de vue de l’environnement ; 3) Détermination des polluants d’importance internationale et lutte contre ces polluants ; 4) Aspects éducatifs, sociaux et culturels des problèmes de l’environnement et question de l’information ; 5) Développement et environnement.

[7] L’UICN a préparé cet ouvrage avec  les avis du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et de la World Wildlife Foundation (WWF) avec la collaboration de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

[8] Elle a été créée par la résolution 38/161 de l’Assemblée générale de l’ONU en date du 19 décembre 1983.

[9] Elle a été convoquée par la résolution 44/228 de l’Assemblée générale de l’ONU en date du 22 décembre 1989.

[10] C’est un document particulièrement volumineux avec plus de 300 pages. Il est organisé en quatre grandes sections portant sur 39 thèmes.

[11] Elle a été convoquée par la résolution 66/197 de l’Assemblée générale de l’ONU. Elle est appelée aussi Rio+20.

[12] Les explications ci-dessous sur l’économie verte sont tirées de L’avenir que nous voulons, page 11 à 15.


Auteur / Author

Bagayoko Siriki est titulaire d’un DEA et d’un doctorat de sciences politiques obtenu à l’Université Friedrich-Wilhelm de Bonn (RFA). Il est maître-assistant à la Faculté des sciences administratives et Politiques (FSAP) de l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB) au Mali. Il est membre du LMI MaCoTer. Ses centres d’intérêt portent sur le système politique au Mali, les élections.

Bagayoko Siriki holds a DEA and a PhD in political sciences from the Friedrich-Wilhelm University of Bonn (Germany). He is a lecturer at the Faculty of Administrative and Political Sciences (FSAP) of the University of Law and Political Sciences of Bamako (USJPB), Mali. He is a member of LMI MaCoTer. His main interests are the political system in Mali and elections.


Résumé

Cet article traite des origines, de la naissance et de l’évolution de la notion de développement durable. Les questions environnementales et de développement se sont posées avec de plus en plus d’acuité au début des années 1970. Elles ont provoqué une prise de conscience mondiale et surtout la nécessité d’une urgence d’action de la part de l’ONU. La notion de développement durable va naître en 1987 sous le leadership de l’ONU. Son évolution a été façonnée par l’ONU à travers ses grands sommets sur le développement durable. Trois grandes périodes ont marqué cette évolution depuis 1992. La première est marquée par la recherche d’une conciliation entre développement socioéconomique et protection de l’environnement. La deuxième a été marquée par l’élaboration des objectifs de développement durable et des politiques d’économie verte dans le contexte du développement durable. La troisième a été marquée par l’adoption des dix-sept objectifs de développement durable.

Mots clés

Environnement – Développement – Développement durable – Préservation des ressources – OMD – ODD – Économie verte.

Abstract

This article deals with the origins, birth and evolution of sustainable development. Environmental and development issues became increasingly important in the early 1970s. They provoked a global awareness and above all the need for urgent action by the UN. The notion of sustainable development was born in 1987 under the leadership of the UN. Its evolution was shaped by the UN through its major summits on sustainable development. Three major periods have marked this evolution since 1992. The first is marked by the search for a conciliation between socio-economic development and environmental protection. The second has been marked by the elaboration of sustainable development objectives and green economy policies in the context of sustainable development. The third was marked by the adoption of seventeen sustainable development objectives.

Key words

Environment – Development – Sustainable development – Resource preservation – MDGs – SDOs – Green economy.

L’économie sociale et solidaire comme pilier du développement durable. Une perspective transactionnelle

BLANC Maurice
Université de Strasbourg & Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE – UMR 7363) – France.

STOESSEL-RITZ Josiane
Université de Haute Alsace & Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE – UMR 7363) – France.


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Durabilité et globalisation : approches théoriques et critiques


Pour citer cet article

Blanc Maurice & Stoessel-Ritz Josiane : « L’économie sociale et solidaire comme pilier du développement durable. Une perspective transactionnelle », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/505/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

L’économie sociale et solidaire comme pilier du développement durable. Une perspective transactionnelle

par Maurice BLANC & Josiane STOESSEL-RITZ

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Le développement durable (DD par la suite) est une utopie mobilisatrice qui repose sur deux fondements : la solidarité généralisée qui engage l’ensemble des composantes d’une société et la coopération entre des individus autonomes mais interdépendants (Elias, 1969) qui agissent pour un meilleur vivre ensemble. Cette double nécessité pose des difficultés d’ordre politique, social, culturel et épistémique (Storrie, 2010) : elle repose sur un contrat social éthique et sur un mode de développement reliant des sociétés de plus en plus interdépendantes.

Expression consacrée par le Rapport Brundtland (CMED, 1988)[1], le DD demeure polysémique et controversé. L’écodéveloppement (Sachs, 1978) insiste sur la satisfaction des besoins humains fondamentaux, dans « un souci d’équité et selon une temporalité intergénérationnelle » (Gendron & Gagnon, 2004). Des approches économiques l’associent au « développement local viable », les habitants validant les impacts sociaux et les coûts sociétaux (ibid.). Dans les sciences sociales de l’urbain, des « approches critiques du DD » partent des luttes des habitants contre la transformation néolibérale de leur ville (Boissonade, 2015).

Le DD vise à concilier les exigences opposées de l’économie, de l’environnement et de la société. Mais la plupart des organisations nationales et internationales ont une vision néolibérale du DD, par la création de nouveaux marchés, comme celui des droits à polluer : en fonction de calculs complexes, chaque entreprise a le droit de polluer jusqu’à un certain niveau. Si elle est vertueuse, elle peut vendre ses droits inutilisés, permettant à d’autres entreprises de continuer à polluer au-delà du seuil autorisé. Ce marché est inspiré par le Prix Nobel de l’économie Ronald Coase (1960) : en donnant un prix à la pollution, on inciterait à polluer moins. En réalité, les gros pollueurs préfèrent payer, au lieu de réduire la pollution à la source.

Cette « croissance verte » est dénoncée par les acteurs de l’ESS et de la société civile, car elle institue de nouveaux marchés qui tiennent compte des seuls investissements marchands et excluent les activités non marchandes et non monétaires. Dans un contexte néolibéral et une gestion à court terme, la croissance développe la compétition pour l’accès aux ressources naturelles ; elle exacerbe les tensions sur les ressources en eau et le patrimoine naturel, pratiquant la politique de la terre brûlée.

Dans ce mode de développement, les droits du propriétaire passent avant ceux des usagers. L’ensemble des ressources humaines et terrestres est soumis à l’emprise des marchés (Callon, 2017). Ce développement reste prisonnier d’un mode destructeur, inégalitaire et source de violences : l’extractivisme[2] (Maalouf, 2009).

Du mythe à l’aveuglement

La notion de « développement » est un héritage de la fin de la seconde guerre mondiale. Au 21e siècle, le DD est confronté à la pensée néolibérale et au processus global de financiarisation, qui se sont renforcés conjointement dans l’économie mondiale. La première vise à démanteler l’État social, en se fondant sur l’utilité économique et les produits financiers. « L’utopie néolibérale » (Foucault, 2004) soumet l’ensemble de la vie en société à la loi du marché, mais il faut une intervention politique pour que « les mécanismes concurrentiels puissent jouer le rôle de régulateur » (Lagasnerie, 2012, p. 52). Les impasses de la globalisation néolibérale s’expriment avec l’avènement du « marché total » (Polanyi, 1944) : « la guerre de tous contre tous » accélère la montée des inégalités sociales et menace les ressources terrestres et les solidarités.

La seconde, la financiarisation, découle du capitalisme financier qui s’empare des « risques climatiques et sociaux » (Keucheyan, 2018) et menace le vivre ensemble, le lien social et la démocratie. Ce développement prédateur est source de conflits, de guerres et de pauvreté ; il subit l’impact d’une globalisation écologiquement et socialement insoutenable (Supiot, 2020). Le mythe s’effondre d’une croissance infinie, fondée sur la conquête de parts de marché. Pour un monde humainement durable et vivable, agir pour le DD impose une prise de conscience (un « choc », selon Supiot) pour tenir compte des interdépendances entre pays et entre communautés, des spécificités de chacun et de la nécessité irréductible des communs (Menzou, 2020).

Les communs sont des potentiels concrets d’action issus de l’accès à des ressources (terre, eau, culture, savoirs) et de leur usage. Ces communs forment le soubassement du bien vivre ensemble dans une « société du commun » (Defalvard, 2020). La prise de conscience citoyenne des communs, en réaction au néolibéralisme et aux marchés, s’exprime en termes d’attachements et de résistances locales (Dardot & Laval, 2016 ; Kern & Stoessel-Ritz, 2014).

Dans le processus incertain de conciliation de l’environnement, de l’économie et de la société, une transition sociale, écologique et démocratique implique une rupture : de la compétition vers la coopération et les solidarités. L’ESS est pionnière et promotrice de transactions dans la construction de ces articulations et transitions. Nous nous centrons sur la manière dont les individus, les communautés et les sociétés produisent de la coopération et de la solidarité, réponses concrètes et porteuses d’issues solidaires (Servet, 2017).

Selon notre hypothèse, les initiatives citoyennes collectives sont attentives à l’accès aux ressources de toutes et tous, y compris les plus pauvres ; elles participent du bien vivre ensemble. Cette perspective explore un DD alternatif, ancré dans les valeurs, les codes et l’histoire des sociétés (Polanyi, 1944). Elle repose sur des ressources régénératrices de sens, des résistances collectives et de la capacité sociale (au sens de capability : Sen, 1999) à (re)produire des communs.

Introduire la transaction sociale : de la compétition à une éthique de la coopération

Ce changement de paradigme[3] regarde autrement les échanges sociaux encastrés localement et socialement, coexistant avec l’échange marchand. Ces échanges non monétaires (don de temps, de savoirs) relèvent d’arrangements qui intègrent l’utilité, la valeur marchande et la dimension subjective et objective des liens. Ces échanges sont le fruit d’une transaction sociale qui produit de la confiance et des valeurs (solidarité, reconnaissance) sous-jacentes à la coopération.

Pour Claude Lévi-Strauss (1943, p. 136) : « les échanges commerciaux représentent des guerres potentielles pacifiquement résolues et les guerres sont l’issue de transactions malheureuses » (cité par Remy & Voyé, 1981, p. 171). La transaction sociale est un processus d’interactions, d’échanges et d’apprentissages qui peut aboutir à un accord tacite permettant un compromis de coexistence (Blanc, 2009).

La solidarité repose sur un apprentissage pluriel de la coopération (Stoessel-Ritz & Blanc, 2020) et sur l’expérience, à la fois individuelle et collective, du faire commun. Elle s’inspire des formes de résistance et de solidarité à l’échelle des territoires. L’émergence de pratiques de solidarité et de liens s’appuie sur l’engagement de communautés et de citoyens qui veillent au sens du commun (Stengers, 2020) et préservent, par la coopération, un vivre ensemble entre des égaux qui sont différents (Laurent, 2017).

Cette éthique de coopération et de solidarité ne doit pas masquer sa limite, quand la solidarité se limite à une communauté repliée sur elle-même (Storrie, 2010, p. 24). Le paradoxe démocratique doit transformer des relations antagonistes (entre ennemis engagés dans une lutte à mort) en relations agonistes (entre adversaires qui rendent leur confrontation productive). Ce résultat repose sur des citoyens vigilants et capables d’aboutir à des compromis pratiques par des transactions sociales, mais l’antagonisme irréductible demeure. C’est l’enjeu de l’éthique de la coopération dans la démocratie (Mouffe, 2000).

L’économie sociale et solidaire, une utopie concrète pour des alternatives solidaires

En Europe, l’ESS s’est construite au 19e siècle, sous l’impulsion d’une pensée sociale critique : le coopérativisme et le solidarisme sont la source d’une utopie émancipatrice, entrainant la mobilisation des ouvriers auto-organisés en coopératives de consommation et/ou de production, pour résister au capitalisme et sortir de la pauvreté.

Dans sa diversité, l’ESS est le terreau sur lequel fleurissent des innovations collectives, alternatives et citoyennes pour une utopie concrète c’est-à-dire « la possibilité qui éclaire l’actuel et que l’actuel éloigne dans l’impossible » (Lefebvre, 1971, p. 9). L’ESS est une force collective (libre adhésion et engagement) qui oriente et structure son action au service d’une société plus juste, solidaire et équitable. Cette utopie n’a rien d’un idéal impossible à atteindre : telle une boussole, elle donne du sens aux pratiques et aux échanges. Cette utopie répond aux espérances et aux attentes des individus, elle est ancrée dans les attachements personnels, culturels et familiaux et s’exprime dans la vision d’une société permettant un meilleur vivre ensemble.

Cette dimension structurale[4] de l’ESS fait écho aux initiatives émergentes qui expriment des formes d’engagement et d’émancipation avec une dimension sociopolitique. Participant à la culture démocratique, les initiatives sociales et solidaires des citoyens fournissent des réponses concrètes à un développement durable, social et solidaire lui aussi. L’entrepreneuriat solidaire s’est construit en combinant plusieurs principes d’échanges (marchand, distributif et non monétaire) autour d’une économie plurielle (Laville, 2007). Elle est portée par l’engagement et l’action collective au service de finalités solidaires et elle régénère la démocratisation de l’économie par la coopération.

Néolibéralisme et ESS : tensions, complexité et transactions sociales

Dans le contexte de la mondialisation, l’ESS résiste au néolibéralisme hégémonique qui vise à la réduire au social business qui détecte de nouveaux marchés à impact social (Laville et al., 2017, p. 9). La loi française de 2014 sur l’ESS reconnait l’entreprise commerciale à but social[5], ce qui contribue à cette confusion. Mais l’ESS n’est pas le détecteur des marchés émergents dans la sphère sociale.

Si l’ESS et le néolibéralisme sont radicalement opposés, leurs frontières restent floues. Le social business a été développé par Muhammad Yunus, fondateur en 1976 de la Grameen Bank et prix Nobel de la Paix. Appelée « la banque des pauvres », cette banque fait des prêts à bas taux d’intérêt aux paysans pauvres du Bangladesh, notamment aux femmes. Mais il s’agit d’un marché « rentable » car, en jouant sur les solidarités villageoises, les emprunts non remboursés sont peu nombreux.

Pour le social business, lutter contre la pauvreté et permettre aux pauvres de vivre décemment est un immense marché qui permet de s’enrichir. Pour y parvenir, il faut un soutien au départ : soit celui de la philanthropie (la fondation Bill et Melinda Gates par exemple), soit celui de l’État. Pour obtenir des soutiens financiers, l’ESS est souvent obligée de passer par des dispositifs qui ne correspondent ni à son éthique, ni à sa stratégie. La négociation de transactions sociales achoppe quand des rapports de force opposent les attentes d’un ministère ou d’un « mécène », qui exigent un retour sur investissement à court terme, à des structures associatives impliquées dans une action à long terme pour la reconnaissance de communs (bien vivre ensemble, agir sur les représentations sociales).

L’insertion par l’activité économique est en France un bon exemple : l’ESS a l’ambition d’aider les personnes en grande difficulté (chômeurs de longue durée, jeunes sans qualification professionnelle, personnes vivant avec un handicap, etc.) à trouver un emploi adapté à leur situation. Sauf exception, ceci suppose un long temps de préparation. Or les services de l’État en charge de l’emploi conditionnent leur financement à un taux d’insertion professionnelle élevé et à court terme.

Les organismes de l’ESS sont contraints de sélectionner les candidats « les plus proches de l’emploi » et non ceux et celles qui en ont le plus besoin. Dans la gestion de ces contradictions, les négociations informelles qui accompagnent la mise en œuvre de dispositifs complexes sont essentielles. L’analyse des pratiques révèle les capacités réflexives des publics (Duvoux, 2010), l’impact des interactions (entre professionnels et personnes accompagnées) et la possibilité de négocier des transactions sociales tacites entre professionnels, pour éviter quelquefois l’exclusion des personnes.

La transaction sociale permet de discerner la dynamique de pratiques d’apprentissage et d’interactions dans la négociation, souvent informelle, de zones d’accords. Tout en partant des effets des structures sociales et des antagonismes sociaux, ce paradigme s’attache à rendre possible la coopération par un compromis pratique, modelé par des cultures et des valeurs (Ledrut, 1976).

L’ESS est un terrain fécond de transactions sociales : l’échange économique débouche sur des échanges sociaux encastrés dans les pratiques, dans les mouvements sociaux et dans l’historicité de valeurs (Stoessel-Ritz & Blanc, 2020). Ces transactions sociales entre partenaires inégaux sont indispensables à la construction et à la reconnaissance des communs, dans une coopération conflictuelle.

Les acteurs de l’ESS sont porteurs d’initiatives collectives et citoyennes de résistance au néolibéralisme ; ils offrent un mode de développement alternatif qui prépare la transition économique, écologique, sociale et solidaire. Ces transitions mobilisent des échanges en dehors du capitalisme, ou acapitalistes (Braudel, 1985) : « l’échange marchand est transparent et concurrentiel, alors que l’échange capitaliste est opaque et à tendance monopolistique. […] Le capitalisme détruit le marché comme lieu d’échange négocié où l’on marchande » (Draperi, 2015).

Enjeux sociétaux du DD : des résistances durables

Les sociétés industrielles occidentales ont considéré que les espaces et les ressources naturelles des colonies étaient à leur disposition : elles se sont approprié l’eau, les matières premières et les métaux rares (extractivisme), la force de travail des populations des pays colonisés (avant, pendant et après l’esclavage), mais aussi le travail forcé des prisonniers. Les industries lourdes et polluantes, aux conséquences écologiques et sociales catastrophiques et irréversibles, ont été délocalisées vers les Suds. Le DD est prescrit et mis en jeu de diverses manières sur des territoires où l’intervention publique et privée provoque des résistances et des tensions, devant la menace de paupérisation et d’exclusion des populations locales, dépossédées de leur maîtrise sur le milieu et sur l’environnement.

Un développement livré à l’État néolibéral par une croissance génératrice de pauvreté

Au Gabon, le DD s’est invité dans le Programme national pour l’environnement de 2007, avec le soutien de la coopération internationale (Banque Mondiale, UNESCO et ONG). Mais c’est un développement postcolonial et extractiviste. L’entreprise Cimgabon à N’Toum (à l’est de Libreville), ancienne entreprise publique privatisée, devenue filiale d’une cimenterie allemande, éclaire les tensions et les rapports de pouvoir issus du paternalisme étatique et patronal (Bignoumba, 2013).

L’État a voulu maintenir une gestion paternaliste accordant des avantages aux salariés de la carrière de N’Toum (logement, terrain de sport) et garder des liens privilégiés avec la firme. L’entreprise Cimgabon a développé une stratégie de communication avec la certification environnementale ISO 14 001, pour rassurer les ONG, les salariés et les autres partenaires sur la qualité des conditions de travail sur le site.

La firme (appelée « société-État » par ses anciens salariés) a combiné une politique sociale paternaliste et la certification environnementale. Sa stratégie prétendue compensatrice est réservée à ses salariés. Ce compromis unilatéral compense les risques de l’activité économique par des équipements attractifs dans la cité ouvrière de la cimenterie. Cette politique se revendique du DD et elle a mis les familles de ces travailleurs et quelques riverains à l’abri de certains risques sanitaires et sociaux. Mais les habitants dépossédés de leurs ressources à vocation vivrière (eau, terres cultivables) ont pris conscience des risques environnementaux et sanitaires (gaz toxiques, poussières) liés à l’activité de la firme. Ils ont résisté aux pressions et exigé la création d’un dispensaire hors des murs de l’usine.

En 2014, face à une concurrence chinoise effrénée, l’État gabonais a cédé au néolibéralisme et accepté l’ouverture du marché du ciment, entrainant la fermeture de l’usine de N’Toum[6]. La croissance promise aboutit à une politique de la « terre brulée » : l’entreprise allemande abandonne une friche dévastée écologiquement par un développement prédateur et destructeur des ressources. D’anciens ouvriers (qui ont pu racheter leurs maisons) sont restés avec leurs familles, mais en perdant leur bien commun.

Résistances et solidarités pour un monde durable

L’environnement naturel est central dans la culture des communautés rurales qui sont les témoins historiques des formes traditionnelles de solidarité et de leurs transformations. Soumises à de fortes contraintes, ces communautés ont réussi à s’adapter à des transformations économiques et techniques, en préservant l’essentiel à leurs yeux : l’autonomie dans la gestion des ressources naturelles. Deux exemples montrent ce qu’un DD en rupture avec le modèle concurrentiel veut dire dans ces communautés : la conciliation entre une économie marchande acapitaliste, l’environnement et la communauté rurale.

Le premier exemple s’appuie sur des travaux réalisés en 2015 au Maroc[7], sur la gestion de l’arganeraie en région semi-aride et faiblement peuplée : le terrain du Souss Massa Drâa, dans le village de Talkerdoust-Zaou. Arbre endémique marocain présent au cœur de la tradition berbère rurale (Auclair & Simenel, 2013), l’arganier a permis de développer de multiples usages locaux (huile, combustible, sous-produit pour le bétail). Les forêts d’arganiers sont menacées par de nouvelles cultures maraîchères (irriguées) qui produisent un stress hydrique sur les arbres. Seuls les habitants restés au village (femmes, personnes âgées) assurent artisanalement la transformation des produits de l’argan[8], dont les forêts assurent une fonction essentielle de maintien de l’équilibre écologique de ce territoire (limitation de l’érosion et de la désertification).

Ce patrimoine arganier est traditionnellement géré par la communauté (jmaâ) qui veille aux droits d’usages des communs (agdal) tout en étant subordonnés, en tant que forêt domaniale, à l’autorité des agents de l’État (Eaux et Forêts) (Menzou, 2020). La coexistence du droit coutumier communautaire et du droit de propriété domaniale de l’État (héritage colonial) est au cœur des conflits d’usage. Il en résulte une gestion chaotique d’un patrimoine-ressource : les conditions d’usage et de mise en commun sont menacées, au risque d’accélérer la disparition des derniers habitants de ces territoires ruraux isolés.

La conciliation de l’environnement et du social (communautés), fondée sur des savoirs traditionnels, est menacée par la non reconnaissance du droit coutumier, facilitant l’imposition de la loi du marché par les exportateurs des produits de l’argan. La reconnaissance du droit coutumier communautaire (Barrière, 2017) initie un processus d’émancipation fondé sur la reconnaissance des savoirs locaux et des modes de vie, et sur le maintien des communautés. Cette perspective appelle le pluralisme en économie autour de biens et de services marchands et non marchands, soit une ESS adaptée qui construit des liens sociaux autour des communs (Menzou, 2020).

La résistance d’une agriculture vivrière et familiale dans les villages de montagne en Kabylie[9] est le second exemple (Stoessel-Ritz, 2012). Des modes de gestion durable sont intégrés par des habitants d’un territoire rural peu accessible et gagné par l’exode rural massif des jeunes (partis travailler à Alger ou en France). L’attachement au village demeure vif, même à distance. Ceux/celles qui restent s’engagent et résistent comme des gardiens vigilants : ce sont surtout des femmes qui entretiennent le patrimoine et les cultures vivrières. Des relations privilégiées à la terre se construisent par des échanges entre villageois, des activités au contact physique avec la nature et l’acceptation des contraintes du milieu aride des villages de montagne (relief, climat, saisonnalité), source d’un code de valeurs.

Cette activité familiale et artisanale est attentive à la nature et elle n’épuise pas le potentiel de reproduction des ressources. Ces communautés font une gestion locale et entretiennent des interdépendances étroites (entre les générations, les émigrés et ceux qui restent, les familles et la nature en montagne). Cette gestion autonome et durable des ressources fait de la nature un patrimoine commun pour toute la communauté, dynamique qui renforce les liens dans la communauté élargie aux absents. Ces solidarités contribuent à limiter la vente des terres agricoles en Kabylie et la spéculation par des acheteurs étrangers. Ce modèle de bien vivre ensemble tire sa force d’une volonté des membres « de faire exister un modèle de société » au-delà des frontières (Bourdieu et al., 2003), dans une société des communs (Defalvard, 2020).

L’ESS, matrice sociétale d’un DD générateur de bien vivre ensemble

L’ESS est la matrice sociétale d’un DD construit sur une alternative citoyenne et solidaire. Elle repose sur une économie plurielle et démocratique, et sur une vigilance critique fondant le bien vivre ensemble sur des communs. Les crises systémiques majeures du changement climatique, l’amplification des inégalités économiques et de la pauvreté, la crise écologique et sanitaire en 2020, appellent un changement urgent (Latour, 2017). Un DD démocratique, une justice environnementale et un développement plus sobre et équitable reposent sur la coopération et l’organisation de solidarités sous-tendues par des liens d’interdépendance (Stoessel-Ritz, Blanc & Mathieu, 2010).

Les activités de l’ESS mettent les principes à l’épreuve de l’action et accumulent des connaissances concrètes et des expériences collectives. Un faisceau d’interactions continues et d’allers retours entre savoirs et pratiques font de l’ESS un champ stimulant, créatif et réflexif, susceptible de relever les défis majeurs de nos sociétés, d’inventer et de défricher de nouvelles pistes, en dehors du néolibéralisme et de la société de marché.

Donner son patrimoine pour un projet émancipateur. La naissance d’un bien commun sous tension : l’écomusée d’Alsace

L’association Maisons paysannes d’Alsace (1973-2006) pourrait être un idéal-type de projet collectif de patrimonialisation non financière pour le bien vivre ensemble (Stoessel-Ritz, 2018). Dans les années 1970, le départ forcé pour le salariat industriel des jeunes issus de familles paysannes du Sundgau (Haut-Rhin) aboutit à l’abandon progressif des fermes et des maisons paysannes qui n’intéressent plus personne. Sauf à Gommersdorf (Sud Alsace) où des paysans âgés ont préféré « donner » leurs maisons que les abandonner, en les confiant à un groupe de jeunes (étudiants, apprentis) venus de la ville et épris de nature.

Cette transmission inattendue a mis ces jeunes devant un dilemme : recevoir ce don signifie endosser une responsabilité, mais quel avenir pour ces biens ? Ces jeunes bénévoles entendent sauvegarder ces maisons paysannes par le démontage et remontage des maisons déplacées sur une friche industrielle. L’association Maisons paysannes d’Alsace est créée, elle aspire à un choix alternatif : ni entreprise lucrative, ni musée public, un projet patrimonial faisant le lien entre un monde paysan en extinction et un monde en devenir. Ce projet a permis en 1981 la création de l’Écomusée d’Alsace à Ungersheim[10], fruit de la réappropriation du bien commun et de la réinvention de nouveaux usages.

L’Écomusée d’Alsace a du succès, mais il demeure incompris par les collectivités territoriales. Ce n’est ni un parc d’attraction et de loisirs, ni un musée. L’association parvient à concilier des activités marchandes et des activités non monétaires de l’Écomusée, elle a surpris par sa capacité à concilier deux logiques inconciliables[11] aux yeux des acteurs publics (Département, Région).

L’Écomusée d’Alsace a gagné grâce à l’engagement collectif de bénévoles et de salariés qui ont défendu la vision d’un bien commun au prix d’un travail permanent de négociation de ce commun devenu une ressource. Acquises au dogme néolibéral, les collectivités territoriales ont mis fin au projet associatif : le bien commun (Écomusée) est réduit à un objet lucratif. La vague néolibérale est un risque pour les communs, leur légitimation est un enjeu majeur pour l’ESS et elle nécessite une société civile vigilante et consciente de son intérêt.

Les Amap : nouveaux échanges, nouvelles solidarités, compromis de coexistence et bien vivre ensemble

Les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) sont nées avec les années 2000, contre les logiques néolibérales de la mondialisation. Elles représentent en France plus de 2000 organisations qui réunissent 100 000 foyers et 3700 producteurs (agriculture, maraîchage). Le projet « amapien » permet d’acheter à un prix juste des denrées alimentaires de qualité ; l’objectif est de garantir la pérennité des fermes de proximité, dans une démarche d’agriculture paysanne (accompagnement, cahier des charges), souvent agroécologique et socialement équitable (contrat direct entre producteurs et consommateurs). Les Amap visent à renouer des relations et des solidarités entre une communauté locale élargie et un réseau de petits producteurs locaux qui mutualisent les risques de l’activité agricole face aux aléas climatiques.

Dans la région de Mulhouse (Haut-Rhin), les Amap ont rétabli des liens entre les producteurs et les consommateurs avec une reconnaissance réciproque, un intérêt renouvelé pour les produits échangés (intérêt pour le travail du producteur et ses savoirs) et la transformation progressive des modes de consommation (produits bio). L’expérience collective est durable pour une partie des consommateurs adhérents ; elle se traduit par une prise de conscience des interdépendances et, pour certains, la participation bénévole aux travaux (Stoessel-Ritz, 2018).

L’échange des produits dans les Amap renforce l’expérience d’un vivre ensemble et d’une consommation alternative. Il se fait dans une ancienne friche industrielle à Mulhouse. La volonté de se reconnaître « autrement » est le résultat d’une transaction sociale qui réinvente un sens du commun par l’intérêt et l’attention portée, d’un côté aux citadins consommateurs, de l’autre aux producteurs et paysans des territoires ruraux. Cette transaction est la réappropriation d’un acte marchand acapitaliste qui s’émancipe des rôles prescrits ou contraints.

Cette émancipation potentielle et objective du consommateur passif produit une plus grande autonomie, entendue comme le libre engagement dans des choix responsables. L’engagement dans les Amap est une expérimentation du bien vivre générateur de sens en commun (Stengers, 2020) et de savoirs partagés, favorisant les solidarités locales.

L’ESS participe à un projet individuel et collectif d’émancipation, au contact de l’apprentissage des interdépendances traversées par des relations de pouvoir. Cette émancipation engage un processus de prise de distance réflexif, incluant les savoirs décolonisés par l’invention d’une ESS qui relève d’une « science sociale publique et émancipatrice » (Laville, 2020, p. 310).

Conclusion

Un DD sans éthique ni valeurs, dépouillé de coopération et de solidarités serait un piège, voire une impasse fatale. La vague néolibérale a fragilisé les États et accéléré l’instauration de régimes arbitraires de décisions non démocratiques qui menacent les conditions d’existence de populations locales dans l’accès à leurs ressources locales, matérielles et immatérielles. L’ESS posée comme un mode de développement alternatif, écologique et solidaire est génératrice de communs, dont la reconnaissance sociale et politique est au cœur de tensions conflictuelles. Portée par une société consciente de ses intérêts fondamentaux, l’ESS participe à la démocratisation de l’économie. Elle renouvelle au quotidien des voies solidaires vers la coopération pour le « bien vivre ensemble », un commun qui est le fruit de transactions sociales.

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Notes

[1] Extrait du rapport Brundtland Our Common Future de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des nations unies : « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (CMED, 1988).

[2] L’extractivisme prélève dans les pays pauvres des ressources naturelles non renouvelables, pour les exporter.

[3] Le paradigme est « un principe organisateur et inducteur de la construction d’hypothèses et d’interprétations théoriques » (Blanc, 2009, p. 25).

[4] La dimension structurale fait référence aux structures culturelles (valeurs, codes, normes) du social. Elle se distingue de la dimension structurelle, qui renvoie d’abord aux effets d’un système économique sur l’organisation sociale (Remy et al., 2020).

[5] En 2015, l’ESS (coopératives, associations, mutuelles, fondations et entreprises d’utilité sociale) représente en France 14 % de l’emploi salarié privé (https://ess-france.org/fr/less-en-chiffres).

[6] « GABON – CIM GABON : Usine fermée, cité abandonnée » (vidéo). Gabonnews info, 19 juin 2020. URL : https://youtu.be/sCzz96RzM_8

[7] Développement durable participatif et solidaire, Rapport sur le village de Talkerdoust par des étudiants du Master ESS (Université de Haute Alsace), encadrés par M. Blanc et J. Stoessel-Ritz, et présenté à la 4e Université internationale « Territoires solidaires sans frontière », Universités de Haute Alsace et d’Agadir, mars 2015.

[8] L’argan est la principale activité génératrice de revenus de 3 millions de ruraux au Maroc.

[9] Entre 2007 et 2012, nos recherches en Kabylie sont menées avec les universités de Tizi-Ouzou, Béjaia et Sétif, dans le cadre d’un programme PHC Tassili (2007) et du programme IRD/CPU (2010) porté par le Réseau euro-africain Développement durable et lien social (2DLIS), dont Josiane Stoessel-Ritz est la coordinatrice française.

[10] https://www.ecomusee.alsace/fr/decouvrir-l-ecomusee/histoire-du-musee

[11] Mise sous pression et sommée de choisir son camp, entre l’associatif et l’entrepreneuriat privé, l’association a cédé l’Écomusée au département du Haut-Rhin. Ce dernier a transféré en 2006 l’exploitation de l’Écomusée à un groupe touristique privé, en rupture avec le projet initial.


Auteurs / Authors

Maurice BLANC est professeur émérite de sociologie à l’université de Strasbourg. Il est membre du Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE – UMR 7363) et de la Chaire ESS de l’Université de Haute Alsace. Ses recherches portent sur la démocratie participative, le développement social urbain et l’économie sociale et solidaire.

Josiane STOESSEL-RITZ est professeure de sociologie, fondatrice et directrice de la chaire Économie sociale et solidaire de l’Université de Haute Alsace. Elle est membre du Laboratoire SAGE et elle a fondé le réseau euro-africain « Développement durable et lien social » (2DLiS), aujourd’hui rattaché à la chaire ESS. Ses recherches portent sur le développement durable et sur l’économie sociale et solidaire.

Maurice BLANC is professor emeritus of sociology at the University of Strasbourg. He is a member of the Laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE – UMR 7363) and of the SSE Chair at the University of Haute Alsace. His research focuses on participatory democracy, urban social development and the social and solidary economy.

Josiane STOESSEL-RITZ is professor of sociology, founder and director of the Social and Solidary Economy Chair at the University of Haute Alsace. She is a member of Laboratoire SAGE and she founded the Euro-African network « Développement durable et lien social » (2DLiS), now attached to the SSE Chair. Her research focuses on sustainable development and social and solidary economy.


Résumé

Le développement durable (DD) a pour objectif de concilier l’économique, l’environnemental et le social, ce qui est source de multiples oppositions et tensions. L’économie sociale et solidaire (ESS) ne vise pas le profit, mais à répondre aux besoins sociaux non satisfaits par le marché. Leur rencontre ne va pas de soi car le néolibéralisme prétend lui aussi réunir l’économie, l’environnement et le social, mais en passant par le marché. L’ESS doit s’ouvrir au DD et s’orienter vers une gestion patrimoniale de la nature comme un bien commun. En Afrique et dans les pays dits du Sud, il s’agit d’un retour à des traditions ancestrales, mais sous une forme renouvelée.

Mots clés

Bien commun – Développement durable – Économie sociale et solidaire – Environnement – Gestion patrimoniale – Innovation – Solidarité

Abstract

Sustainable development (SD) aims to reconcile economic, environmental and social issues, which is a source of many oppositions and tensions. The social and solidary economy (SSE) does not aim to make a profit, but to respond to social needs not met by the market. Their meeting is not self-evident because neoliberalism also claims to unite the economy, the environment and the social, but through the market. The SSE must open up to SD and move towards a patrimonial management of nature as a common good. In Africa and in the so-called southern countries, it is a return to ancestral traditions, but in a renewed form.

Key words

Common good – Environment – Innovation – Patrimonial management – Social and Solidary Economy – Solidarity – Sustainable development