La question climatique et le tournant social de la science de la complexité

Repenser l’interdisciplinaire et l’intersectoriel à partir d’une anthropologie critique

 

HERNÁNDEZ Valeria
IRD, Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA), France ; Programme Études rurales et globalisation (PERyG), Universidad Nacional de San Martín (UNSAM), Argentine.

FOSSA RIGLOS María Florencia
Programme Études rurales et globalisation (PERyG), Universidad Nacional de San Martín (UNSAM), Argentine


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Durabilité et globalisation : approches théoriques et critiques


Pour citer cet article

HERNÁNDEZ Valeria & FOSSA RIGLOS María Florencia : « La question climatique et le tournant social de la science de la complexité. Repenser l’interdisciplinaire et l’intersectoriel à partir d’une anthropologie critique », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/526/
DOI : (à compléter)


Texte intégral

La question climatique et le tournant social de la science de la complexité
Repenser l’interdisciplinaire et l’intersectoriel à partir d’une anthropologie critique

par Valeria HERNÁNDEZ & María Florencia FOSSA RIGLOS

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Ce travail vise à analyser les implications épistémologiques et politiques de la production de connaissances dans le cadre des réseaux internationaux de recherche sur le climat et ses impacts. Nous nous efforçons plus particulièrement de réfléchir à l’insertion des sciences sociales dans ces réseaux qui définissent la question climatique comme un « problème complexe » nécessitant d’être abordé par des équipes interdisciplinaires et intersectorielles dans l’objectif de construire des solutions socialement légitimes (Driessen et al., 2010 ; Meadow et al., 2015 ; Schmidt et al., 2020).

Cette approche a été progressivement conceptualisée à partir d’une critique du modèle de « transfert » de la science et de la technologie (Lemos & Morehouse, 2004 ; Jasanoff, 2010 ; Mauser et al., 2013), qui établit une séparation entre le moment de la production de la connaissance (principalement développée dans un cadre académique) et le moment où cette connaissance est appliquée par les acteurs sociaux (différentes industries, agriculture et élevage, développement urbain, États, etc.). En outre, cette nouvelle perspective a enclenché un débat sur l’approche kuhnienne de la science[1] (Kuhn, 1962) en affirmant que, pour aborder les questions complexes des sociétés contemporaines, il est nécessaire de dépasser les frontières disciplinaires et de s’engager dans une dynamique scientifique « post-normale » (Funtowitz, Ravetz, 1993). Établir des relations de collaboration avec les acteurs sociaux concernés par la recherche de solutions s’impose alors comme un moyen de produire des connaissances « socialement robustes » (Rorty, 1990a, 1990b ; Gibbons, 1999). Cette approche d’une science « post-normale » est également liée au climat d’époque des années 1990 qui encourageait l’émergence d’une « société de la connaissance » dans laquelle la croissance économique serait fondée sur l’innovation technologique, en particulier dans les domaines des technologies de l’information, des biotechnologies et des nanotechnologies (Hernández, 2001, 2006). Dans le domaine de la recherche sur le changement climatique, cette perspective est devenue dominante après la confirmation de l’origine anthropique du phénomène (IPCC, 2007). Depuis lors, le changement climatique est considéré comme un problème complexe exemplaire : du fait de sa multicausalité et de la gravité de ses impacts sur la vie sociale, il ne doit pas être abordé uniquement par les experts du climat mais doit impliquer également les sciences sociales et les « parties prenantes », c’est-à-dire les acteurs intéressés au problème (regroupés indistinctement sous la dénomination stakeholders). Leur participation vise à élaborer des mécanismes d’adaptation spécifiques ajustés aux diverses composantes de la société (Wiek et al., 2012 ; Bremer & Meisch, 2017 ; Webb et al., 2019).

Les agences de financement de la recherche se sont appuyées sur cette nouvelle conception pour allouer des fonds à des projets internationaux qui : 1) impliquent des processus de recherche interdisciplinaires et doivent rendre compte de la participation des sciences sociales, de leur rôle et des résultats attendus (Mooney et al., 2013 ; Arnott et al., 2020), et 2) développent des méthodologies participatives pour assurer une « synergie » avec le secteur privé et les acteurs sociaux intéressés (Hernández, 2019). Par conséquent, bien que les projets sur le changement climatique et ses impacts continuent à être dirigés presque exclusivement par les sciences naturelles[2], l’implication des sciences sociales est devenue plus fréquente, en particulier les disciplines comme l’anthropologie ou la sociologie qui utilisent des méthodes qui facilitent le dialogue avec les acteurs sociaux (O’Brien, 2010 ; Agrawal et al., 2012 ; Moser et al., 2013 ; Mach et al., 2020). Les sciences sociales ont apporté de nouvelles analyses sur la question climatique, en introduisant leurs problématiques et leurs perspectives critiques, selon diverses traditions de pensée (Giddens, 2009 ; Chackrabarty, 2010 ; Latour, 2010 ; Bonneuil & Fressoz, 2013).

Dans le cadre de ces processus, entre 2008 et 2013, nous avons mené un travail anthropologique de terrain lié à deux projets de recherche sur le changement/variabilité climatique et ses effets, qui s’inscrivaient dans cette nouvelle approche scientifique interdisciplinaire avec la participation d’acteurs sociaux affectés par les événements climatiques extrêmes. Dans le premier cas, le Network for Climate Change and Social Impact Studies (NECCIS)[3] comprenait près de 160 chercheurs (issus de 20 organisations : 10 européennes et 10 sud-américaines) et une grande variété de disciplines (anthropologie, agronomie, écologie, géographie, hydrologie, météorologie, océanographie…). L’objectif principal du projet NECCIS était l’étude du changement climatique dans le sud de l’Amérique du Sud (dans les pays appartenant au bassin du Rio de la Plata) et de ses effets sur les secteurs agricole et hydroélectrique, dans le but de collaborer à la conception de politiques publiques d’adaptation pour ces secteurs. Le second projet était le Network for Climate Variability and Agriculture Impact Analysis (NECVAIA) et avait deux objectifs principaux : l’analyse de la variabilité climatique et de ses effets sur le secteur agricole dans trois pays (Argentine, Cameroun et Kenya) et la compréhension du processus d’appropriation sociale, par les agriculteurs et leurs organisations, des produits climatiques (prévisions, modèles régionaux de changement climatique, scénarios de projections climatiques, etc.). Ce réseau comprenait 30 chercheurs de 4 institutions françaises qui ont collaboré avec leurs homologues des pays où les études de cas ont été entreprises.

L’ambition déclarée dans le projet initial de chacun de ces deux réseaux était de produire des connaissances qui aient pour condition essentielle d’être « utiles » à des utilisateurs finaux, et de contribuer ainsi à l’atténuation des effets du changement/variabilité climatique en participant de manière collaborative à la conception de politiques d’adatation efficaces pour les secteurs affectés. Cet article aborde ces deux expériences de recherche dans le but d’analyser les dynamiques de collaboration des sciences de la complexité, tant dans leur dimension épistémologique que sur le plan de la nature des rapports sociaux qu’elles promeuvent en étant mues par l’idée de déployer une science participative. Nous nous interessons particulièrement à la logique que favorise la structure formelle de ces projets, ainsi qu’aux défis et aux limites de l’interdisciplinarité de la recherche qui transparaissent à travers ces deux cas spécifiques.

Ces réseaux ont été abordés à partir d’un travail d’enquête ethnologique collectif[4] (Hernández, 2019) mené entre octobre 2008 et novembre 2013 selon le dispositif d’implication-réflexivité (Althabe, Hernández, 2004). L’équipe d’anthropologues a constitué un corpus commun de carnets de terrain, organisé des sessions collectives d’interprétation et rédigé des rapports qui constituaient le support de restitution aux réseaux NECCIS et NECVAIA. Cette démarche d’ethnographie collective se distingue des approches anthropologiques plus classiques (un champ social visité par un seul anthropologue) et pose plusieurs défis, comme celui d’introduire dans l’interprétation la polyphonie produite par la présence conjointe de chercheurs dans une même unité d’espace et de temps ethnographique. A l’inverse, les interprétations ainsi générées incluent des désaccords ou des modulations qui favorisent un dialogue plus large avec le champ social analysé. Pendant cinq ans, nous avons pu assister aux événements scientifiques et de gestion du réseau, aux activités sur le terrain menées par les scientifiques avec les « utilisateurs finaux » des produits climatiques et à la présentation des résultats devant les évaluateurs[5]. Cet article se concentrera uniquement sur les activités menées dans le cas de l’Argentine, entre les scientifiques, les acteurs du secteur de l’agriculture et de l’élevage, et les décideurs politiques.

Sur la base de ce matériel ethnographique, nous décrirons d’abord la logique implicite de la structure du projet et de sa mise en œuvre. Dans cette première section, nous considérerons à la fois les défis du dialogue interdisciplinaire lorsqu’il implique des approches très différentes (comme les cadres systémique et herméneutique) et les limites de la science participative pour élaborer des politiques d’adaptation au changement climatique. La deuxième section sera consacrée à la dynamique de la coopération entre les chercheurs et les stakeholders en mettant l’accent sur deux aspects : l’effet sur les inégalités existantes, qui sont soit renforcées, soit invisibilisées, et la résurgence d’une vision paternaliste et civilisatrice véhiculée par un nouveau récit sur « l’adaptation au changement climatique ». Nous terminerons par une réflexion sur le processus de coproduction de connaissances socialement pertinentes et sur ses conditions de réalisation.

Du projet de recherche à sa mise en œuvre : structures et réseaux

Tout d’abord, examinons la structure des projets de recherche initiés par ces réseaux et la nature de la dynamique intersectorielle qu’elle met en jeu. Conformément aux exigences des agences de financement de la science, la structure des projets internationaux soumis par les deux réseaux était la même : une division du travail des scientifiques en work packages (WP), avec des objectifs, des tâches, des résultats attendus et un/des coordinateur(s). Le contenu de chaque item a été défini par les chercheurs sans la participation des stakeholders, et il a été ajusté aux critères définis lors de l’appel lancé par les agences de financement : le 7e Programme-cadre de recherche et de développement technologique (PCRD) de l’Union européenne et l’Agence Nationale de la Recherche en France (ANR). De plus, le calendrier et le financement ont été définis par les chefs de WP en coordination avec le chef de projet. Enfin, la logique d’interaction entre tous ces éléments a été illustrée dans un graphique pour chacun des projets (Figures 1 & 2).

Figure n° 1. Structure des interactions du projet NECCIS

Figure n° 2. Structure des interactions du projet NECVAIA

Les chercheurs appartiennent à des disciplines diverses (océanographie, climatologie, informatique, agronomie, économie, anthropologie, sociologie) et sont situés dans les hémisphères nord et sud. Ils exercent leur activité dans des laboratoires, des centres de recherche publics et privés et des universités. Conformément à l’évolution vers une science de la complexité (Calenbuhr, 2020) productrice de connaissances « utiles », les appels à financement de ces projets comportaient deux exigences : identifier clairement les secteurs, les institutions et les pays qui bénéficieraient des connaissances climatiques produites et présenter des lettres d’organisations de la société civile pour attester de l’intérêt d’établir des relations de collaboration avec des consortiums scientifiques.

La participation de chercheurs en sciences sociales était le moyen par lequel ces réseaux ont fourni l’assurance d’un lien avec les acteurs sociaux intéressés par les produits climatiques. Dans une logique instrumentale, les connaissances apportées par les sciences sociales étaient censées engendrer les changements de comportements sociaux indispensables aux dispositifs d’adaptation aux facteurs climatique et d’atténuation de leurs effets négatifs.

La technologie de l’information et ses outils de communication virtuelle (courrier électronique, site web, etc.) constituaient les moyens de gestion principaux des deux réseaux : d’une part, ils permettaient un contrôle du flux de travail presque en temps réel et, d’autre part, ils assuraient un suivi du réseau en tant que « système de production de résultats scientifiques et technologiques », apte à évaluer son efficacité (ou ses difficultés) par rapport aux propositions initiales du projet.

La logique de travail par objectifs contenue dans la structure du projet s’est avérée beaucoup plus complexe et difficile à réaliser face à la variété des horizons cognitifs, sociaux et institutionnels des collègues participant aux équipes de travail. Lors des premiers ateliers interdisciplinaires organisés par NECCIS et NECVAIA, nous avons identifié les écueils sur lesquels se brisaient la possibilité d’une dynamique collaborative : 1) la diversité des cadres théoriques et des approches méthodologiques (systémique, herméneutique, expérimentale, statistique, etc.) a obéré la constitution d’équipes interdisciplinaires, faute de pouvoir trouver un langage commun ; 2) l’absence de sentiment d’appartenance à un espace commun (communauté de pratiques) a été un obstacle au partage des résultats ; 3) ces difficultés ont empêché la mise en place d’une dynamique collaborative apte à dégager des solutions aux problèmes identifiés par les stakeholders. Examinons ces difficultés plus en détail.

Le défi de la construction d’un espace commun de significations et de pratiques

L’instauration d’un espace de collaboration entre des disciplines ayant des méthodologies et des cadres théoriques hétérogènes s’est heurtée à une très forte conflictualité, en particulier dans l’expérience NECCIS, de sorte que nous en détaillerons l’analyse. Ce projet a opté pour une approche systémique comme cadre général et a imposé l’utilisation du modèle de simulation DPSIR dans les échanges interdisciplinaires, pour rendre compte des relations entre les divers éléments qui composent les cas d’étude. Ce modèle postule une relation causale entre les « forces motrices » (D : driving forces) et les « pressions » (P) qui génèrent des « états » (S : states) et des « impacts » (I) physiques, chimiques, biologiques, sociaux et économiques sur le système, conduisant à des « réponses » (R). La chaîne causale allant des « forces motrices » aux « réponses » doit être à son tour décomposée en étapes pour prendre en compte les interactions et les relations multidimensionnelles afin d’en saisir toute la complexité.

En adoptant le modèle DPSIR comme cadre d’échange commun, les chercheurs en charge de la coordination des 9 WP de NECCIS, pour la plupart issus des sciences de la nature, s’attendaient à ce que : 1) les différentes disciplines dépassent leurs propres frontières théoriques grâce à l’interaction avec des collègues d’autres domaines d’expertise ; 2) chaque équipe de travail s’engage dans un dialogue avec le reste des membres du réseau, bien qu’ils appartiennent à des traditions scientifiques et institutionnelles, des configurations nationales, des hémisphères différents, etc. Le choix de ce cadre conceptuel commun a généré des tensions avec les chercheurs en sciences sociales, formés à une approche herméneutique pour analyser les significations mobilisées par les acteurs sociaux pour se représenter le facteur climatique. Les discussions ont porté surtout sur la notion de système et sur le rôle épistémologique du modèle DPSIR mis en avant par les responsables du projet qui y voyaient un moyen de conjurer la dispersion des approches inhérente à ce réseau dédié à un « problème complexe ». Le modèle DPSIR devait permettre à chacun de contribuer avec ses propres « données » à rendre compte des études de cas. Par exemple, afin d’alimenter la composante « P » (pression), un chercheur promoteur du modèle DPSIR a expliqué à l’équipe d’anthropologues de NECCIS le type de données requises :

« Ce dont nous avons besoin de votre part, ce sont des données pour construire des scénarios, des cartes d’utilisation des terres, des réseaux, des indices, quelque chose de spécifique. Peu importe comment vous les obtenez, la méthode, si vous voulez utiliser des recensements ou mener des enquêtes, peu importe ; nous avons seulement besoin des informations. »

Du point de vue des chercheurs en sciences sociales, les implications de l’utilisation du modèle DPSIR étaient principalement de deux ordres. D’une part, transformer les significations en données et les séparer de leur contexte de production revient à réifier l’action humaine et à occulter les clivages et singularités qui caractérisent les champs sociaux étudiés. D’autre part, la temporalité inhérente aux modèles de projection climatiques se fondent sur un horizon temporel hypothétique, maintenu en suspension, peu compatible avec les représentations du temps des acteurs sociaux : des projections à court terme — de quelques heures à quelques mois — aux projections à long terme dont l’horizon, selon les cas, se situe au milieu ou à la fin du siècle (2050/2100). Dans ces projections basées sur des modèles, la dimension politique n’est conçue qu’en termes d’élaboration de réglementations. Quant à l’action humaine, elle est réduite aux seules variables connues au moment où l’on fait « tourner » le modèle. Ainsi, la dimension sociale et historique qui intéresse les chercheurs en sciences sociales est éclipsée par une conception du temps qui en fait une simple coordonnée, le référent d’une temporalité linéaire où la prise de décision d’acteurs conçus comme des individus isolés n’obéirait qu’à une équation rationnelle dans une logique instrumentale (fin-moyens). En ce sens, pour l’équipe des sciences sociales, adopter le cadre conceptuel DPSIR aurait signifié réduire les phénomènes sociaux (constitués d’un réseau complexe dans lequel s’enchevêtrent les dimensions matérielles, symboliques et imaginaires de la réalité sociale) à une matrice épistémologique uniforme qui ne leur permettait en aucune manière d’aborder, dans leur singularité, les processus physiques (basés sur l’analyse des données) et les phénomènes sociaux (inscrits dans des horizons de sens). En contrepoint, l’équipe des sciences sociales suggérait l’utilisation d’une approche herméneutique, car elle permettait d’obtenir des interprétations socialement et historiquement situées sur la manière dont les agriculteurs comprenaient le changement climatique et élaboraient des stratégies pour faire face à ses effets.

Au bout d’un an, aucun espace de travail commun n’ayant été instauré, les deux approches ont été développées en parallèle. L’équipe des sciences sociales a toutefois accepté de « fournir des données et des informations de terrain » aux modélisateurs au gré des besoins qu’ils exprimaient. Cela a eu différentes conséquences. Lors des réunions annuelles du NECCIS, le contraste entre les deux approches était manifeste : les présentations des chercheurs en sciences sociales insistaient sur le rôle de la temporalité pour aborder les rapports sociaux et sur l’importance de comprendre comment les acteurs interrogent et construisent les significations et les valeurs qui participent à créer et recréer un certain ordre social. Pour leur part, les équipes utilisant DPSIR exposaient une approche synchronique des facteurs et de leurs combinaisons, dans l’optique de rendre compte de la dimension systémique des effets locaux du changement climatique. Les différences sociales était présentées à travers des graphiques d’interaction qui, bien que réductionnistes, étaient enjolivés par des effets visuels (Power Point, Prezi, Adobe, etc.) qui exerçaient un fort pouvoir de réalité sur les publics profanes. Bien que les chercheurs en sciences sociales aient fait remarquer que l’utilisation d’un cadre DPSIR pour analyser les phénomènes sociaux ne pouvait guère contribuer à leur intelligibilité, les résultats présentés dans le rapport final du projet ont privilégié ces modalités d’analyses.

Construire des solutions pour les problèmes complexes

L’écueil lié à la difficulté d’engager un dialogue épistémologique entre les disciplines impliquées dans le projet NECCIS a entravé la possibilité de créer des liens de confiance entre les chercheurs et a donc affaibli le sentiment d’appartenance à une communauté de pratiques. C’est la deuxième difficulté qui découle de la logique contenue dans la structure des projets de ce type et que nous voulons souligner ici. Pour Merton (1978) l’ethos scientifique se caractérise par la valeur du « communalisme », ce qui conduit à la création d’espaces de collaboration où la dimension collective est privilégiée. Mais dans le même temps, la reconnaissance et le prestige sont des mécanismes institutionnels qui récompensent individuellement les chercheurs pour les efforts entrepris afin d’élargir le stock de connaissances. L’équilibre entre les deux dimensions (collective et individuelle) est la clé de la constitution d’une communauté de pratiques qui partage un horizon de sens et un langage. Introduite dans la science par le monde des affaires et l’ingénierie des processus (Ayas, 1996 ; Morris, 2011), la structure de répartition du travail, bien que fructueuse pour la gestion de ces projets, ne permettait pas de créer un espace de travail commun où les chercheurs pouvaient échanger leurs connaissances disciplinaires respectives ou se confier pour partager leurs bases de données avec leurs collègues. Les tentatives faites pour surmonter ces difficultés ont été différentes dans le programmes NECCIS et NECVAIA. La stratégie mise en œuvre par le directeur général de NECCIS pour créer un espace de collaboration reposait sur une intense activité de coordination au sein du consortium et de marketing externe. Sous sa coordination, une équipe de communication et une équipe de gestion ont été mises en place, y compris l’embauche d’une secrétaire à temps plein, dans le but de diffuser des informations et d’organiser l’agenda du réseau. En outre, des spécialistes du marketing ont été engagés qui, à la manière d’une entreprise, ont créé un logo NECCIS, des brochures, des cartes de visite, le site web du projet, ainsi qu’une série de supports de présentation (vidéos, affiches, etc.) et d’articles promotionnels (valises, stylos, tasses, etc.) pour les chercheurs et les stakeholders. L’équipe de direction a insisté pour que les chercheurs utilisent ce matériel de marketing dans toutes leurs présentations, introduisant ainsi une logique de spectacle (Debord, 1967) dans la dynamique de communication entre chercheurs et entre chercheurs et stakeholders. Bien que l’association entre la production/communication de connaissances scientifiques et le marketing commercial ait fourni une image de référence commune, soutenue par les produits offerts par l’équipe de direction de NECCIS, elle a également déplacé l’horizon de signification : de l’éthos scientifique (Merton, 1978), caractérisé par le « communalisme » et le prestige, à une logique de marché, dominée par la concurrence et la commercialisation des connaissances. Cette identité construite sur des procédés relevant du spectacle a été adoptée sans autre forme de procès par la plupart des chercheurs et a permis une reconnaissance individuelle (prestige scientifique) mais n’a pas aidé à compenser les « bruits » générés par des cadres théoriques incompatibles sur le plan épistémologique ni à établir des relations de confiance.

Dans le cas du projet NECVAIA, au contraire, la construction d’un espace interdisciplinaire et intersectoriel s’est appuyée sur un dialogue qui a cherché à identifier les domaines de travail où la collaboration entre groupes d’acteurs et types de savoirs hétérogènes était rendue possible, et à repérer ceux où la collaboration n’était pas mise en œuvre. Comme aucun cadre général n’a été adopté pour l’ensemble du consortium, les chercheurs ont pu combiner des moments propres à chaque discipline, durant lesquels chaque équipe a déployé ses objectifs, ses approches et ses méthodes, avec des moments de collaboration durant lesquels les connaissances disciplinaires étaient traduites dans un langage commun, permettant ainsi d’identifier des espaces d’intersection qui ont même donné lieu à des publications interdisciplinaires conjointes.

Les écueils, les contraintes et les défis rencontrés rendent compte de l’importance de la structuration des projet imposée par les appels d’offres que les agences de financement de la recherche proposent, et de ses conséquences en termes relationnels. Cependant, les deux réseaux ont mis en œuvre cette structure de manière différente, ce qui montre également l’autonomie relative des acteurs et l’écart qui existe entre le projet et sa réalisation. L’expérience des deux réseaux met en lumière la nécessité d’impliquer tous les participants (scientifiques, acteurs de la société civile, décideurs politiques, etc.) pour définir la nature des objectifs et les modalités de la recherche, afin qu’ils puissent y engager leurs propres points de vue. En outre, comme de nouveaux participants sont appelés à se joindre au processus de production des connaissances, il convient d’adopter une organisation flexible qui permette une telle ouverture, impossible à déterminer avec précision à l’avance. Les agences de financement de la science et les réseaux internationaux de recherche devraient donc tenir compte de ces conditions : la logique de gestion devrait être subordonnée à la logique de production de connaissances socialement pertinentes et non l’inverse.

La dynamique intersectorielle, quelle appropriation des connaissances climatiques ?

Comme nous l’avons souligné dans l’introduction, l’inclusion des sciences sociales dans la problématique du changement climatique a été le résultat de l’abandon du modèle de « transfert » au profit d’un modèle de science « post-normale », afin de construire des solutions socialement légitimes à des problèmes scientifiquement complexes. Dans ce cadre, les deux projets ont postulé leur volonté de travailler avec des stakeholders répartis en deux catégories : les acteurs du secteur productif et les décideurs politiques (policy makers). Ces acteurs sont conçus comme des individus susceptibles d’utiliser les connaissances climatiques pour prendre les meilleures décisions sur la base d’une logique instrumentale. D’un point de vue méthodologique, l’accent a été mis sur la création d’instances garantissant une interaction efficace entre les scientifiques et les stakeholders (signature d’accords de collaboration, ateliers participatifs, sessions de discussions sur le climat et la société, cafés scientifiques, etc.). L’observation du déroulement de ces interactions révèle une très nette division des rôles entre les participants : la production de connaissances était du côté des scientifiques et l’intérêt du côté des stakeholders. Cette différenciation se manifestait à divers moments et de différentes manières. Par exemple, la présentation des résultats du travail collaboratif donnait lieu à des exposés séparés, ce qui mettait en scène l’appartenance des acteurs à l’une des trois catégories (académique, productif, politique). Lors des réunions annuelles en ligne, l’utilisation généralisée de l’anglais comme langue officielle des projets marginalisait la plupart des stakeholders (originaires de pays non anglophones). Cela provoquait une certaine gêne dans les espaces d’interaction consacrés à l’étude des impacts, car ce sont surtout les scientifiques qui ont fini par communiquer les expériences des stakeholders associés aux projets. Dans les ateliers participatifs organisés par les agronomes et les climatologues, les stakeholders étaient perçus par les scientifiques comme des acteurs dotés d’une rationalité à court terme, dont la connaissance du climat était simplement intuitive, et dont l’intérêt à la collaboration était basé sur une logique instrumentale (obtenir des informations pour prendre des décisions basées sur un calcul économique coût-bénéfice).

Au vu de ces dynamiques de coopération entre scientifiques et acteurs sociaux, nous souhaitons analyser deux aspects : 1) l’effet sur les inégalités existantes, soit en les renforçant, soit en les invisibilisant, et 2) la résurgence d’une vision paternaliste et civilisatrice véhiculée par un récit « adaptation au changement climatique ».

Examinons le premier aspect en citant les mots d’un important représentant du secteur agroalimentaire argentin lors de sa première présentation dans un atelier participatif organisé conjointement par NECCIS et NECVAIA en Argentine :

« Ce n’est pas nous qui avons cherché à nous impliquer directement dans ce type de projets. Ce sont plutôt les chercheurs qui sont venus soudainement nous chercher et nous ont mis la casquette de stakeholder. Nous ne savons toujours pas ce que cela signifie en espagnol [rires]. En fait, nous sommes des hommes d’affaires. On n’est pas des gars qui se promènent partout [dans les champs]. » (Notes de terrain, 10/11/2008, Buenos Aires, Argentine).

Maintenant, pourquoi ces projets ont-ils « mis la casquette de stakeholder » aux agrobusinessmen et non, par exemple, aux paysans ou aux communautés indigènes ? La présence d’hommes d’affaires s’explique par les liens préexistants entre les associations techniques de l’agrobusiness et la communauté scientifique (agronomes, climatologues, etc.) pour développer des modèles d’impact du changement climatique sur le rendement des cultures d’exportation comme le soja, le blé, le maïs et le tournesol. De tels modèles n’existent pas pour les cultures des paysans ou des communautés indigènes. La révolution verte a été au contraire le cadre d’un renforcement de l’interaction entre la science et le développement de l’agrobusiness (Gras & Hernández, 2014) ; cette interaction s’est ensuite étendue, dans le contexte du changement climatique, aux experts en modèles de simulation des cultures basés sur les agents, l’analyse de réseaux sociaux, les systèmes d’information géographique, etc. En raison des processus historiques et politiques liés à cette économie politique de la connaissance, les profils socioproductifs associés à l’agrobusiness parviennent à exprimer leurs besoins et ont une plus grande capacité à dialoguer avec le langage scientifique, au détriment d’autres acteurs productifs (agriculture familiale, agroécologie, paysans, etc.) dont les antécédents éducatifs, cognitifs et politiques les rapprochent d’autres épistémologies. Nous avons montré ailleurs (Hernández et al., 2015) que la volonté de dialoguer avec les connaissances scientifiques sur le climat est stimulée par la nature même du produit climatique : en raison des contraintes actuelles en matière de connaissances climatiques et des capacités informatiques disponibles, les modèles climatiques globaux et régionaux génèrent des projections dont la résolution spatiale s’avère extrêmement utile pour améliorer l’efficacité des investissements du point de vue de l’agrobusiness (car leurs cultures extensives sont planifiées à l’échelle régionale sur des milliers d’hectares dispersés dans différentes provinces et/ou plusieurs pays), alors que cette échelle n’est pas pertinente pour les agriculteurs familiaux ou les paysans qui planifient leurs cultures en fonction de leur espace de vie (quelques hectares ancrés dans un territoire spécifique). En effet, ces profils auraient besoin de produits climatiques à l’échelle locale car, n’ayant pas la flexibilité de diversifier géographiquement leur production, ils ne peuvent pas profiter de l’information régionale fournie par les simulations climatiques pour, par exemple, décider où louer des terres agricoles pour chaque campagne agricole. Cette capacité différentielle d’utilisation des connaissances climatiques pour générer de nouvelles stratégies productives amplifie, dans ce cas, les asymétries structurelles préexistantes.

Les dynamiques d’interaction science/société impulsées par ces réseaux témoignent de la résurgence d’une vision paternaliste et civilisatrice, autrefois mise en œuvre par les « mères patries » européennes dans leurs colonies à travers des projets de « modernisation » et de « développement économique ». Cette vision se résume dans les propos tenus par un climatologue au cours de la réunion de clôture du projet NECCIS. Faisant référence à l’esprit de coopération avec les stakeholders, il déclara que « le rôle de la science est de créer des îlots de connaissance dans une mer d’ignorance ». De ce point de vue, le dialogue que les scientifiques ont établi avec les stakeholders reproduit le modèle de « transfert » mentionné au début de cet article, alors que l’intention est précisément de le remplacer par la dynamique de la science « post-normale » promue par ces projets internationaux, interdisciplinaires et intersectoriels.

L’utilisation constante de critères techniques pour recommander des mesures politiques reproduit la hiérarchie coloniale : la science est « au-dessus » de la politique, surtout si cette dernière provient de « pays en développement » qui doivent mettre en œuvre des stratégies d’adaptation car leurs dirigeants politiques sont généralement considérés comme « corrompus ». Par exemple, les mesures de gaz à effet de serre et les scénarios projetés par les modèles de changement climatique conduisent à des recommandations concernant la nécessité de changer certaines normes socio-économiques (production, consommation, matrice énergétique, organisation des transports, processus d’urbanisation, développement des infrastructures, etc.) dans un pays donné, sans tenir compte du contexte historico-politique ou de la diversité sociale et culturelle de chaque configuration nationale. Ainsi, les inégalités sont invisibilisées entre les acteurs qui peuvent être entendus et ceux qui ne le peuvent pas, ou encore les arguments locaux sont dépréciés parce qu’ils proviennent de politiciens « corrompus » ou peu qualifiés pour comprendre les explications scientifiques.

Malgré la volonté affichée dans le libellé du projet (construire des connaissances socialement utiles), la dynamique de collaboration dans NECCIS et NECVAIA a non seulement reproduit la hiérarchie entre les connaissances scientifiques et le reste, mais a renforcé les inégalités existantes.

Maintenant, qu’est-ce que l’expérience des projets NECCIS et NECVAIA nous apprend sur les défis posés par la science de la complexité ? Comme nous l’avons déjà vu, ces réseaux adoptent une approche où les acteurs sociaux sont conçus sur la base de modèles systémiques et où les comportements sociaux et les processus décisionnels — en considérant les réseaux d’acteurs — sont analysés sous l’angle de la rationalité instrumentale, ce qui ne permet pas de clarifier la question de la construction des significations et des structures de pouvoir. Les modèles sont « alimentés » par des données sociales obtenues à partir des études de cas sélectionnées dans les projets, qui sont rarement contextualisées dans leur historicité et analysées dans leur configuration actuelle. Par conséquent, lorsque l’on fait « tourner » les modèles, cela génère des scénarios futurs basés sur des données binarisées où la réflexion sur les modes d’organisation sociale et leurs conséquences actuelles et futures est piégée par une logique prédictive, incapable de rendre compte de l’historicité conflictuelle de la société.

Les résultats de ce type, privés d’agentivité et de conflit, alimentent l’agenda mondial. À l’aide d’une matrice techno-scientifique, le phénomène est considéré dans une perspective positiviste dans la mesure où il suppose une réalité objective capable d’être transformée en données, mesurée et soumise à des modèles intégrant les processus physiques et sociaux dans un même cadre épistémique. Un nouveau grand récit est ainsi créé, étayé par des statistiques et des probabilités de scénarios futurs, projetés par des modèles climatiques couplés à des modèles décisionnels. Ce grand récit unifie les milieux sociaux et politiques dans une construction fétichisée de « l’humanité », responsable de la situation climatique et environnementale critique, laquelle nécessite des changements urgents pour éviter un destin catastrophique commun. Face à cet avenir redouté, il existe un pouvoir qui promet la protection en échange de la suprématie de la rationalité technique et scientifique. Cependant, comme nous l’avons montré dans un travail antérieur (Hernández, Fossa Riglos, 2019), la pertinence sociale (ou non) des connaissances ne peut être définie a priori au moment de la formulation du projet : elle se dégage plutôt de la communication établie entre les différents acteurs impliqués dans le processus de coproduction interdisciplinaire et intersectorielle. Le mode de production des connaissances sur le facteur climatique à différentes échelles spatiales et temporelles (locale/régionale/globale ; très court, court, moyen et long terme) dans les espaces de coopération, et le mode d’intégration des connaissances ainsi produites dans les pratiques des acteurs sociaux, forment un processus dans lequel interviennent les conditions de production des connaissances, les configurations sociopolitiques (choix des thèmes prioritaires, disponibilité des financements, géopolitique des sciences), la conjoncture environnementale (occurrence des événements extrêmes, niveau et zones d’impact, etc.) et traditions socio-structurelles (horizons de sens, capacité de décision, volonté de dialogue avec les dispositifs de recherche, etc.). En ce sens, l’objectif d’appropriation effective des connaissances expertes par les acteurs sociaux nécessite de mettre en œuvre une méthodologie capable d’intégrer l’hétérogénéité des participants. Cela implique de créer un espace de communication avec un langage commun permettant une compréhension, aussi bien en cas d’accord que de désaccord. En effet, lorsqu’on invite à intéragir des participants issus de différents milieux sociaux et différents champs de connaissance, dont les intérêts et les visions ne coïncident pas nécessairement, les défis de communication sont de nature sociale, cognitive et politique.

Il est nécessaire de critiquer le régime de vérité (Foucault, 1971), dans lequel la voix de la technoscience parle au nom de l’humanité et propose les stratégies nécessaires pour atténuer les effets du changement climatique (ou pour faire face à la crise environnementale, atteindre la souveraineté alimentaire, sauvegarder les océans, etc.). Cette voix déclenche des critères qui légitiment certaines politiques d’adaptation parce qu’elles sont efficaces et résilientes, où l’on suppose que le monde futur devrait être le même que celui d’aujourd’hui (Bonneuil, Jouvancourt, 2014).

Sur la base de l’analyse développée jusqu’à présent, nous souhaitons conclure en abordant la question des conditions nécessaires pour enclencher efficacement un processus de coproduction de connaissances socialement pertinentes.

Les défis de la coproduction de connaissances dans le cadre d’espaces sociaux hétérogènes

Après avoir souligné les contraintes d’ingénierie conceptuelle et matérielle des projets internationaux analysés, la question se pose de savoir comment créer une communication favorisant une dialectique de la question et de la réponse, typique de la pensée critique (Gadamer, 1975 ; Althabe, 1998). En d’autres termes, quelles sont les conditions nécessaires pour engager un processus de coproduction entre acteurs et types de connaissances hétérogènes, dans lequel on puisse apporter un certain éclairage sur la fabrication du consensus aussi bien que du conflit, en admettant que « le monde est comme ceci mais pourrait être différent » ?

Un premier aspect qui émerge à la lumière de cet article est que la capacité au dialogue interdisciplinaire nécessite un véritable espace de communication, c’est-à-dire non instrumental, où tous les acteurs et types de connaissances puissent exprimer leurs visions du monde et remettre en question les certitudes épistémologiques des interlocuteurs (y compris les certitudes scientifiques). En ce sens, une approche de coproduction suppose l’absence de hiérarchies épistémiques : chaque système de connaissance a ses conditions de légitimation, délimités par des critères historiquement constitués, et représente une manière d’interagir avec l’environnement, en le nommant, en l’expliquant et en l’interprétant ; autant de processus sociaux qui portent une vision du monde (Gadamer, 1975). Par conséquent, la production, la diffusion et l’appropriation des connaissances ne peuvent être analysées indépendamment de la structure sociale et politique dans laquelle ces dynamiques prennent place. Le second élément que nous voulons souligner concerne donc le rôle de la dimension politique dans la question climatique et environnementale. Tant le récit catastrophique du changement climatique que les représentations humanitaires du « monde » et de « l’humanité » en tant que totalités homogénéisées ne laissent aucune place à la représentation des « différences ». Comme nous l’avons déjà dit, le retour des grands récits sur le changement climatique (avec leurs corollaires conceptuels dans les notions d’anthropocène, d’actions anthropiques, de sociétés résilientes, etc.) et la crise qu’il entraîne suggèrent que l’humanité devrait se repenser comme un « tout » interconnecté et solidaire dans son évolution en tant qu’espèce. Comme toute autre crise, celle-ci aurait pu être l’occasion de dépasser un état (critique) au profit d’une nouvelle configuration ; par exemple, dépasser l’intermède post-structuraliste qui soulignait la diversité comme distance sociale et le processus d’individualisation comme fragmentation, et construire, sur la base de cette « histoire humaine commune et conflictuelle », la diversité comme pluralité/différence et l’individualisation comme moment complémentaire et nécessaire de la dynamique sociale. Cependant, étant donné l’incapacité de provoquer des transformations radicales dans la trajectoire de développement des sociétés contemporaines, cette alternative ne semble pas se consolider. En effet, bien que le réchauffement climatique soit socialement produit comme un phénomène qui nous affecte en tant qu’espèce, le récit actuellement hégémonique place le changement climatique dans un horizon de sens limité par le binôme urgence/catastrophe où les actions sociales acquièrent leur légitimité dans le répertoire biologiste et humanitariste : « sauver l’humanité ». Et, comme l’affirment les études anthropologiques (Hours, 2012 ; Agier, 2006), l’humanitaire repose sur deux fictions aux conséquences politiques majeures : 1) « l’humanité » comme identité sous laquelle seraient subsumés les antagonismes (de classe, de genre, etc.) et 2) la transparence entre universalisme idéologique et globalisation organisationnelle qui invisibilise l’inégale répartition de l’ensemble des organisations, réseaux, agents et moyens financiers entre les pays. Ainsi, tant que la possibilité de nous concevoir comme un tout reste subordonnée à la classification biologique (nous sommes une espèce menacée) et à l’idéologie humanitariste, le rôle du système capitaliste reste éloigné de l’horizon analytique. En ce sens, comme le souligne Agier (2006), « le consensus devient totalitaire ; la dissidence est minimisée ou marginalisée, car les victimes ne sont pas des « autres » reconnus par leur propre voix mais parlés par « l’humanité » ». Ces voix écrasées et invisibilisées ne pensent pas en termes de « développement d’énergies alternatives », d’« utilisation efficace des ressources » ou de « stratégies pour assurer la sécurité alimentaire », mais remettent en question le modèle de consommation et proposent d’autres termes pour concevoir les problèmes à affronter : « la fracture Nord-Sud », « la spéculation financière sur le marché des matières premières », « l’accaparement des terres et des eaux », « la souveraineté alimentaire », « la dépendance et la reprimarisation des industries extractives », etc. Pour une critique de la raison technocratique et de son corrélat, la post-politique du sauvetage (dont l’archétype est l’ONG), il est nécessaire non seulement de considérer sérieusement le rôle de la politique, concernant les décideurs politiques ou les agences de régulation étatiques, mais aussi d’inclure la dissidence sous-jacente, le conflit exprimé dans des luttes spécifiques, et l’antagonisme structurel. Nous pouvons ainsi examiner les grands récits du monde global et révéler les logiques du pouvoir et les logiques des processus politiques ainsi que leurs effets, lorsqu’il s’agit de penser les défis du changement climatique et le type de transformations (soit technocratiques, soit émancipatrices) qu’ils impliquent.

Enfin, nous aimerions revenir au point de départ : si l’intention est de produire des connaissances capables de rendre compte de la crise climatique en intégrant les différences (et pas seulement la diversité) entre les points de vue des acteurs dans la dynamique de la coproduction interdisciplinaire et intersectorielle, il est essentiel de mener une réflexion critique sur les conditions de construction d’un espace de communication. Le processus de coproduction de connaissances met en jeu la dimension culturelle et politique des champs sociaux ; il s’agit donc d’un défi cognitif qui remet directement en question la structure du pouvoir. Les groupes interdisciplinaires et intersectoriels qui relèvent le défi doivent disposer d’un espace de réflexion sur la manière dont ils vont le relever.

Cette perspective épistémique et politique implique de renoncer à une position de neutralité scientifique typique de la tradition positiviste (fondée sur l’idéal de progrès) pour assumer pleinement que la science fait partie du champ agonistique en jeu dans les sociétés de l’économie de la connaissance. Dans ce cas, les dispositifs que nous avons analysés dans cet article, en ignorant ce défi, jouent un rôle clé dans le soutien/la reproduction/la légitimation des processus sociaux, politiques et économiques qui ont abouti à l’état de crise actuel qu’ils tentent de surmonter.

Remerciements

Cette recherche a été soutenue par l’Institut de recherche pour le développement (IRD, France) et le septième programme-cadre de l’Union européenne (7e PCRD). Nous tenons à remercier tous les chercheurs et institutions qui ont participé et collaboré au processus de recherche.

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Notes

[1] Dans La structure des révolutions scientifiques, Kuhn explique que la pratique de la recherche, guidée par un paradigme dominant, est particulièrement féconde pendant la période de la « science normale ». Le paradigme entre en crise lorsque les problèmes non résolus s’accumulent et que les nouveaux défis posés par les sociétés ne trouvent pas de réponse. Un nouveau paradigme commence à émerger au sein de la communauté scientifique ; puis une révolution se produit et ce paradigme est adopté comme une nouvelle vision du monde, avec son cadre théorique-conceptuel et ses méthodes pour aborder les questions de recherche.

[2] A notre connaissance, il n’existe à ce jour que deux initiatives de financement de projets dirigés par des chercheurs en sciences sociales : « Science with and for Society » Horizon 2020 et JPI Solstice. Ils peuvent être consultés respectivement sur les sites suivants : https://ec.europa.eu/programmes/horizon2020/en/h2020-section/science-and-society ; http://jpi-climate.eu/SOLSTICE.

[3] Les noms utilisés pour désigner ces projets sont fictifs.

[4] Cette équipe comprenait, outre les deux auteures de cet article, Eugenia Muzi et Laura Rey.

[5] Plus précisément, nous avons documenté : les réunions internes des équipes de travail et entre les différentes équipes au sein des réseaux ; les sessions de formation destinées aux chercheurs, aux acteurs locaux avec lesquels les équipes d’experts interagissaient, et aux décideurs politiques ; l’interaction avec d’autres consortiums internationaux ; les activités sur le terrain et les ateliers participatifs pour discuter des résultats avec les acteurs locaux ; la production de matériel de diffusion (brochures, livrets, imprimés, présentations, publications) ; et la préparation de rapports techniques/scientifiques. Au total, plus de 1000 notes de terrain ethnographiques ont été produites sur les activités des deux réseaux, 40 rapports d’avancement ont été soumis aux agences de financement, 20 documents aux acteurs locaux. Enfin, 286 entretiens non structurés ont été menés auprès des chercheurs du réseau, des agriculteurs et des décideurs politiques.


Auteures / Authors

Valeria HERNÁNDEZ, docteure en ethnologie et anthropologie sociale (EHESS, Paris), est chercheure à l’Institut de Recherches pour le Développement (Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques – UMR 245 IRD, Université de Paris, Inalco, France). Elle a mené des recherches en France et en Argentine sur les relations entre la science, le marché et l’État dans le contexte de la globalisation. Ses recherches portent sur les processus de globalisation en milieu rural, la question climatique et la coproduction de connaissances pour le développement de systèmes agro-écologiques. Elle est actuellement représentante de l’IRD pour l’Argentine et codirige (avec Carla Gras) le Programme Études rurales et globalisation à l’Universidad Nacional de San Martín (UNSAM, Argentine).

Valeria HERNÁNDEZ, PhD in Ethnology and Social Anthropology (EHESS, Paris), is a researcher at the Institut de Recherches pour le Développement (Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques – UMR 245 IRD, Université de Paris, Inalco, France). She has conducted research in France and Argentina on the relationship between science/market/state in the context of the globalisation process. Her research focuses on globalisation processes in rural areas, the climate issue and the co-production of knowledge for the development of agro-ecological systems. She currently serves as IRD Representative for Argentina, and co-directs (with Carla Gras) the Rural Studies and Globalisation Programme (PERyG), based at the Universidad Nacional de San Martín (UNSAM, Argentina).

María Florencia FOSSA RIGLOS est doctorante en anthropologie sociale à l’UNSAM-IDAES (École interdisciplinaire d’études sociales, Université nationale de San Martín, Argentine), et chercheure au Programme Études rurales et mondialisation (PERYG). Elle a participé à des projets de recherche internationaux, interdisciplinaires et intersectoriels, sous la direction du Dr Valeria Hernández, menant des recherches anthropologiques sur les systèmes de production du secteur agricole argentin, leur durabilité et leurs implications dans le contexte du changement climatique, ainsi que sur le développement des processus de coproduction de connaissances.

María Florencia FOSSA RIGLOS is a PhD student in Social Anthropology at UNSAM-IDAES (Interdisciplinary School of Social Studies, National University of San Martín, Argentina), and a researcher at Rural Studies and Globalisation Programme (PERYG). She has participated in international, interdisciplinary and intersectoral research projects, under the direction of Dr. Valeria Hernández, conducting anthropological research on Argentinean agricultural sector production systems, their sustainability and implications in the context of climate change, as well as knowledge coproduction processes development.


Résumé

Cet article analyse les implications épistémologiques et politiques de la production de connaissances sur le climat et ses impacts socio-environnementaux dans le cadre de réseaux internationaux de recherche collaborative. L’inclusion des sciences sociales dans les projets abordant la question climatique a été promue dans les agendas mondiaux sur la base qu’il s’agit d’un problème complexe qui doit être traité par des équipes interdisciplinaires et intersectorielles afin de construire des solutions socialement légitimes. À partir de l’analyse de deux réseaux de recherche interdisciplinaires et intersectoriels sur le climat et ses impacts, nous abordons les défis auxquels sont confrontés la science de la complexité et les propositions favorisant la coproduction des connaissances au sein de groupes sociaux hétérogènes. Compte tenu de ces défis, l’article insiste sur la nécessité d’aller au-delà de l’approche technocratique du changement climatique pour rendre compte de sa constitution en une question historiquement située et politiquement contestée.

Mots clés

Changement climatique – Transdiscipline – Coproduction de connaissances – Science post-normale.

Abstract

This work reflects on the epistemological and political implications of knowledge production on climate and its socio-environmental impacts in the framework of international collaborative research networks. The inclusion of social sciences in projects addressing the climate issue was promoted from the global agendas and based on its definition as a complex problem which must be addressed by interdisciplinary and intersectoral teams in order to build socially legitimate solutions. Basing on the analysis of two interdisciplinary and intersectoral research networks focused on the climate issue, we address the challenges faced both by complexity science and the proposals promoting knowledge coproduction within the framework of heterogeneous social groups. Considering these challenges, the article emphasizes the need to go beyond the technocratic approach to climate change to account for its constitution as a historically situated and politically disputed issue.

Key words

Climate change – Trans-discipline – Knowledge coproduction – Post-normal science.