Actions et initiatives du FACT : le réseau des experts de la construction en terre au Sahel

VANDERMEEREN Odile
Ingénieure architecte, cofondatrice du réseau Fact Sahel+, coordinatrice de l’association Archisanat

GAUZIN-MÜLLER Dominique
Architecte-chercheure, Laboratoire de recherche en architecture, École nationale supérieure d’architectes de Toulouse (France)

BELINGA NKO’O Christian
Architecte, chercheur associé au Centre international de la construction en terre de l’École nationale d’architecture de Grenoble (CRAterre-ENSAG), France

SACKO Oussouby
Inscrit à l’Ordre des Architectes du Mali (OAM), membre expert d’ICOMOS-ISCEAH et d’ICOMOS-ISCARSAH, président de l’Université de Kyoto Seika (Japon)


ARDD-1-2021 – Développement durable : recherches en actes

Institutions, organisations, réseaux


Pour citer cet article

VANDERMEEREN O., GAUZIN-MÜLLER D., BELINGA NKO’O C. & SACKO O. : « Actions et initiatives du FACT. Le réseau des experts de la construction en terre au Sahel », Actes de la recherche sur le développement durable, n°1, 2021.
ISSN : 2790-0355 (version en ligne) — ISSN : 2790-0347 (version imprimée)
URL : https://publications-univ-sud.org/ardd/2021/12/587/
DOI : (en cours d’attribution)


Texte intégral

Actions et initatives du FACT : le réseau des experts de la construction en terre au Sahel

par Odile VANDERMEEREN, Dominique GAUZIN-MÜLLER, Christian BELINGA NKO’O & Oussouby SACKO

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La terre crue, un matériau ancestral pour inventer l’avenir

Devenir de bons ancêtres

Depuis deux ans, des millions de jeunes manifestent régulièrement dans les rues du monde entier pour dénoncer le gaspillage des ressources, pour alerter quant à la pollution de l’air et de l’eau, et nous enjoindre de changer de cap afin de préserver leur avenir. Il est à la fois terrible de voir que des enfants sont plus lucides que leurs parents et rassurant d’entendre leurs propos si pertinents et de constater leur envie d’agir.  « Il est temps pour l’humanité de reconnaître une vérité dérangeante : nous avons colonisé le futur […]. Comment devenir les ancêtres bons que les générations futures méritent ? » (Krznaric, 2020).

1. Photo de FACTmille lors du Forum annuel des acteurs et membres du réseau FACT Sahel+ en 2020
© Nicolas Réméné, 2020

Le béton oui, mais avec parcimonie

Le secteur du bâtiment est responsable, au niveau mondial, d’environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre et 36 % de la consommation totale d’énergie (PNUE, 2018). Depuis un siècle, le béton est symbole de progrès et de modernité. C’est un merveilleux matériau, si utile pour la construction d’ouvrages d’art, de fondations et de certains systèmes porteurs. Son utilisation à l’échelle des besoins de construction mondiaux est cependant de plus en plus remis en cause. Une des critiques est relative aux grandes quantités de sable nécessaires pour le produire : le sable est devenu si rare, que des plages sont pillées au Maroc, au Ghana et ailleurs. Par ailleurs, environ 8 % des émissions de gaz à effet de serre responsables du réchauffement de la planète sont imputés à la fabrication du ciment. Utilisons donc le béton armé avec parcimonie, dans les ouvrages pour lesquels il est indispensable, et préférons pour le reste des matériaux économes en énergie. Lors d’une construction ou d’une rénovation, les choix doivent désormais tenir compte des ressources localement disponibles : bois, bambou, typha, pierre… ou terre crue !

La construction en terre, une tradition millénaire

La terre crue et ses savoirs ancestraux ont généré en Afrique un magnifique patrimoine aux rangs desquels d’illustres monuments et ensembles comme la mosquée d’Agadez au Niger, le tombeau des Askias au Mali, le ksar Ait Ben Adou au Maroc, etc. Autant de merveilles reconnues par l’Unesco comme patrimoine mondial de l’humanité. La terre crue, qui a de nouveau le vent en poupe dans le monde, est promise ici à un bel avenir. Les matériaux de construction à base de terre créent localement des emplois, dynamisent l’économie et réduisent ainsi l’exode vers des villes déjà saturées. La vraie richesse du Sahel et des pays qui l’entourent se trouve dans la mosaïque culturelle et dans la vivacité de sa jeunesse, véritable force créatrice qui perpétue le savoir-faire des anciens.

Les multiples avantages de la terre crue

Connus de manière empirique depuis des millénaires, les multiples avantages de la terre crue sont aujourd’hui vérifiés scientifiquement. Cette matière première, abondante et recyclable, provient de la dégradation de la roche mère. Son extraction est facile, même avec des outils rudimentaires, et sa transformation en matériau de construction nécessite peu d’énergie. Le transport est souvent nul, car la ressource est disponible sur place. Facile à travailler, la terre est bien adaptée à l’autoconstruction et à des chantiers participatifs. Elle est compatible avec les autres matériaux et très appréciée en rénovation.

De nombreux monuments vieux de plusieurs siècles prouvent que la terre est un matériau mécaniquement performant, et qu’il résiste aux intempéries quand il a été mis en œuvre conformément aux règles de l’art. Les différentes techniques utilisées — adobe, bauge, torchis, pisé, BTC, etc. — sont souvent adaptées aux granulométries variées de la matière première trouvée localement. Si elle n’est pas stabilisée avec du ciment ou de la chaux, la terre peut être recyclée quand le bâtiment arrive en fin de vie. Après la démolition des murs, la masse de terre peut être mélangée au sol du site ou réutilisée pour une nouvelle construction.

2. Terres et pigments naturels destinés aux décorations des maisons en terre, lors du festival annuel « Bogo Ja »
organisé à Siby, au Mali, par le FACT Sahel+
et Bougou Saba. © Nicolas Réméné, 2020

Un matériau vivant et apaisant

La terre absorbe odeurs et bruits, et ne diffuse aucun produit toxique. Sa présence garantit un climat intérieur sain : elle absorbe l’humidité en excès, la stocke puis la restitue quand l’air devient trop sec. Par ailleurs, l’inertie thermique des murs en terre ralentit considérablement les échanges de chaleurs entre intérieur et extérieur, procurant un abri indispensable au Sahel, où les températures sont plus écrasantes chaque année.

Matériau vivant et agréable au toucher, la terre séduit un nombre croissant d’architectes et de clients pour la beauté de sa texture brute. Sa vaste palette de couleurs s’étend du gris foncé au jaune éclatant, en passant par de multiples nuances de rose et le rouge intense de la latérite. Dans ses nouveaux usages, de plus en plus fréquents et diversifiés, la terre est porteuse d’une modernité frugale, qui contribue à inventer l’avenir.

Un réseau qui inscrit la construction en terre crue sur le marché du BTP 

Le FACT, un réseau participatif qui prend forme

Le réseau FACT Sahel+ (Forum des Acteurs de la Construction en Terre) est né de la mobilisation des acteurs de trois pays : Mali, Niger et Burkina Faso. L’architecture en terre, leur dénominateur commun, les relie aussi aux autres pays du Sahel et à leurs voisins, invités à rejoindre le réseau. Les membres du FACT sont architectes ou maçons, artisans ou fonctionnaires, ingénieurs ou artistes, urbanistes ou entrepreneurs… Ensemble, ils mettent en place une méthode participative de promotion de la construction en terre crue.

Convaincre le marché du BTP

Le FACT Sahel+ rapproche les savoir-faire de la construction en terre crue avec le marché du BTP d’aujourd’hui. Il participe à son essor dans cette région, loin des idées reçues qui véhiculent l’image de bâtiments fragiles ou précaires. Le secteur de la construction est, en Afrique de l’Ouest, en pleine activité, principalement en zone urbaine. Nombreuses sont les grandes entreprises du BTP qui maîtrisent le béton et l’acier. Mais il leur reste encore une étape à franchir pour rejoindre les précurseurs qui agissent sur les grands enjeux environnementaux et sociétaux de notre époque : s’allier l’expertise des spécialistes de la construction en terre. La région sahélienne et subsaharienne peut profiter de sa chance : pouvoir s’appuyer sur des pratiques constructives encore répandues, sur le savoir-faire de maîtres maçons respectés et sur un réseau d’acteurs engagés. Dans le secteur du bâtiment, les premiers qui proposeront une offre concurrentielle décrocheront tous les marchés, car les questions énergétiques et l’utilisation de nos ressources naturelles sont devenues des enjeux cruciaux.

3. Le savoir-faire professionnel de construction en terre : exemple de démonstration de la réalisation de murs
en blocs de terre comprimée (BTC)
en 2020, lors du festival annuel « Bogo Ja », organisé à Siby, au Mali,

par le FACT Sahel+ et Bougou Saba. © Nicolas Réméné, 2020

4. Lodge en géo-béton (BTC) à Assinie, en Côte d’Ivoire, soigneusement construit par Philippe Romagnolo
et son équipe du cabinet Art’terre
en 2010. © Odile Vandermeeren, 2019

Émergence d’une filière terre au Sahel et alentour

Rapprocher l’offre et la demande

Au Sahel, les entreprises spécialisées en construction en terre se multiplient et de nombreux projets voient le jour. Une véritable filière terre émerge malgré de nombreux obstacles : manque de reconnaissance, de formation, de réglementation, etc. Son essor dépend de la mise en relation entre les clients potentiels et les experts pour favoriser son développement à plus grande échelle.

Forts de ce constat, les acteurs de la région veulent faciliter, à travers le réseau FACT, les échanges entre les différents intervenants des projets de construction. Le réseau s’engage à prendre en compte les cultures constructives de la région au service d’une architecture contemporaine en terre pour offrir une large palette de solutions innovantes aux populations, qu’elles soient rurales ou urbaines, modestes ou plus aisées.

Le réseau FACT Sahel+ a pour ambition de faire le lien entre offre et demande (privée et publique) grâce à un panel de compétences larges et complémentaires. Il est composé de femmes et d’hommes, artisans, décorateurs, artistes, étudiants, enseignants, producteurs de matériaux, entrepreneurs, ingénieurs et architectes ainsi que d’ONG et associations de constructeurs. La pluridisciplinarité de ses membres est un atout important pour le développement et la pérennisation de l’architecture en terre au niveau local et régional.

De nombreuses opportunités

Le nombre des membres du FACT Sahel+ s’accroît presque quotidiennement. C’est le signe d’un regain d’intérêt pour la construction en terre mais également de l’émergence de nombreux acteurs qui agissaient depuis longtemps mais de manière isolée. La mise en réseau offre l’opportunité de trouver facilement, près de chez soi, des techniciens qualifiés et compétents, en capacité de réaliser, dans les règles de l’art, un projet de construction avec le matériau terre.

En termes d’impact, le réseau FACT Sahel+ est aujourd’hui reconnu, et ses membres sollicités pour intervenir dans les projets utilisant des matériaux locaux dans la construction. Ce sont des professionnels dont le carnet de commande se remplit à mesure que le réseau se fait connaître.

Alors qu’il devient évident que la terre crue s’inscrit aujourd’hui dans le marché de la construction pour une architecture durable et responsable, des efforts restent cependant à faire pour la mise en place de cadres réglementaires et normatifs adaptés, nécessaires pour faciliter à la fois le développement du marché privé et la commande publique.

5. Les experts du FACT Sahel+, des acteurs engagés aux profils variés. © Nicolas Réméné, 2018

Sensibilisation du grand public pour promouvoir la construction en terre

Le TERRA Award Sahel+

Le FACT a lancé en 2018 le TERRA Award Sahel+, premier prix international des architectures contemporaines en terre crue au Sahel et dans les pays limitrophes. Ce concours met en lumière des projets de la grande région du Sahel, dont tous les pays partagent les mêmes contraintes climatiques et les mêmes opportunités économiques, culturelles, environnementales et humaines. Le résultat du TERRA Award Sahel+ reflète le dynamisme de ce secteur en Afrique de l’Ouest. Ses finalistes sont valorisés dans une exposition itinérante et un livre intitulés Construire en terre au Sahel aujourd’hui (Vandermeeren et al., 2020). Une cinquantaine de projets issus de douze pays y révèlent le nouveau visage de l’architecture en terre, avec une image contemporaine mais forte de son identité culturelle. Une part de chaque maçon, artisan et bâtisseur, de chaque consœur et confrère architecte, ingénieur ou artiste est sensible dans les pages du livre Construire en terre au Sahel aujourd’hui et à travers le réseau. Derrière ces bâtiments inspirants, on découvre des hommes et des femmes de terrain passionnés par leur métier, des maîtres d’ouvrage ouverts et courageux et des experts dont le travail de longue haleine est enfin mis à l’honneur. Tous s’interrogent sur le futur à léguer aux prochaines générations et veulent construire le monde de demain avec ingéniosité, dans le respect de leur territoire et de sa culture.

Construire en terre au Sahel aujourd’hui

Plusieurs similitudes flagrantes sont sensibles dans la sélection des magnifiques bâtiments de l’exposition et du livre associé. La raréfaction des ressources en eau, en électricité et en bois est un facteur qui sollicite le génie humain, stimulé pour réinventer la matière. Par ailleurs, de nombreuses équipes proposent un projet global incluant l’aménagement des espaces extérieurs, la présence du végétal, l’orientation par rapport aux vents dominants, etc. La prise en compte des éléments naturels et la recherche d’harmonie sont révélatrices d’un impératif qui ne peut plus être ignoré : la considération de la nature qui nous entoure.

Les concepteurs et bâtisseurs finalistes du TERRA Award Sahel+ utilisent tous les atouts du matériau terre pour nous livrer des immeubles sains, confortables et économiques, optimisés du point de vue thermique et énergétique. En effet, la matière première utilisée pour construire est disponible sur place, les matériaux sont naturels et ne dégagent pas de particules toxiques. L’inertie des épais murs en terre crue permet de diminuer, voire de supprimer les coûts de la climatisation, allégeant ainsi les factures d’électricité. Par ailleurs, les édifices en terre « respirent » et régulent l’hygrométrie, ce qui les rend particulièrement agréables à vivre.

6. « Le vrai luxe, c’est la nature » est le slogan de l’écolodge
Le Campement Kangaba à Bamako, au Mali.

© Odile Vandermeeren, 2018

7. Quatrième de couverture et couverture du livre Construire en terre au Sahel aujourd’hui.
© Museo et FACT, 2020

Les canaux de communication du FACT Sahel+

Des échanges numériques professionnels et conviviaux

Un des objectifs du FACT Sahel+ est d’améliorer la visibilité des professionnels et de favoriser les échanges entre eux. Pour y arriver, le réseau met à profit les aspects positifs de la digitalisation en utilisant les canaux de communication numériques. Ces échanges virtuels créent la collectivité au-delà des frontières terrestres. Le transfert d’informations entre les membres du FACT, au sein du réseau lui-même, est aussi convivial et spontané que technique et professionnel. La méthode est participative. Ce sont ses membres qui communiquent à travers les plateformes et échangent sur leurs activités et sur les résultats atteints à travers projets et constructions. Ces informations fournissent de la matière aux supports de médiatisation et de sensibilisation sur les potentiels de la construction en terre.

Ensuite, ces actions et les outils développés par le FACT pour le public extérieur sont diffusés sur des canaux de communication organiques, sur les réseaux sociaux, touchant ainsi des générations diverses et des profils variés. Grâce au numérique et à la digitalisation, la question du territoire dépasse les limites administratives. Par ce biais, le FACT peut fédérer et créer la cohésion nécessaire à travers le Sahel et les pays limitrophes.

Ainsi, « […] à l’heure de la virtualisation des techniques, de l’information et de son traitement, on peut être en droit de se demander si l’espace géographique reste toujours aussi déterminant. Sous nos yeux, une évolution progressive mais inéluctable semble à l’œuvre » (Babinet, 2018).

Les deux pieds dans la terre

À l’opposé de cette communication virtuelle, les pratiques des experts du FACT s’ancrent aussi dans leur terroir grâce au matériau terre. Comme l’a souligné Elvira Pietrobon lors d’un forum FACT : « Construire en terre, c’est tout à la fois : rétablir un lien avec le territoire, sensibiliser la population aux défis du futur, dessiner un territoire entier en le pensant comme une entité cohérente, symboliser une idée de culture et d’habiter » (Pietrobon, 2020).

Il s’agit donc d’être à la fois « avec » et « parmi » : être acteur à plusieurs niveaux, agir à différentes échelles, décloisonner les pratiques et partager les courants de pensées.  Le FACT se révèle à la fois un vecteur « transfrontalier » et, en même temps, « local et citoyen ».

Des activités et des outils intergénérationnels

Le FACT est engagé dans diverses activités de communication, sensibilisation, promotion, formation et transfert de savoirs entre professionnels au travers de colloques, expositions, festivals, chantiers, workshops, publications, expérimentations, etc., à l’instar de l’exposition itinérante et de l’ouvrage Construire en terre au sahel aujourd’hui. S’il crée des outils numériques pour la sensibilisation sur le matériau terre et pour faire connaître son réseau de professionnels, il soutient aussi des manifestations plus populaires. Le FACT coorganise ainsi avec l’association Bougou Saba le festival Bogo Ja, un événement visant à la fois la diffusion de l’identité culturelle et architecturale et la préservation de l’environnement autour de la décoration de maisons en terre de Siby, au Mali. Ce concours est porté par les femmes qui refont chaque année les enduits en terre de leur concession : elles ont transformé cet acte domestique en jeu, à l’échelle du village. Le geste saisonnier mis à l’honneur symbolise le soin apporté à l’habitat, donc à la famille. Le FACT propose également de nombreux stages et ateliers aux enfants pour leur faire découvrir, de façon ludique, instinctive et palpable, les potentiels intrinsèques des matériaux naturels. 

8. L’exposition et le livre Construire en terre au Sahel aujourd’hui sont des outils
de communication très percutants utilisés par le réseau FACT Sahel+
© Nicolas Réméné, 2020

9. La performance de l’éphémère Bogo Ko nous inspire cette pensée présente à chaque instant dans la vie quotidienne au Sahel :
« Nous venons de la terre et nous retournerons à la terre». Fatoumata Bagayoko, Compagnie Jiriladon
et Massira Toure
pour FACT Sahel+ et Bougou Saba.
© Nicolas Réméné, 2020

10. Ateliers didactiques, stages cabanes et expériences scientifiques ont été organisés pour la jeunesse en 2020 lors du festival
« Bogo Ja » à Siby,
au Mali, par le FACT Sahel+ et Bougou Saba. © Nicolas Réméné, 2020

11. Be Terre or Be Square : Les clips 360° font partie des outils de communication et de promotion qui accompagnent
l’exposition
Construire en terre au Sahel aujourd’hui. © Nicolas Réméné, 2020.
Vidéo FACT clip 360° Nanagaleni (à voir ici)

12. Peintures en terres et pigments naturels lors du festival « Bogo Ja » à Siby, au Mali, organisé par le FACT Sahel+
et Bougou Saba.
© Nicolas Réméné, 2020

Nouvelle approche de la construction

Trois étages en terre sans structure en béton

Dans le livre Construire en terre au Sahel aujourd’hui, quelques projets choisis avec soin sont illustrés en bande dessinée pour mettre en évidence les étapes de chantier et les techniques de construction. Parmi les techniques les plus connues et utilisées en Afrique de l’Ouest, on distingue l’adobe (brique de terre crue) et la brique de terre comprimée (BTC). Une dualité est accentuée en schématisant ces modes constructifs afin de mettre en évidence que ces deux techniques peuvent être mises en œuvre sur plusieurs étages avec une structure en béton armé et même sans, ce qui est plus écoresponsable. Il est important de démontrer que les performances structurelles peuvent être compétitives sans poteaux en béton, comme pour l’hôtel Nanagaleni à Koulikoro, au Mali, qui est construit uniquement en murs d’adobe. Tout est bon pour faire prendre conscience au public que les peurs et les incertitudes qui entourent le matériau terre peuvent être facilement surmontées, car elles ne sont pas fondées. Quant aux édifices en BTC, certains atteignent trois niveaux sans structure en béton armé, tel l’hôtel Le Djoloff à Dakar, au Sénégal.

13. L’hôtel Nanagaleni, au Mali, est construit en adobe sans poteaux en béton.
Dessin © Julien Batendeo avec Odile Vandermeeren – Photo © Nicolas Réméné, 2018
14. L’hôtel Le Djolof, au Sénégal, a été réalisé en BTC sans poteaux en béton.

Dessin © Julien Batendeo avec Odile Vandermeeren – Photo © Nampemanla, 2018

Métamorphoser l’acte de construire

Si nous considérons les difficultés de notre époque comme des chances offertes à l’humanité de renouer avec des valeurs locales, les matériaux de construction comme la terre, le bois et la pierre ont un rôle très important à jouer dans la « métamorphose de l’acte de construire » (Bornarel et al., 2018). Quelle que soit la forme sous laquelle elle est utilisée, la terre est un matériau tant local que global. Elle nous permet à la fois de dialoguer avec notre passé, de réfléchir à notre présent et d’envisager notre avenir. La diversité de sa mise en œuvre à travers les différentes cultures doit nous faire reconnaître son impact sur l’architecture d’hier et d’aujourd’hui. La terre, par ses qualités naturelles et par son adaptation culturelle, doit être reconsidérée de manière complète. Elle doit surtout être envisagée comme un matériau offrant une réponse aux enjeux climatiques, économiques et sociétaux auxquels nous devons faire face aujourd’hui.

Des architectures sans âme ni souffle

Dans son expansion mondiale, l’architecture moderne a brisé les ponts avec une architecture  artisanale et non rentable. Dans ce contexte globalisé, l’utilisation du béton, du verre et de l’acier au Sahel a pour conséquence la production d’architectures en rupture avec le milieu socioculturel, et avec les réalités climatiques. Cette standardisation a favorisé l’émergence d’un environnement bâti coupé des traditions et sans lien avec les hommes qui doivent l’utiliser. Elle a créé des architectures sans identité, coupées de leur milieu et de leurs usagers, et des agglomérations de bâtiments sans âme ni souffle.

Le processus est plus important que le produit

À travers les pays et les cultures, l’architecture porte en elle une responsabilité sociale. Elle implique un devoir de transmission. Les maîtres de la terre évoquent tous le côté magique de ce matériau, grâce à son adaptabilité aux climats et surtout à son caractère bioréactif. A Djenné, les processus de construction des bâtiments en terre contiennent une part d’invisible, comme des techniques spirituelles, des éléments intangibles ou des codes partagés au sein de la communauté des maçons, appelée barey-ton. Ces pratiques et leur transmission sont plus importantes que le bâti physique. La protection du site et de la maison constitue un processus spirituel important. Les maçons procèdent à des rites magiques pour purifier le site, dispersent un mélange de plusieurs céréales sous les fondations et font des prières au moment de poser le premier tas de terre. Ces interventions sont à la fois liées à un savoir-faire extérieur palpable et à un savoir-faire intérieur que l’on ne maîtrise pas. Dans ce sens, la transmission des savoirs doit se faire d’un maître maçon à un apprenti sensible à la spiritualité de la pratique.

Le rivage des possibles

Les bâtiments présentés dans l’ouvrage Construire en terre au sahel aujourd’hui permettent de redécouvrir la diversité esthétique et architecturale de la terre. Bien mieux que le béton, elle permet de jouer sur le sens de la vie et sur la diversité des formes et des modes d’utilisation. Grâce à une meilleure compréhension de ce matériau et à son utilisation pertinente, nous pourrons faire évoluer notre rapport à la construction. Cette redéfinition doit être comprise comme une chance offerte à l’humanité de retrouver ses valeurs, de se réapproprier son milieu de vie et de penser son futur.

C’est pour participer à cette transition que le FACT Sahel+ milite et fédère autour de la construction en terre, établissant un lien sensible avec le territoire et le terroir. D’ailleurs, le mot Sahel, qui signifie « rivage » en arabe, nous place face à l’étendue des possibles qui s’offrent encore à nous.

15. Le Sahel désigne une bande de l’Afrique marquant la transition, à la fois floristique et climatique, entre le Nord et le Sud.
Cette situation a inspiré ce dessin réalisé par le réseau FACT Sahel+ pour sa communication.
© Odile Vandermeeren et Lara Briz, 2020

Bibliographie

Références citées

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URL : https://www.institutmontaigne.org/blog/la-fin-de-letat-nation-partie-1-les-glissements-de-souverainete-induits-par-la-technologie

Bornarel Alain, Gauzin-Müller Dominique & Madec Philippe (2018). Manifeste de la frugalité heureuse et créative [publié en ligne]. URL : https://frugalite.org/include/telechargement/le-manifeste.pdf

Pietrobon Elvira (2020). « Architecture en terre, développement urbain et émergence écologique dans la région du Mandé ». Communication au Forum Fact Sahel+, Siby (Mali), 14 février 2020.

Krznaric Roman (2020). « Comment être un bon ancêtre ». Conférences Technology Entertainment & Design (TED). [vidéo mise en ligne le 20/10/2020].           
URL : https://ted.com/talks/roman_krznaric_how_to_be_a_good_ancestor/transcript?language=fr#t-120826

PNUE (2018) : « COP24 : le secteur du bâtiment et de la construction, un potentiel inexploité », ONU Info [en ligne]. URL : https://news.un.org/fr/story/2018/12/1031211

Sélection bibliographique pour aller plus loin

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URL : https://craterre.hypotheses.org/files/2017/05/7752_Tombeau_Askia.pdf

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Sites web et vidéos en ligne

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URL : https://www.youtu.be /uWlnmW_rmmk

Frugalité heureuse et créative : https://www.frugalite.org

Réseau FACT Sahel+ : https://www.factsahelplus.com

Terre d’Afrique et architecture : Outils didactiques et film didactique Terre d’Afrique et architecture. URL : https://terredafriqueetarchitecture.wordpress.com/1_outils-didactiques/

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Auteurs / Authors

Odile VANDERMEEREN, ingénieure architecte belge, travaille depuis plus de douze ans en Afrique et en Europe dans une même philosophie : créer des synergies et allier les savoir-faire pour réaliser une architecture respectueuse de l’environnement et du travail de chacun. Elle nomme cette pratique « archisanat ». Finaliste du TERRA Award 2016 avec l’école de couture à Niamey, elle décide de décliner ce concours au Sahel. Le livre Construire en terre au Sahel aujourd’hui est le résultat de dix ans de travail et de mise en réseau pour révéler les acteurs de terrain.

Odile VANDERMEEREN, a Belgian engineer and architect, has been working for more than twelve years in Africa and Europe with the same philosophy: to create synergies and to combine know-how in order to achieve an architecture that respects the environment and the work of each person. She calls this practice « archisanat ». Finalist of the TERRA Award 2016 with the school of sewing in Niamey, she decided to decline this competition in the Sahel. The book Construire en terre au Sahel aujourd’hui (Building with earth in the Sahel today) is the result of ten years of work and networking to reveal the actors in the field.

Dominique GAUZIN-MÜLLER est architecte-chercheure et enseignante française, auteure de 19 livres et d’expositions sur l’architecture et l’urbanisme écoresponsables. Elle a coordonné deux prix mondiaux : le TERRA Award sur l’architecture en terre crue et le FIBRA Award sur l’architecture en fibres végétales. Elle est membre associée de l’Académie d’architecture. Elle est professeure honoraire associée de la chaire Unesco « Architectures de terre, cultures constructives et développement durable », enseignante à l’ENSAS (École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, France), et à l’ENAM (École nationale d’architecture de Marrakech, Maroc). Elle a commencé en septembre 2020 une thèse de doctorat sur l’architecture frugale et créative au Laboratoire de recherche en architecture de l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse.

Dominique GAUZIN-MÜLLER is a French architect-researcher and teacher, author of 19 books and exhibitions on eco-responsible architecture and urbanism. She has coordinated two world prizes: the TERRA Award for raw earth architecture and the FIBRA Award for plant fibre architecture. She is an associate member of the Academy of Architecture (France). She is an honorary associate professor of the UNESCO Chair “Earthen Architectures, Constructive Cultures and Sustainable Development”, a teacher at ENSAS (École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, France), and at ENAM (École nationale d’architecture de Marrakech, Morocco). In September 2020, she began a PhD on frugal and creative architecture at the Laboratoire de recherche en architecture of the École nationale superieure d’architecture de Toulouse.

Christian BELINGA NKO’O est architecte dplg, détenteur du DSA « Architectures de Terre » de l’ENSAG (École nationale d’architecture de Grenoble, France) et d’un certificat de management de la reconstruction de l’habitat dans des contextes post-catastrophe naturelle (STT–IFRC, Oxford Brookes University, Royaume-Uni). Il exerce comme consultant indépendant sur des projets de développement liés à l’utilisation de la terre et des matériaux localement disponibles comme ressources à valoriser aussi bien dans la construction neuve, la conservation du patrimoine bâti en terre, que dans la valorisation des intelligences constructives locales. Il collabore avec CRAterre-ENSAG (laboratoire de recherche et Centre international de la construction en terre de l’École nationale d’architecture de Grenoble, France), où il est à la fois consultant expert et chercheur associé. Il est également enseignant vacataire depuis plusieurs années au sein de l’ENSAG.

Christian BELINGA NKO’O is an architect, holder of the DSA “Architectures de Terre” from ENSAG (Ecole nationale d’architecture de Grenoble, France) and of a certificate in management of housing reconstruction in post-natural disaster contexts (STT-IFRC, Oxford Brookes University, UK). He works as an independent consultant on development projects related to the use of earth and locally available materials as resources to be valorised in new construction, in the conservation of the earthen heritage, and in the valorisation of local constructive intelligence. He collaborates with CRAterre-ENSAG (research laboratory and International Centre for Earthen Construction of the National School of Architecture of Grenoble, France), where he is both an expert consultant and associate researcher. He has also been a part-time teacher for several years at ENSAG.

Oussouby SACKO est architecte, inscrit à l’Ordre des Architectes du Mali (OAM), membre expert des comités scientifiques internationaux sur le patrimoine de l’architecture en Terre (ISCEAH) et pour l’analyse et la restauration des structures du patrimoine architectural (ISCARSAH) d’ICOMOS (International Council on Monuments and Sites). Il est président de l’Université de Kyoto Seika (Japon). Porté par son désir de réorganiser la relation entre l’homme et son environnement bâti, il a conduit plusieurs études de terrain à travers le monde, et rédigé plusieurs publications dans le domaine de l’architecture, urbanisme, sciences sociales et humaines. Ses récentes recherches sont basées sur l’architecture communautaire, les transformations et transitions spatiales, les projets de rénovation, de restauration et de conservation du patrimoine architectural.

Oussouby SACKO is an architect, registered with the Order of Architects of Mali (OAM), expert member of the International Scientific Committees on Earthen Architectural Heritage (ISCEAH) and for the Analysis and Restoration of Architectural Heritage Structures (ISCARSAH) of ICOMOS (International Council on Monuments and Sites). He is President of Kyoto Seika University (Japan). Driven by his desire to reorganise the relationship between man and his built environment, he has conducted several field studies around the world, and written several publications in the field of architecture, urban planning, social sciences and humanities. His recent research is based on community architecture, spatial transformations and transitions, renovation projects, restoration and conservation of architectural heritage.


Résumé

La construction en terre nous rend vivants. Nous sentons l’odeur de cette terre dont nous sommes issus. Nous touchons sa matière qui nous apaise. Nous voyons ses couleurs qui nous émerveillent. Nous nous enthousiasmons pour les potentiels qu’elle nous inspire et pour les innovations qu’elle suscite dans nos esprits, qui nous amènent à réinventer des savoir-faire et à surpasser les techniques existantes. Nous avons suivi les traces de nos pères et de nos mères. Ils nous ont appris le respect du monde vivant, le partage et les techniques de construction. Notre devoir, en tant qu’experts, est d’adapter ces techniques à la société d’aujourd’hui. En Afrique de l’Ouest, des femmes et des hommes engagés se regroupent depuis une dizaine d’années pour former le FACT, un réseau qui Fédère les Acteurs de la Construction en Terre au Sahel. Il organise l’échange entre les professionnels, favorise leur visibilité et affirme une identité constructive sahélienne, qui respecte les ressources naturelles et les savoir-faire humains.

Mots clés

Architecture – Construction – BTP – Terre – Sahel – Culture – Climat et environnement.

Abstract

The earthen construction makes us alive. We smell the odor of the earth from which we come. We touch its matter which soothes us. We see its colors that amaze us. We are enthusiastic about the potential it inspires us and the innovations it arouses in our minds, which lead us to reinvent know-how and surpass existing techniques. We have followed in the footsteps of our fathers and mothers. They taught us respect for the living world, sharing and building techniques. Our duty, as experts, is to adapt these techniques to today’s society. In West Africa, committed women and men have been coming together for the past ten years to form FACT, a network that federates the Earthen Construction Actors in the Sahel. It organizes exchanges between professionals, promotes their visibility and affirms a constructive Sahelian identity that respects natural resources and human know-how.

Key words

Architecture – Construction – Earth – Sahel – Culture – Climate and environment.